Crédit photo: Sacha Lenormand
Comment avez-vous réagi à l’obligation de confinement et en quoi cette urgence a changé votre quotidien ?
Le confinement m’apparaissait comme une nécessité évidente, au vu de l’aggravation de la situation. Mon conjoint – qui a fait des études d’épidémiologie – et moi suivions depuis une dizaine de jours l’augmentation du nombre de cas. Nous étions bien conscients que les mesures à prendre devaient être radicales pour essayer, tant bien que mal, de ne pas nous rejouer en France les tragédies italienne et espagnole. Et en même temps, j’ai mis du temps à saisir qu’on était vraiment confrontés à une pandémie, je veux dire, c’était pour moi un mot de fiction, presque hollywoodien. Je suis d’un naturel optimiste, et je n’imaginais pas que notre société pourrait vivre un basculement aussi immédiat, motivé par un facteur externe.
Sur un plan personnel, le confinement a accéléré notre quotidien, entre autres du fait de la présence de notre fils, qui a vingt-et-un mois. Comme tous les parents vivant en ville, on s’est retrouvés enfermés pour plusieurs semaines dans 60m2, enterrés sous une pile de linge sale, à devoir gérer puzzles, conf calls, impératifs professionnels, clafoutis de courgettes et autres urgences domestiques (l’estomac vide d’un enfant de moins de deux ans étant la plus redoutable de toutes…). Le confinement exacerbe les émotions : un coup on vit la rigolade du siècle en se coursant dans l’appartement, un coup on fond en larmes parce que notre progéniture a vidé le tube de dentifrice dans une chaussure, ou bien qu’elle a découpé la sacro-sainte attestation qu’on avait mis trente minutes (de sieste enfantine) à recopier. Ceci dit, même si le quotidien avec eux ressemble parfois à une comédie, les enfants nous obligent à nous focaliser sur le présent ; en cela, vivre ce confinement aux côtés d’un tout-petit est salutaire.
Comment avez-vous intégré cette soudaine omniprésence de la maladie et cette résurgence de la mort que notre société a si longtemps voulu cacher ?
Deux facteurs rendent, à mes yeux, cette maladie très anxiogène. D’une part, il s’agit d’une pathologie nouvelle. On avance sur des pistes de recherche quant à des remèdes ou un éventuel vaccin au fur et à mesure de l’évolution de la pandémie, mais pour l’instant, si on la contracte, c’est principalement le système immunitaire qui sera à l’œuvre dans le processus de guérison. Davantage que d’une résurgence de la mort, je parlerais d’une remise en cause de la toute-puissance médicale, sur laquelle on compte souvent à outrance en ne prenant pas suffisamment soin de notre corps.
D’autre part, ce qui effraie, c’est aussi la multiplicité des symptômes et la diversité de réactions au Covid-19, selon les individus. Ce qui passera inaperçu chez mon fils et sera bénin pour moi pourrait tuer mes parents ou grands-parents. Au-delà de la peur d’être contaminée, ce qui m’angoisse davantage est de devenir, malgré moi, un vecteur de contamination. Sur ce sujet, l’après-confinement est pour moi un vrai casse-tête. Comment préserver sur un long terme la vie sociale de nos enfants (qui passe par la scolarisation, et par le contact physique), nos amitiés, les liens qui font la beauté de notre quotidien tout en protégeant les plus vulnérables d’entre nous ?
Lire, écrire, s’évader dans l’imaginaire, s’aventurer dans la fiction sont-elles, toutes ces portes de sortie du réel, des outils de résistance ou de résilience, pour utiliser un terme plus adapté à la situation ? Et, si oui, comment agissent-elle sur votre manière de rendre compte du monde, accablé à la fois de chiffres macabres et d’espoirs à peine formulées ?
A mon sens, la fiction n’est pas une évasion. Elle ne permet pas de sortir du réel, elle en rend compte. C’est une métaphore de la vie, une façon d’en exacerber le sens – surtout quand l’histoire racontée est bonne. Les bons livres et les bons films me procurent depuis toujours autant de plaisir que les moments de partage social. Une fiction de qualité me rend au moins aussi heureuse qu’une limonade entre amis, une fin de soirée à refaire le monde dans un jardin, un soir d’été ou un dîner en amoureux.
Le confinement a permis à nombre d’entre nous (qui ne sont ni pauvres, ni malades, ni à risque, ni trop seuls, ni trop entourés… bref, cela en limite le nombre !) de récupérer un peu de temps libre et de disponibilité mentale. Ressources utiles pour réfléchir de façon plus profonde au sens de nos vies, et à notre avenir commun sur une planète qu’on a abîmée à l’extrême. De par son aspect métaphorique, la fiction peut nous accompagner dans ces réflexions ; mais je pense vraiment qu’en faire une fuite face au réel, c’est en diminuer la portée. La fiction parle de ce qui fait que la vie vaut d’être vécue. Elle sensibilise, fait naître des émotions qui peuvent influer sur nos comportements sociaux davantage que des arguments rationnels. En cela, l’écriture est pour moi un instrument qui contribue à changer le monde.
S’il fallait partager une ou plusieurs émotions profondes, une fulgurance de la vie, une lumière timide dans ce chaos qui ne dit pas son nom, laquelle serait-elle ou lesquelles seraient-elles dignes de nommer ?
J’ai été frappée par la rapidité avec laquelle les politiques de confinement ont été mises en place dans le monde entier – à partir du moment où les gouvernants des pays respectifs ont été convaincus qu’il s’agissait de l’unique façon d’atténuer les impacts du Covid-19. Evidemment, c’est arrivé trop tard, à peu près partout. C’est néanmoins arrivé. Cela me donne un minuscule espoir au sujet des politiques qui seront (un jour) (VRAIMENT) implémentées pour répondre efficacement à l’urgence climatique. Chaque fois que je me penche sur ce sujet, je suis horrifiée. Je suis convaincue que la crise actuelle est la première d’une longue série qui vont jalonner le 21ème siècle. C’est quand même fou que les socles de notre société soient mis en danger par quelques semaines d’arrêt de la consommation ! Cela fait des décennies que l’homme détruit la biodiversité, qui est garante de la survie de notre espèce. Espérons que les conséquences tragiques de l’épisode Covid-19 nous permettront de mieux imaginer ce qui nous attend si l’on ne prend pas tout de suite des mesures radicales pour contrer les conséquences du changement climatique.
Andreea Badea est une auteure franco-roumaine née à Bucarest en 1989. Diplômée de Sciences Po Paris, elle contribue au développement de diverses structures entrepreneuriales, aux Etats-Unis, puis en France et en Nouvelle-Calédonie. Son premier roman, La Traversée de nos rêves, publié chez Mazarine Fayard en 2018 est nominé pour le prix Soroptimist 2020.