Laurence Biava

 

Mes personnages ont souvent été inspirés par ce que je cherchais en moi et que je ne pouvais coucher autrement que sur papier. A partir d’un « je » sous-estimé et une image dégradée depuis des souvenirs anciens et morcelés, j’ai créé un « autre » amplifié ; un double, un fantôme, un personnage qui chaque fois ose et transgresse, et qui se décline à l’infini, qu’il soit homme ou femme.

D’autres fois, ces personnages, je les ai trouvés « en extérieur », et aussi dans mes propres lectures.  Ils viennent alors à moi, et composent avec la vie, le mouvement, la spiritualité, le son, la tonalité de l’époque. Un jour, c’est la voix haut-perchée de Neil Young qui m’a servi de base de travail. Tout s’est enchaîné ensuite, et le personnage que j’ai inventé de toutes pièces, que j’ai façonné et poli n’avait pas le courage de disparaître. Pas le courage d’affronter sa peur, toutes ses peurs. Il se défendait ou s’interdisait sa peur, il accablait les autres, et il avait peur de sa célébrité dont il ne connaissait pas ses limites. C’est Aurélien Krys dans Les Causes éperdues, que j’ai planté devant le Mur de Berlin et Rostropovitch pour raconter les événements de 1989 et le début d’une nouvelle ère jusqu’au projet de reconstruction européenne.  Avec Astrée Klaer, personnage fantasque et haut en couleurs, inspirée de mon combat contre l’antisémitisme et de ma passion pour la politique, le couple ambulant va vivre et connaître quelques épiphanies, et des coups de semonce et de foudre récurrents.  L’héroïne écrit dans une histoire à tiroirs, sur le mode la poupée russe – le propre à peu près de tous mes romans – pour s’expliquer à elle-même des choses opaques et mystérieuses dont on sait bien qu’elles nous sont au fond essentielles.

Oui, on écrit pour comprendre pourquoi on fuit ces choses, ou pourquoi on les contourne en tentant de les affronter, en essayant de mettre des mots dessus. L’idée de ces auto-fictions ou de ces auto-factions – qui s’élaborent en reprenant des faits réels – est de s’interroger en permanence, de comprendre le sens de ce “fil” invisible et souterrain qui nous ramène à nous-même. 
Tous mes personnages réfléchissent sur le temps. Ils veulent imaginer des situations qu’ils n’ont pas vécues, qui risquent de subvenir et vont bouleverser leurs vies. Comment vont-ils aborder leurs nouvelles appréhensions ? Comment procéder pour de nouveaux apprentissages ?
Dans « Amours mortes », Elvira Belhaj et Clarisse Klarté, qui sont, chacune, mes doubles à part entière, sont obsédées, l’une par la tenue de son blog, l’autre par les lettres qu’elle envoie à un écrivain dont elle est éprise, par cette vive attraction pour les réseaux. Perpétuellement connectées, elles veulent cerner pourquoi la séparation et la disparition sont des actes volontairement et individuellement consentis. Je dois dire que leurs réflexions, leurs remarques s’imposaient d’elles-mêmes : l’identité numérique devient le cœur d’un service qualifiant une publicité hyper personnalisée. Comment trouver périmée l’idée de l’avatar très rimbaldien : « je est un autre » ? C’est universel, forcément romanesque, littéraire ! De chapitre en chapitre, et en alternance, elles évaluent le même outil en convenant que l’espace numérique peut-être adolescent, littéraire, confiné, mouvant, synthétique, expansionniste, surprenant. Que la rapidité des interactions est exceptionnelle et que les reliefs de personnalité sont foisonnants. Sur l’espace et le temps, justement, elles trouvent que les réseaux le phagocytent et sacralisent à son maximum l’ami de mon ami de façon paroxystique. Il ne fut pas difficile de les faire se livrer, ces deux héroïnes. Leur univers codifiés, mieux que le mien, attestent de toutes formes d’appartenance libérée, gèrent l’existence et l’organisent, non pas dans une enceinte fermée, mais baignées dans une effervescence grégaire.

Mes romans ne sont pas des romans choraux, même si des voix hommes et femmes se répondent en permanence. Je préfère les réflexions qui font entendre d’autres voies (voix) aux dialogues, qui eux, m’ennuient beaucoup, que je ne parviens pas à structurer. Si mes personnages femme sont dictées par mes pulsions et impulsions, mes personnages hommes viennent de la rue. Ce sont des passants à part entière, qui, eux, expriment leurs répulsions, qui dissertent à loisir et à foison, sur la fin de nos utopies, sur le sentiment de jeunesse perdue, sur la nostalgie du passé, sur la préservation ou la conquête totale de la beauté, sur la peur de la disparition du sentiment amoureux, sur la fin des Paradis perdus. Ils sont toujours en perpétuel éveil, mais très inquiets, dominés par des interrogations sur la perte des repères et la vacuité du monde alentour. Les deux héros d’ « Amours mortes » sont deux écrivains français reconnus,  caricaturés, et dont l’ambition littéraire est moquée et revisitée par mes soins. Ces deux-là, chacun à leur manière, saturent sur cette société en profonde mutation.

Plus encore que la disparition de l’amour, – ou la dépravation du sentiment amoureux -,  au moins autant que la disparition de la jeunesse, parler de la disparition de l’identité, est une de mes obsessions d’écrivain. S’y greffent la quête des symboles tombés en désuétude, la désinvolture liée au langage et à la langue, et globalement, la perte de l’altruisme et tout ce qui rattache profondément aux sens.  C’est le rôle que j’ai attribué à mon dernier personnage, au centre de mon dernier roman à paraître – « Les exilés de la dictature ». Sébastian, Guillermo, Pablo est un héros inspiré par une histoire qui m’a été racontée. En quête de ses origines, empruntant un chemin long de mémoire, il souhaite dépasser tous les inconforts, les déplaisirs, et les sacrifices qui ont jalonné sa jeune vie. Le roman, comme tous les autres, est à la troisième personne ; c’est amusant de se senti marionnettiste dans l’âme, même si ça demande un peu d’habileté. Sebastian est sans artifice, ne se soumet à aucun compromis, aucune pitrerie sociale…Laura, le personnage féminin incarne l’anti-bovarysme, contrairement à ceux qui l’ont précédé, et qui étaient à part entière des plaidoyers pour la défense du roman de Flaubert « Madame Bovary ». On rappellera que le bovarysme tout d’abord pris dans la gangue d’un conservatisme moralisateur et souvent sexiste, non sans favoriser une lecture tout aussi moralisatrice de Madame Bovary, incarnera ensuite toute la positivité d’un désir salvateur jusque dans son pouvoir de subversion.

Les personnages de ce dernier roman me sont donc « apparus » un certain 21 juillet, alors que je dînais à la brasserie Saint-Malo de la rue d’Odessa. A une heure du matin, j’avais Samuel Barber en fond sonore et une citation de Serge Lifar sous les yeux « La nuit est plus belle si l’on n’en meurt pas.  Il y a entre la danse et la sculpture antique une corrélation si étroite que l’on peut affirmer que la sculpture est la fixation de divers moments dansés ». J’ai commencé à écrire près du Carrousel du parvis de la gare Montparnasse, avant qu’on ne retire celui-ci, au moment du grand chantier de rénovation de la Gare. J’ai pensé, raturé, mis des bribes bout à bout, juxtaposant ce que je voyais qui s’étalaient sur le papier tels de courts rêves éveillés. Un texte bizarre et imparfait a d’abord jailli. Je savais que je le retravaillerais pour l’insérer dans un des chapitres de ce qui s’apprêtait à devenir “tout miroir mérite réflexion” avant que je n’en change le titre.  Tous ces passages sur l’intensité de vivre et la quête d’identités multiples revisités par Sébastian et Laura sont dédiés à mes trois enfants.

Laurence Biava, 3 juin 2020

Laurence Biava est née en 1964 à Niort. Depuis 12 ans, elle est ponctuellement chroniqueuse littéraire sur des sites web tel, Actualitté : elle a collaboré à Fréquences Paris Plurielles, l’agence Pro-Scriptum, Unidivers, Buzz Littéraire et autres Webzines. En mai 2016, alors Marcheuse de la première heure, elle devient agent littéraire d’auteurs et d’artistes. En juillet 2017, attachée parlementaire en circonscription des Yvelines où elle réside. Depuis septembre 2018, elle a ajouté plusieurs cordes à son arc en montant d’abord sa micro-entreprise – LB–CLC – Conception, Littérature, Conseil – société littéraire et politique, et en devenant animatrice d’ateliers d’écritures.
Elle est également Présidente de deux prix littéraires – Le Prix Rive gauche à Paris et Le Prix des Savoirs.

BIBLIOGRAPHIE

« Ton visage entre les ruines » –  In Octavo Editions – septembre 2010.
« Amours mortes » –  Editions Ovadia – juin 2014.
« Porphyre » – Recueil de nouvelles Amours mixtes – Editions Félicia-France Doumayrenc
« Mal de mer » – Editions Ovadia  – Novembre 2015
« Je suis comme vous» – Récit autobiographique Pôle-Emploi – Editions Raconter la vie – (Seuil) – Printemps 2016
« Duetto François Mauriac » – Editions Les Nouvelles Lectures – Novembre 2016
« Les causes éperdues » – Editions Ovadia – avril 2017     
« En Marche – une histoire française » – Récit collaboratif – Editions Ovadia – novembre 2017
« Emmanuel Macron, mon futur antérieur » – Récit autobiographique – décembre 2018
« Duetto Parisis » – Editions Les Nouvelles Lectures – Novembre 2018
« Le Goût de la Politique » – Petit Mercure – Le Mercure de France – Mai 2020
« Les exilés de la dictature » – Le Lys Bleu Editions – Août 2020

A paraître : « 101 Menaces qui pèsent sur la planète et l’humanité » – pas le droit de révéler pour le moment le nom de l’éditeur
« Anthologie du féminisme » – Le Lys Bleu Editions – décembre 2020

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