En publiant « Le Combat des pères », Raphaël Delpard s’attaque à un sujet dont les statistiques cachent la gravité pour ne pas dire la tragique réalité. Car, derrière les chiffres – horribles, en réalité –, il y a des vies brisées de tout part conduisant à vouloir ignorer « un pan entier de la société qui se trouve en déshérence », celui des pères devenus « des parents de second rang ». L’histoire de ce combat commence en France en février 1969 avec l’affaire de Cestas. C’est à partir de ce moment affreux que commence l’enquête que Raphaël Delpard mène avec la minutie qu’on lui reconnait.
De quoi s’agit-il ? Pourquoi ce combat dépasse out aspect « existentiel, juridique et simplement humain », menant, selon l’auteur, à « un flot d’interrogations » ? Quels sont les fronts sur lesquels est mené ce combat, quelles sont les blessures et qui les victimes ? Y a-t-il des remèdes, des solutions, et, si oui, lesquels ?
Nous avons voulu en savoir plus, en donnant la parole à Raphaël Delpard.
Pourquoi ce livre ? Comment avez-vous décidé de vous attaquer à un tel sujet ?
Il y a deux ans à l’occasion d’un dîner, un homme m’a déclaré qu’il n’avait pas vu son fils depuis 17 ans. J’ai été surpris et je lui ai proposé de se revoir et qu’il m’en dise un peu plus. C’est ainsi que tout a commencé.
Vous insérez un nombre très important de témoignages. Où et comment avez-vous réussi à les rassembler ?
Les témoignages ne sont jamais très difficiles à trouver. Il suffit d’un témoin. Il est rare que celui-ci ne connaisse pas un autre témoin. Ainsi, on tire la pelote et le reste vient.
Vous tenez à préciser dès le début que « l’enquête qui est menée ici n’est pas un réquisitoire contre les femmes ni contre les mères, mais la dénonciation d’une société égarée […] ». Quelle importance a pour vous cette précision liminaire ?
Nous vivons sous la pression de groupes minoritaires qui veulent se faire entendre. Je suis en parfaite osmose par rapport à leurs revendications à condition que celle-ci restent dans le cadre du « vivre ensemble », mais, dès l’instant où ces minorités veulent que leurs revendications deviennent la norme, je ne suis plus d’accord. La société ne peut prendre en charge des différences liées à une malformation congénitale ou à une orientation sexuelle. Les femmes veulent qu’on les considère au même rang que les hommes, là aussi, je suis en pleine communion de pensée avec elles, mais doivent-elles insulter les hommes à tout bout de champ pour expliquer leurs revendications ? L’enquête parle de la souffrance des pères et en filigrane des hommes, car l’homme est malmené depuis des années, dévirilisé, nié à croire que l’on veut le gommer et soumis à toutes les opprobres. Je le dis avec calme, il faut que cette curée s’arrête, car pour l’instant les hommes sont comme sidérés par ce qu’il leur arrive, mais n’exagérons pas, ils ne sont pas des montres. Un jour nous pouvons craindre l’émergence d’une société où le mode de vie sera la partition : les hommes et les femmes vivront sur des territoires éloignés des uns et des autres. L’enquête parle des pères donc des hommes mais elle parle aussi de enfants. Car ce sont les premières victimes.
Quel est le disfonctionnement le plus grave que vous ayez pu constater dans cette suite de drames consécutifs : divorce, séparation et perte de repères de la part à la fois des enfants et des parents ?
Le premier dysfonctionnement vient des magistrats aux Affaires familiales qui tournent le dos à loi, notamment à celle de 2002, qui reconnaît la coparentalité. Cette loi est la révolution qui devrait satisfaire les mouvements féministes. Le reste de votre question renvoie à tout ce que véhicule le livre.
Qu’en est-il plus précisément de la séparation des enfants de leur père, et des pères de leurs enfants ? Un des témoins à qui vous donnez la parole dans votre livre la qualifie de « rapt ».
On ne peut imaginer le degré de souffrance qui se tisse autour de la séparation d’un couple. Tout le monde est mis à l’épreuve y compris les grands-parents. C’est terrifiant.
Vous scrutez d’abord la vie de couple jusqu’au moment de la séparation menant vers le drame de l’appropriation de l’enfants/des enfants par la mère. Quelles sont les causes de ces échecs et comment comprendre cette appropriation maternelle ?
Une nouvelle fois votre question renvoie au corpus du livre. Si les juges appliquaient la loi, si les juges aux Affaires familiales étaient formés aux problèmes des couples, s’ils voulaient étudier les cas sous l’angle de l’humain, de l’intérêt des enfants, la souffrance reculerait. Les juges préfèrent adopter une attitude byzantine et donner tous les droits à la mère, car le faisant, ils pensent se mettre à l’abri des critiques qui pourraient venir des mouvements féministes.
Les hommes se retrouvent au milieu de cette tempête désarmés pour de multiples raisons : un certain aveuglement, une peur de l’avenir, une pudeur mal vue, le besoin de se montrer forts devant leur entourage. Que se passe-t-il ?
Les hommes sont chaque jour réduits à leur plus simple expression. Ils sont en train de devenir de la « poudre » d’homme lyophilisée. Un peu d’eau pour qu’ils retrouvent forme humaine.
Vous abordez ensuite la partie juridictionnelle avec toutes les démarches à faire pour obtenir de l’aide, car tous les pères n’ont pas les moyens financiers, écrivez-vous. S’agit-il d’un vrai parcours de combattant et en quoi consiste-t-il ?
A compter du départ de l’épouse, le père vit éveillé dans un cauchemar permanent. Car, il ne bénéficie pas des mêmes aides que les femmes peuvent obtenir. Ce n’est pas pour rien que 1 300 pères se suicident chaque année.
Une dernière question : peut-on dire aujourd’hui que nous avons affaire globalement d’une désertion parentale, que ce soit de la part des mères ou des pères ?
Il n’y a aucune désertion parentale ni de la part des mères, ni des pères. Les nouveaux pères veulent vivre pleinement leur paternité.
Interview réalisée par Dan Burcea
Raphaël Delpard, « Le combat des pères », Éditions du Rocher, 2019, 232 p.