L’enfer des courses d’une hypersensible en temps de covid 19…
Ça part toujours d’une bonne résolution. Je sors avec mes gants puisque je touche mon portail. Puis je les enlève puisque je touche mon volant. Je roule sans voir le paysage, tout n’est que masse abstraite dans ce no man’s land. A destination, je ne remets pas immédiatement mes gants puisque je verrouille l’auto avec ma clé. Je les enfile dehors (quelle idée de les avoir posés au sol…Suis-je bête ?) j’y songe de plus en plus en trimbalant ce sac à provision douteux puisque les experts m’ont dit que le virus pouvait s’accrocher plusieurs jours sur toutes parois et je l’ai déjà utilisé plusieurs fois.
Bienvenue aux tics et aux tocs…
Je suis mal, j’agite les bras comme une folle de loin en apercevant le premier chien coiffé, je n’ose même plus parler, même de loin…Je me hâte (les exigences alimentaires sont de plus en plus minimes), moi qui d’ordinaire croule sous les idées impatientes, mon esprit est en mode désaccordé. L’épicier me facilite pourtant la tâche, les articles sont conformes à ma commande et je les répartis vite fait dans mon cabas. Cependant, au retour tout se gâte : le sac est calé dans le coffre mais je sais que l’équilibre de nos vies repose sur mes prochains gestes, j’ai mal dans ma chair, tout se bouscule dans ma tête, et je rêve de passer ma voiture au karcher et de nager dans l’eau de javel…
Je rentre, le spectre de la culpabilité plane déjà comme si l’ennemi invisible était à deux doigts de nous empoigner tous. Je hache nerveusement chacune de mes pensées : mes cartons, mes plastiques, mes emballages… on m’a expliqué ceci cela, tout et son contraire…Qui croire ? Je me noie dans les contradictions, la confusion me gagne, je cumule les paires de gants, les torchons, et la surface de chaque article devient source d’obsession torturante qui me hante tout au long de la journée….
La nuit, dans ma somnolence fluctuante, l’idée des prochaines courses ne me lâche plus la grappe…alors je prie pour que le sommeil m’envole loin de la folie qui me guette.
Après une carrière dans le secteur touristique riche d’expériences culturelles à travers le monde, des études de lettres et d’histoire de l’art, Corinne Javelaud se consacre désormais à l’écriture. Elle est également membre du jury du prix des romancières remis chaque année au Forum du livre de Saint-Louis en Alsace. Elle a reçu le Prix de l’Académie des Belles Lettres et Beaux Arts du pays de Caux 2009) pour son roman Venise aux deux visages qui paraît en Janvier 2018 sous le titre « Les amants maudits de Venise » City poche. Elle publie dans la collection « Territoires » chez Calmann-Lévy ainsi que chez « Terres d’Histoires » City Editions et City poche – Hachette distribution
2014
- La demoiselle du mas du roule repris par France Loisirs en 2015 et en livre de poche
2016
- La dame de la villa saphir 2015 (City Éditions)
- L’oubliée de la ferme des brumes, 2016, repris par France Loisirs en 2017
- L’insoumise de Carennac, 2017 (Terres d’Histoires – City Éditions)
- Les amants maudits de Venise, Janvier 2018 – City poche
- Un été d’orage, Mars 2018 ( City Éditions – Terres d’Histoires)
- Les sœurs de Biscarosse, (City Éditions – Terres d’histoires) Janvier 2019
- L’ombre de Rose-May, (Calmann-Levy) Janvier 2020