Quel rapport entretenez-vous avec… votre auteure… ?
Réflexion à haute voix intérieure de personnages en quête de légitimité…
Yann, l’un des personnages apparus dans le dernier roman de l’auteure, «s’exprime» … : c’est un rapport complexe j’ai l’impression qu’elle cherche tout le temps et c’est quand même assez étonnant, à parler à ma place, à dire qu’elle connaît mes émotions, qu’elle sait vraiment qui je suis, d’où je viens, qu’elle envisage mon avenir, qu’elle décide qui doit mourir autour de moi… Et me faire mourir quand elle l’a décidé.
Je ne suis, certes, qu’un personnage, une création, mais puisqu’elle ne cesse de me solliciter, sans me reconnaitre cependant une forme de légitimité, je suis tenu d’intervenir, pour une fois, à sa place, pour faire entendre « notre voix ». Oui, de là d’où nous demeurons, couchés sur une page, nous captons ce qui nous entoure, par cet effet étrange, syndrome de Balzac ? Provoqué par cette sollicitation permanente de notre auteure… Qui nous invoque, comme des êtres de chair.
Un jour, elle décide pour nous de nous faire voyager dans des contrées hostiles. Dans un autre temps de sa « suprématie » d’auteure, elle nous exhume de ses tiroirs, où nous demeurons confinés, parfois pendant des années ! Elle nous invente des amours parfois délétères, nous fait entretenir des rapports avec la foi « étonnants ».
En conclurai-je que notre auteure serait atteinte du « syndrome de Balzac » ? En tout cas, je la soupçonne de nous considérer comme étant des interlocuteurs, presque réels, elle joue avec nous… J’en viens à penser que cela va se retourner contre elle un jour… Imaginez que nous nous révoltions ? Oui ! Des personnages sortis de l’imaginaire d’un auteur se rebellant contre leur sort ? Et que nous refusions de nous coucher sur une page blanche ? De nous soumettre à la toute-puissance de notre auteure ?
Étonnez-vous ensuite que nous finissions par revendiquer une forme de reconnaissance hors de notre statut de personnages… Et par ce « nous », je veux faire « entendre » aussi la parole d’encre de tous ceux qui m’ont précédé et ceux qui me succèderont dans cette litanie… Personnages qui ont connu le même destin que le mien, et ceux qui tomberont dans les limbes de son imaginaire, au royaume des personnages oubliés.
Voilà le rapport que j’entretiens avec mon auteure, qui est intimement persuadée, d’ailleurs qu’elle a tout pouvoir sur moi alors qu’en vérité, il n’en est rien… et dans cet instant, j’interpelle Allan Phandum, à qui elle a créé un destin tragique, elle l’a exilé dans une partie de l’Inde, Pondichéry… Allan, tu aurais voulu certainement connaître un autre sort que cette coalition de Dieux en colère contre toi, dans une Inde écartelée par son désir d’indépendance avec l’Angleterre ! Et je pourrais poursuivre inlassablement, mais… je ne suis qu’un personnage, une création, tout au plus.
J’ai tenté de répondre à cette interrogation fondamentale du rapport que nous, personnages, entretenons avec notre auteure. … J’ai tenté… Avant de retourner à mon sort de personnage, je vous remercie de m’avoir permis, au nom de tous, d’exprimer l’ambigüité que nous entretenons dans nos rapports avec notre créatrice. »
Sarah Oling en ce 21 mai 2020
Fille de déporté rescapé de la Shoah, elle a transcendé son expérience personnelle en un engagement indéfectible autour d’une pédagogie active et innovante de la Mémoire (conférences interactives, dialogues libres avec des étudiants, lycéens et collégiens).
Auteure, elle dit de l’écriture qu’elle lui est aussi indispensable que l’air qu’elle respire. « Pour un peuple d’oiseaux », une fiction au cœur du projet « Consciences en convergences », est son cinquième ouvrage, réédité aux Editions Absolues en mars 2020.
Journaliste radio et presse écrite , elle a récemment co-réalisé et co-animé une série d’émissions « Cultures Vivantes » sur la web radio Bubble Art.
Pendant quelques années, elle a été chargée de mission au Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon, pour recueillir le témoignage de déportés, de résistants et d’anciens enfants cachés. Par son intermédiaire, les mots, ceux des autres, devenaient ainsi passage et passerelle mémorielle vers le grand public.
Un temps comédienne de théâtre, elle dit avoir eu l’immense privilège d’être sur scène avec Isabelle Sadoyan dans Savanah Bay de Marguerite Duras, qui, par la puissance de son travail, lui insuffla un immense amour de la scène et un respect infini pour le théâtre.