Portrait en Lettres Capitales: Juliette Nothomb

Qui êtes-vous, où êtes-vous née, où habitez-vous ?

Je suis Belge, j’habite à Lyon et suis née au Congo (ex Zaïre), à Léopoldville (à l’époque, Kinshasa).

Vivez-vous du métier d’écrivaine ou, sinon, quel métier exercez-vous ?

J’exerce la profession principale de chroniqueuse culinaire pour l’hebdomadaire belge Télépro. Le métier d’écrivaine est ma cerise amarena sur mon gâteau Forêt-Noire, ce qui vu mon métier, prend tout son sens.

Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?

La passion pour la littérature ne peut germer que si l’on a lu, beaucoup lu, de préférence  depuis l’enfance. J’ai la chance d’avoir eu des parents qui avaient ce même amour et, après m’avoir fait la lecture (Jules Verne, la Comtesse de Ségur, les contes de Grimm et Perrault…), m’ont poussée à lire dès que j’ai su le faire toute seule. Puis j’ai appris à écrire et aligner deux mots. Après, il n’y a qu’à en aligner plus que deux et cela donne un livre.

Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?

Choisir un seul livre qui m’aurait marquée à vie reviendrait à me passer à la broche sur des braises. Cependant, il est un livre passionnant mais qui m’a à la fois traumatisée, et a changé mon regard sur notre monde d’aujourd’hui : Nuit de Edgar Hilsenrath. Au début de la dernière guerre, les habitants du ghetto de Prokov, affamés et en guenilles, n’ont, plus encore que se nourrir ou se vêtir, qu’une seule obsession : trouver chaque jour un abri (payant) pour la nuit, où ils s’entassent dans une promiscuité, un inconfort et un manque d’hygiène affolants. Sans cette sécurité et cette « chance », ils seront raflés par les camions qui parcourent les rues nocturnes à la recherche de Juifs vagabonds. Depuis lors, chaque fois que je me trouve dans un bâtiment couvert, un hall, qu’importe, je ne peux m’empêcher d’évaluer les lieux selon ce critère : « On aurait pu loger au moins tel nombre de personnes du ghetto ici, et cela les aurait sauvées ».

Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?

Je pratique le roman et parfois, l’essai. Je serais incapable d’écrire de la poésie, c’est le genre littéraire le plus risqué qui soit, il faut être un génie pour ne pas s’y casser les dents. Le roman est beaucoup plus indulgent et à ma portée. J’ai certes écrit de la poésie, mais j’étais enfant. J’étais très fière parce que j’y utilisais des mots que j’estimais rares, sublimes et compliqués, et surtout parce que ça rimait. Les enfants ont cette faculté d’extase qui s’étiole à notre stupide âge adulte.

Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?

J’écris à n’importe quelle personne, je les aime toutes. Ex-prof de français, j’aime pratiquer les conjugaisons pour ne pas me rouiller. Je suis une adepte peace and love du je-tu-il/elle-nous-vous-ils/elles.

D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?

Je ne rédige jamais d’un trait. Certes, je commence de cette façon en estimant, dans un délire shooté à l’adrénaline, que ce que je produis dépasse le génie d’Hugo et de Goethe qui se seraient fondus en une seule personne : moi. Quelques heures après, je me relis et je prends une grosse claque qui me rend par miracle et nécessité la modestie qui s’impose. Donc, je ne fais jamais confiance à mon premier jet.

Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?

Les sujets de mes livres ont des origines diverses mais, souvent, un titre me vient d’abord à l’esprit, qui me semble inspirant et me donne envie de broder dessus. Sinon, un lieu par lequel je passe, un fait entendu dans un documentaire historique ou géographique, une phrase perçue dans la rue, peuvent me pénétrer comme un dard et réveiller mon inspiration qui se dore la pilule et pionce paresseusement dans le confortable canapé de ma boîte crânienne.

Comme je l’ai évoqué plus haut, jusqu’à présent j’ai toujours choisi le titre d’abord. Aussi, nonobstant mon caractère généralement pacifique et conciliant, ai-je toujours opposé un niet buté aux éditeurs ou correcteurs qui ont soulevé l’éventualité éventuelle de modifier le titre. Par contre, les changements suggérés dans le texte ne me posent quasi aucune objection, et en général je les accepte. Pour expliquer cette réaction de manière imagée, si je suis prête à donner du sang, je refuse de céder la veine ou l’artère où il circule.

Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?

Je choisis mes personnages un peu par hasard, en général sur un coup de tête. Ils ne sont vraiment pas le fruit d’une décision mûrement réfléchie. Bien sûr, je les aime, ou alors ils me font rire. C’est une fameuse tarte à la crème donc une grande vérité : tout auteur met une confortable dose de son ego dans ses personnages. Après, les lecteurs se les approprient et leur nouvelle perception est très intéressante. Souvent, quand l’un d’entre eux me transmet celle-ci, je me dis « bon sang et caramba, je n’y avais pas pensé… ».

Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.

Je ne suis pas superstitieuse, mais… Ce qui revient évidemment à dire que je le suis. De ce fait, je ne dévoile jamais mes projets en cours, tant que je n’ai pas la certitude rassurante de les tenir en chair et en os, ou plutôt en papier et en carton, entre mes mains. Pour l’instant, je peux cependant annoncer avec fierté que je travaille sur un récit fantastico-héroïque jeunesse commandité par les Editions Okama à Genève.

 

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