Qui êtes-vous, où êtes-vous né, où habitez-vous ?
Grégory Rateau, j’ai 36 ans et je viens de Clichy-sous-Bois dans le 93. Je vis actuellement à Bucarest en Roumanie.
Vivez-vous du métier d’écrivain ou, sinon, quel métier exercez-vous ?
Non, bien sûr que non. Mes livres m’apportent un petit complément. J’ai même fait encadrer le chèque de mon premier roman “Noir de soleil” aux Editions Maurice Nadeau. C’est une somme symbolique pour moi, recevoir quelque chose pour avoir eu le courage ou la folie de vivre de ma passion. Je ne crois pas que l’écrivain puisse en vivre ou sinon il devient un fonctionnaire, il travaille sur commande et cela nuit bien trop souvent à son intégrité et à la qualité de son travail. Cependant, on peut très bien vivre d’un succès de librairie mais la pression reste à mon sens la même et les attentes aussi sont grandes. Trop peut-être. Je préfère de loin garder ma liberté. En Roumanie, je dirige mon propre média, je vis entre la ville et la campagne, j’écris chaque jour, je n’ai personne qui me dit quoi faire ou comment le faire et je n’ai pas attendu l’âge de la retraite pour écouter les conseils de Rilke au jeune poète : construire mon existence en fonction de cette nécessité d’écrire. Cela n’a pas de prix. En ce moment, j’écris beaucoup de poésie pour les revues en France, Suisse, Belgique et au Québec. Elle trouve un bel écho et je sens que de plus en plus de gens y sont sensibles. J’arrive enfin à m’exprimer sans compromis comme je le souhaitais depuis très longtemps.
Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?
Une rupture. Je lisais déjà beaucoup mais après ce revers je voulais tout lire, tout comprendre pour la récupérer, lui montrer que j’ai enfin changé. Une belle foutaise oui. On ne change jamais véritablement. Voilà ce que la littérature m’a enseigné et je lui en serai toujours très reconnaissant.
La poésie c’est un peu différent, j’en lis beaucoup depuis l’adolescence. Un art d’une grande pureté car accès sur la forme, la musicalité, elle m’aide à exprimer la meilleure part de moi-même, celle qui est très bien cachée (rire).
Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?
Jack London, Martin Eden. Le parcours de ce personnage désabusé est l’histoire de la vie que je fantasme depuis tout gamin. Comme lui, je viens d’un autre milieu où j’étais très bagarreur, un gamin difficile et comme lui j’ai essayé de m’élever par la culture. En même temps, il incarne aussi le cauchemar que je me refuse à vivre, être lucide au point de s’isoler complètement jusqu’au point de non-retour.
Pour la poésie, j’ai tout lu sur Rimbaud à l’adolescence, il est cette figure de l’absolu, celui qui tire sur tout le monde, qui fait exploser le cercle parisien des bourgeois poètes de salon. En quête du soleil, il n’a cessé de fuir cette satanée grisaille. Celui qui a tout vu sans avoir vécu. Ses visions sont au-delà du verbe, elles étaient là avant qu’il n’ouvre les yeux sur le monde. J’ai grandi en rêvant de marcher sur ses traces, dans les mêmes chaussures trouées, ses Sensations en bandoulière. La figure du génie ne m’intimide pas car ce don divin s’accompagne toujours d’une malédiction.
Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?
Littérature, poésie. Je ne parlerai jamais de facilité en abordant le sujet de la création. Il faut être à la fois son plus impitoyable juge et sa plus grande groupie. Passer de l’un à l’autre peut rendre complètement maboule.
Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?
Je me refuse à essayer de comprendre le comment pour me concentrer sur le pourquoi. J’écris car j’ai adoré ce qui a été écrit, l’art est une chaîne et parce que je n’aime pas très souvent ce qui est écrit aujourd’hui. Je pars de l’illusion que je peux faire mieux et je m’applique pour que cette illusion devienne un jour une réalité pour d’autres personnes que moi.
D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?
Beaucoup autour de moi forcément, on regarde toujours le monde en partant de soi. Même ceux qui se dissimulent habilement finissent par parler d’eux-mêmes. J’aspire à me libérer progressivement des règles souvent figées du récit, l’idée qu’il faille émouvoir le lecteur avec des recettes, des codes, ce genre de conneries et la poésie m’apporte cette liberté nécessaire sans laquelle je ne prendrai plus aucun plaisir. Le talent sans le plaisir, n’a aucun intérêt. Comme le disait Bukowski : « L’écriture est juste le résultat de ce qu’on est devenu jour après jour au fil des ans. C’est une empreinte digitale de l’esprit ».
Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?
Parfois oui, parfois non. Le titre est là, un horizon possible puis le livre évolue et un autre titre vient le remplacer. Un autre livre s’écrit alors ou pas.
Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?
Mon dernier roman en date est la confession d’un meurtrier. J’ai vécu avec lui dans un quasi confinement et bien avant qu’il ne nous soit imposé par cette pandémie. On peut mettre beaucoup de soi, de ses frustrations dans un personnage aux antipodes de soi. Il ne faut jamais juger ses personnages comme le faisait très bien Shakespeare ou encore Dostoïevski.
Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.
Je travaille avec acharnement à l’écriture de poèmes, cela prend pour le moment toute la place mais deux romans sont en cours, l’un a été écrit il y a deux ans et l’autre est en chantier. Aucune urgence. Les éditeurs sont très occupés et de moins en moins impliqués mais je cherche encore la bonne personne, cet accoucheur de talent qui, comme le grand Max Perkins me permettra de grandir et même de me tromper. On ne cesse de se tromper, pourquoi écrire encore et encore, sinon pour faire toujours mieux.