Qui convoque qui ? Telle est la question…
Il reconnait cette sensation, ce trouble exquis.
Son intuition ne le trompe pas, d’ailleurs elle ne l’a jamais trompé.
C’est là, quelque part en lui, tout près de lui, à travers lui, entre lui et lui.
Il ignore toujours où loge ce qu’il croit être sa nouvelle créature, mais il est convaincu de sa présence. Il la flaire, la devine. Il pourrait presque en se concentrant sentir les premières pulsations de son cœur.
Quelque chose chuchote, susurre à son oreille. Quelque chose s’en vient.
Il frémit à l’idée de vivre encore une fois ce prodige. Parfois, il s’entend prononcer le mot : Miracle ! Son miracle !
Il se surprend à trépigner tant il a du mal à contenir son impatience. Alors il s’emploie à trouver un peu de quiétude en tentant prématurément un titre, en osant un prénom, un visage.
Il est certain de détenir les bons matériaux, la bonne semence pour parfaire son ouvrage que, sans nul doute, la postérité appréciera grandement.
Il sent bien que cette fois-ci, l’avènement sera sans précédent.
Toutefois, il s’interroge sur sa candeur et sa sincérité :
En est-il sûr ? Serait-il amnésique ?
N’avait-il pas ressenti le même émoi quand sous ses yeux ébahis se dessinait la subtile esquisse d’une silhouette encore floue ?
N’avait-il pas éprouvé ce même frémissement à l’écrit des premiers dialogues ? Et ces longs mois vécus étroitement avec chacune d’elles, les aurait-il occultés ? N’était-il pas sur le point de défaillir quand, de sa main hésitante, tremblante, il apposait le point final ?
Aurait-il l’outrecuidance de croire qu’il serait à l’origine de tout ?
Que lui seul serait en mesure de façonner à son image celles qu’il appelle ses créatures.
De quel droit s’octroie-t-il la paternité de ce qui, en vérité, n’est que largesse et donation ?
Qu’a-t-il fait de son humilité ?
Qui vient frapper à son cœur pour lui donner le souffle ? Qui convoque qui ?
Non, ce n’est pas lui qui choisit, et qu’il s’estime heureux que l’on vienne encore tambouriner à sa porte avec la promesse de combler ses grands espaces vides.
Qu’il se souvienne de cette phrase écrite sous la dictée : L’encre est au papier ce que le sang est à la chair. Et qu’enfin, il se réjouisse de cette nouvelle alliance, qui sera, comme l’ont été les précédentes, vécues pleinement, dans la liesse et le tourment. Entre fulgurance et latence, appétit et dégoût, douleur et jouissance.
Il est fébrile, et à nouveau submergé de gratitude.
À présent il peut accueillir celle qui sera peut-être sa nouvelle Antigone.
Florence Herrlemann – 4 juin 2020
Florence Herrlemann est née à Marseille. Elle navigue entre Lyon, où elle vit, et Paris, où elle travaille. Premier bain artistique à 15 ans à Nice, avec trois ans de cours de théâtre.
Plus tard, à Paris, ses rencontres avec de nombreux artistes lui permettent de « toucher » à la musique, l’écriture scénaristique et la mise en scène, avant de décider, en 2003, de passer derrière la caméra.
Elle réalisera, entre autres, un film de sensibilisation à l’enfance maltraitée, diffusé par le Ministère de la Famille.
Le festin du lézard, est son premier roman (Antigonne14) 2016.
Son deuxième roman, L’appartement du dessous (Albin Michel) 2019, est lauréat de deux prix : Prix du Jury de Moustiers -Sainte-Marie et prix du Printemps des Lecteurs.
Il est en lice pour le Prix Horizon du second roman – Festival littéraire à Marche-en-Famenne, Belgique et également pour le Prix « Roman Cabourg » au salon du livre de Cabourg.