Gaëlle Bélem : Bibliographie de guerre pour confiné.e.s en détresse

 

Comment écrire un énième article sur les écrivain.e.s confiné.e.s sans tomber dans le poncif ? Il me semble, comme l’écrivait La Bruyère, que « tout est dit, et l’on vient trop tard depuis […] qu’il y a des hommes et qui pensent ». Depuis l’île de La Réunion où je vous écris Au-dessous du volcan (puisque le piton de la Fournaise a eu la bonne d’idée d’entrer en éruption le 2 avril), j’ai choisi de vous adresser une bibliographie dans laquelle vous pourrez piocher à discrétion selon votre humeur et votre fantaisie du jour. C’est comme ça, un point c’est tout.

C’est une chose étrange à la fin que le monde, quand on y pense. Il a suffi d’un seul pangolin (mâle ou femelle d’ailleurs ?) et voilà toutes les rues dépeuplées. À ceux qui se demandent comment se passe le confinement à La Réunion, je recommande Tristes Tropiques ou Une saison en enfer. Et comment je vais, personnellement ? Quelle empathie de votre part ! Eh bien, pour me comprendre, lisez l’enthousiaste, euphorique et révélateur Tandis que j’agonise. Il est vrai, oui, que depuis le début du confinement, De battre mon cœur s’est arrêté.

Fi donc ! Nous ne sommes pas ici pour parler de moi. Mais, de vous ! Oui, vous ! Derrière votre écran là ! Vous qui ne faites rien de vos journées à part préparer des pâtisseries, des gratins et autres petits plats savoureux. Vous qui êtes toujours fourré.e.s dans la cuisine, le nez dans le placard ou le réfrigérateur ! Encore à moudre, à saupoudrer, à couper en fines lamelles. À croire que Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates a été écrit pour vous ! Et ne niez pas ! Vos Stupeurs et tremblements de gourmand.e.s coupables vous trahissent ! 

Comment vivons-nous cet encellulement volontaire ?

Je vous imagine sans peine les cheveux gras et ébouriffés, des charentaises aux pieds, continuellement vêtu.e.s d’un vieux pyjama rayé. Pour passer le temps et conserver les souvenirs de cette vie dépareillée, pensez au moins à tenir votre Journal d’un vieux dégueulasse. Depuis le temps que vous voulez écrire un roman !

De toute manière, qu’y-a-t-il d’autre à faire à part dormir, écrire et manger, ces temps-ci ? Ah oui ! Vous causez politique. Des têtes vont tomber, croyez-vous savoir. Vous avez tout prévu, ce sera Le crépuscule des idoles. Enfin, tous ces membres du gouvernement vont se rendre compte De l’inconvénient d’être né.

Mutatis mutandis, j’imagine que vous recevez encore quelques appels. Que votre meilleur.e ami.e prend encore la peine de vous demander où vous en êtes, de votre côté. Si c’est le cas, répondez-lui franchement Sur les cimes du désespoir.

À vos enfants inquiets qui vous demandent combien de temps tout cela durera, je conseille Cent ans de solitude. Et si leurs grands-parents s’inquiètent, eux aussi, de savoir comment cela finira, offrez-leur Sa majesté des mouches… Je vous sens quelque peu irrité.e.s. Pour si peu ? Que faites-vous ? Vous sortez Médor ! Encore ! À une heure pareille ! C’est la huitième fois aujourd’hui. Je ne voudrais pas vous effrayer, mais permettez-moi tout de même de vous rappeler le titre du dernier livre que vous avez lu : Le bizarre incident du chien pendant la nuit.

Mais, voyons la vie du bon côté ! Il n’y a aucun risque de pénurie alimentaire et la plupart d’entre nous survivront. Puisque éduquer c’est prévoir, envisageons tout de même l’éventualité d’une famine. Si cela arrivait, vous, parents, serez immédiatement sacrifiés, j’imagine. Par conséquent, je vous conseille de laisser tout de suite à votre progéniture le déculpabilisant Pourquoi j’ai mangé mon père.

Ah oui ! J’oubliais ! Affligeant spectacle que celui de ces familles qui se ruent sur du papier toilette. Qu’avons-nous fait de notre dignité ? N’est-ce donc plus qu’un vain mot ? Et qu’adviendra-t-il de leur réserve de papier hygiénique, une fois la crise passée ? À ceux-là, je recommande, lorsque le confinement sera levé et qu’ils voudront se promener en forêt, quelque part entre Vincennes, le Bois de Boulogne ou la Forêt des Ravenales, je recommande donc le prosaïque et néanmoins pragmatique Comment chier dans les bois tout en lisant au-dessus de leurs basses œuvres l’édifiant A la recherche du temps perdu.

Inutile de m’en vouloir d’être réaliste. Dites-vous que, dans quelques semaines, nous n’aurons qu’une priorité, un unique dessein : Réparer les vivants. Ne vous en faites pas. J’ai un peu peur moi aussi mais, la fin du monde n’est pas pour tout de suite. Votre belle-mère survivra, que voulez-vous ! C’est comme ça, un point c’est tout. La fin, qu’est-ce d’ailleurs ? Justement ! Je viens de terminer La fin n’est que le début.

Ancienne étudiante de La Sorbonne et diplômée de l’École Pratique des Hautes Études, Gaëlle Bélem, âgée de 35 ans, est une ancienne journaliste et chroniqueuse devenue professeure et écrivaine. Son premier roman « Un monstre est là, derrière la porte » publié chez Gallimard raconte l’histoire des Dessaintes, une famille de cinglés qui vivent à La Réunion. Chez les Dessaintes, il y a le père barjo, la mère foldingue et leur petite fille, pas nette. Le comble ! Ils ne s’entendent absolument pas tous les trois, mais sont bien obligés de vivre ensemble. Ennuis en perspective de la naissance au vingtième anniversaire de leur petit monstre de fille qu’ils éduquent à coups de « C’est comme ça, un point c’est tout ! »

 

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