Portrait en Lettres Capitales : Simona Antonescu

 

Qui êtes-vous, où êtes-vous née, où habitez-vous ?

La question qui suis-je me donne encore aujourd’hui du fil à retorde et je sens que je suis loin d’y répondre convenablement. Les livres que j’ai écrits sont autant de réponses à cette même interrogation, ce qui me fait dire que finalement je ne suis qu’un mélange entre Fotograful Curții Regale [Le photographe de la Cour Royale], Hanul lui Manuc [L’auberge de Manuc], Darul lui Serafim [Le don de Séfaphim], Ultima cruciadă [La dernière croisade], În umbra ei [Dans son ombre] et d’autres.

Par ailleurs, je suis la somme de toutes les relations que je partage avec les gens qui ont croisé ma vie, ce qui voudrait dire que je suis la mère de mon fils et la fille de ma mère, la sœur de mon frère et l’amie de mas amies, leur soutien et, en même temps, la plus fragile de toutes, celle qui a le plus besoin d’elles.

En répondant de manière moins amusante et plus explicite, je dirais que je suis une écrivaine, sans gagner ma vie grâce à l’écriture. Je suis née à Galați, une ville que je porte dans mon cœur, ayant passé les premières années de mon enfance, mais vivant depuis longtemps à Ploiești.

Vivez-vous du métier d’écrivaine ou, sinon, quel métier exercez-vous ?

Je ne vis pas de l’écriture, c’est pour moi un rêve trop lointain que je ne réaliserai jamais, malgré mon optimisme. J’ai un travail au nom compliqué dans une multinationale qui m’a permis, comme par miracle, de me rapprocher des gens que je n’aurais jamais connus autrement.

Je puise mon énergie pour écrire dans cette activité hebdomadaire, dans les situations sans issue où je me retrouve, dès lors que plusieurs personnes ayant plusieurs intérêts se retrouvent face à face. La confrontation de plusieurs personnalités m’a toujours semblé intéressante et je suis fascinée de découvrir l’ingéniosité des voies avec laquelle le psychique humain transforme notre quotidien.

Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?

J’ai toujours eu cette passion, j’ai du mal à repérer dans le temps le moment de sa naissance. Dès la première année de maternelle, j’aimais déchiffrer avant l’heure les textes de mon abécédaire, pour savoir quelle sera la nouvelle lettre qu’on allait apprendre le lendemain. Lire, c’était comme un super-pouvoir que j’avais hâte de maîtriser.

Lors de mes premières vacances d’été, une de mes tantes m’a offert Fram, ursul polar [Fram, l’ours polaire] de Cezar Petrescu, une merveilleuse édition en grand format et avec plein d’illustrations en couleur, en gros caractères, ce qui m’a aidé à la déchiffrer toute seule. Je me souviens, je me disais que j’avais 7 ans et j’étais fière de pouvoir lire un roman. J’ai été fascinée par ce livre car, au-delà de l’histoire, j’avais compris que, tant qu’il y aura des livres, je ne m’ennuierai jamais plus. J’avais compris que, grâce aux livres, ma vie sera désormais remplie d’aventures.

J’ai vécu toute mon enfance en compagnie des personnages des livres que je lisais. J’ai eu tout ce temps la tête remplie d’histoires que j’inventais dans le prolongement de celles que je lisais, comme une sorte de prolongement de ces aventures et de leur magie. J’ai écrit ma première histoire à l’âge de 8 ans, il s’agissait d’une jeune fille de 10 ans qui fuguait et traversait une longue série de situations fabuleuses.

Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?

Il m’est difficile de choisir un seul auteur ou un seul livre tirés de la longue liste de ceux qui m’ont marquée. Je citerais plusieurs, dont je me souviens de la manière la plus subjective qu’elle soit, par exemple Ernest Hemingway, l’auteur de mon adolescence qui m’a appris comment on peut toucher un lecteur sans être obligé de faire appel à de constructions littéraires sophistiquée, juste en utilisant les cinq sens. Chaque fois que j’essayais sans succès de décrire quelque chose, je ne cessais de me répéter « dis ce que tu vois, ce que tu entends, son odeur, ce que tu sens en le touchant, quel goût pourrait avoir ».

Les Frères Karamazov de Dostoïevski reste pour moi le roman doté des personnages les plus vivants, les plus crédibles et bien construits, difficilement égalables.

Les mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar se trouve en tête de ma liste comme le roman le plus profond, un vrai exemple de maîtrise littéraire, une délicate méditation sur des sujets comme l’esprit et le temps. Le style occupe pour moi une place prépondérante avant le sujet, et le style de Marguerite Yourcenar est inégalé.

Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?

J’écris des romans. C’est pour moi une grande passion, et les jours où je le fais sont parmi les plus beaux de ma vie. J’ai participé avec des essais à veux volumes collectifs, même si renoncer provisoirement au roman a été pour moi quelque chose d’assez difficile. J’avais pris le soin de truffer ces essais de nombreuses histoires que j’aimais. Pendant mon enfance, je m’étais essayée à la poésie, en décrétant très rapidement mon incompatibilité avec ce genre littéraire. En revanche, j’aime glisser un goût de poésie dans mes romans.

Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?

J’écris d’un seul trait, sauf qu’avant d’arriver effectivement à ce moment, j’ai besoin pour chaque scène d’une longue période de réflexion, de filtrer les émotions de mes personnages à l’épreuve de mes propres sentiments, de regarder à partir des angles différents les gestes de ces personnages ou de prononcer par cœur des répliques, en corrigeant ici ou là un mot, jusqu’à sentir la musique de la phrase, son rythme et sa mélodie. Cela demande du temps, avant de me mettre à écrire, mais, une fois démarrée, mon écriture se déploie sans encombre. Une fois le texte achevé, je procède à peu de corrections.

D’habitude, je relis le texte avant de passer au chapitre suivant, en opérant de petits changements. Par exemple, avant d’attaquer, disons, le cinquième chapitre, je relis sans m’arrêter les quatre autres, avec le regard de quelqu’un de l’extérieur qui lisais le texte pour la première fois.

J’écris à la troisième personne, je la trouve plus intéressante et surtout plus apte d’aborder le discours à partir de plusieurs points de vue que la première personne. Dans mon dernier roman, În umbra ei [Dans son ombre], j’ai opté pour la première fois à écrire certains passages à la première personne.

D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?

J’écris des romans historiques, j’ai toujours utilisé l’Histoire comme source d’inspiration. J’ai toujours aimé les récits historiques. Enfant, je me mettais facilement dans la peau d’un personnage, surtout lorsqu’il s’agissait d’un récit historique. Dans ma mémoire affective, ce type de récits historiques est lié à mon grand-père qui m’en faisait la lecture. J’aimais encore plus ceux qui parlaient de sa propre enfance. J’étais fascinée à l’idée que le monde qui m’avait précédé avait quelque chose de magique, quelque chose que je n’avais pas connu, ma fascination était à son comble en écoutant mon grand-père.

Plus tard, en consultant des documents anciens ou des ouvrages historiques plus détaillés, j’éprouvais une vraie facilité d’appréhender les secrets de ce monde ; lire ce type de textes, c’est comme si je sentais l’odeur de la poudre émanant des fusils et la terre ferme sous mes pieds à la place du tapis de mon bureau.

Pour écrire un roman, j’ai besoin d’un an, un an et demi.  

Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?

Le titre est très important pour un auteur, il peut exprimer beaucoup de choses à travers le titre. Il peut offrir la clé de l’ensemble de la lecture d’un livre. Le plus souvent, il m’arrive de trouver le titre dès le début, mais aussi de le changer en cours d’écriture. Mon roman Ultima cruciadă [La dernière croisade] avait comme titre au début Corbii [Les corbeaux]. Quant à În umbra ei [Dans son ombre], longtemps je l’avais appelé Cartea Siminei [Le livres de Simina], en attendant de trouver son vrai titre.

Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?

La grande partie de mes personnages sont des gens qui partagent ma vie. Je pars, par exemple, de la personne de mon père et je m’imagine comment aurait-il réagi s’il avait dû participer à un combat au Moyen-Âge. Je pense qu’en m’inspirant de personnes réelles, mes personnages gagnent en authenticité et deviennent plus crédibles.

Écrire des romans historiques a été pour moi un des plus beaux défis : transférer tout ce que je ressens pour un être cher incarné dans un personnage qui vit dans un siècle différent et qui doit faire face à des situations de vie qu’il n’a jamais connu auparavant.

Bien entendu, le model réel ne se reconnait pas toujours dans ce personnage, cela dépend de la manière dont je le perçois, des différences inhérentes entre l’image que chacun a de soi-même et de celle que les autres fabriquent le concernant.  

Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.

In umbra ei, Simona AntonescuMon dernier roman În umbra ei [Dans son ombre] est une saga familiale qui s’étend sur plus d’une centaine d’années, entre 1922 et aujourd’hui, et qui décrit des situations plus ou moins réelles vécues par des personnages eux-aussi plus ou moins réels. J’avais commencé ce livre en mars 2020, tout au début du confinement, et, pour beaucoup de raisons, je pourrais dire qu’il est le livre de mon confinement.

En résumé, j’ai suivi deux lignes narratives, à la fois la relation présente, compliquée, aggravée par des formalismes frustrants entre une mère et sa fille et une histoire appartenant au passé qui touche à la longue toutes les générations. C’est l’histoire de deux paires de sœurs – la première appartenant à la génération des arrière-grands-parents et la seconde à celle des grands-parents – histoire qui va subir les conséquences d’une décision qui va échapper ensuite à tout contrôle.

Résumé en une seule phrase, le roman parle d’une part de l’empreinte laissée par les périodes difficiles de  l’Histoire, bouleversant complétement la vie des gens et de l’autre du double combat que chacun doit mener dans sa vie : la découverte de soi et l’apaisement des relations avec ses proches.

Il est trop tôt pour parler de mes futurs projets d’écriture. În umbra ei vient de paraître, il est entre les mains des lecteurs, alors que moi je suis toujours à l’intérieur de l’histoire qu’il contient. J’ai besoin d’un peu de temps avant de me séparer des personnages de ce roman et de chercher d’autres sujets d’écriture.

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