Le printemps 2009 était une période agréable. Il faisait bon, chacun sortait pour le plaisir de sortir. Mon premier livre venait d’être publié aux éditions Denoël et je me souviens alors d’avoir côtoyé, au stand de ma maison d’édition du Salon du Livre de Paris (lequel n’a pas eu lieu, cette année, à cause du Coronavirus), un auteur unique en son genre, le docteur Olivier Ameisen. Son livre, Le dernier verre, paru quelques mois plus tôt, racontait son histoire, celle d’un médecin alcoolique, devenu asocial, qui avait, seul, trouvé un remède à son addiction à base d’un médicament banal et peu coûteux : le baclofène. Ce médicament n’était alors connu que comme un décontractant musculaire. Ameisen avait été son propre cobaye. Son livre était d’autant plus ambitieux que ce traitement n’était pas reconnu par les autorités scientifiques de l’époque. Seuls quelques-uns de ses confrères, qui étaient au courant de sa découverte, le prescrivaient, sans pour autant en revendiquer le motif. Pour le docteur Ameisen, l’exercice littéraire avait été une façon de faire entendre son histoire que beaucoup, encore, ne voulaient pas croire. Certains de ses anciens patients étaient venus au Salon lui demander une dédicace, les larmes aux yeux. Il était médecin tout en étant l’archétype de l’artiste : un être marginal, incompris, un peu allumé, affirmant trop tôt une vérité dérangeante. Quand j’y pense, toute sa vie a été un roman. Il a vécu juste assez longtemps pour être apprécié à sa juste valeur. Son traitement n’a été reconnu et homologué que quatre ans plus tard, en 2013, quelques semaines avant sa mort.
En cette période de pandémie, je ne peux que faire le lien entre cette histoire de baclofène et la controverse sur la chloroquine du docteur Raoult (lequel vient aussi, me semble-t-il, de publier un livre). Ce rapprochement est bien sûr périlleux, parce que je ne sais rien de ce qui sera reconnu plus tard, lorsque l’urgence sera passée. Et pourtant, je ne peux m’empêcher, parce qu’un traitement efficace ne peut être que souhaité, et peut-être aussi parce que l’histoire de l’individu seul face à la voix dominante inspire toujours la compassion, d’espérer de tout cœur que cet homme ait raison. Si je pense aujourd’hui au docteur Ameisen, bien que l’alcoolisme n’ait pas grand-chose à voir avec la maladie contagieuse qui nous obsède, c’est aussi parce que j’entends certains lutter, pendant ce confinement, contre leurs anciennes addictions. Elles étaient toujours présentes, en sourdine. Devoir espérer des sorties au compte-goutte, accordées comme des grâces, quand bien même ce rationnement serait parfaitement légitime, ne peut que nous inciter à nous rassurer par le retour à une consommation de substances que rien ne vient limiter : la nourriture, la cigarette, les écrans, l’alcool… Si je pense au docteur Ameisen, enfin, c’est parce que je me souviens, en relisant son livre, de m’être dit que cet homme avait un talent littéraire et visionnaire qui n’avait rien à envier à celui qu’on attribue souvent à Michel Houellebecq. Je ne sais pas précisément ce que peut la littérature face à la pandémie. Toutefois, ce récit autobiographique d’Ameisen, Le dernier verre, est un livre que je recommanderais en ce moment, pas seulement à cause du regain d’intérêt pour le milieu médical, mais avant tout parce qu’il nous rappelle qu’aucune situation n’est inextricable et que, même d’une atteinte écrasante, on peut sortir grandi.
Ancien officier de Marine puis élève-officier dans l’Armée de Terre, Marine Baron est Docteur en philosophie, doctorante en droit et enseignante. Elle a travaillé dans l’industrie pharmaceutique, le recrutement et le secteur bancaire. Elle est l’auteur d’articles, de chroniques, de reportages pour divers journaux, de deux essais, Lieutenante, être femme dans l’armée française (Denoël, 2009), Ingrid Bergman, le feu sous la glace (Les Belles Lettres, 2015) et d’un roman, La Couverture (Balland, à paraître en 2020).