Qui êtes-vous, où êtes-vous née, où habitez-vous ?
Qui suis-je ? Une question que je me suis souvent posée ! Peut-être est-ce pour ça que je suis devenue romancière, tant j’aime m’évader, inventer des personnages, à la fois un peu moi-même et des êtres issus de mon imagination ou inspirés par ceux qui m’entourent, ceux dont j’aime les défauts et les qualités, des héroïnes, surtout. Il est vrai que, depuis mes premiers romans, j’ai ressenti le besoin de sonder la psychologie des femmes. Née à Paris, 15e, j’ai grandi au Maroc, à Mohammedia, petite cité balnéaire où mon père dirigeait une usine textile. Nous étions cinq enfants. Avec mes frères et sœurs, nous passions notre temps dans le jardin à jouer, à monter des spectacles. Déjà, j’écrivais des histoires, je vivais dans mon monde imaginaire. J’avais treize ans, lorsque nous sommes rentrés en France pour nous établir à Mulhouse, en Alsace. Une adolescence rebelle, sujet de mon roman Les années solex, (Ed Héloïse d’Ormesson). À dix-sept ans, je suis « montée » à Paris où j’ai fait hypokhâgne, Sciences Po et lettres à Nanterre, avant de devenir animatrice socio-culturelle et de me marier. J’écrivais toujours, mais j’ai mis du temps avant d’oser montrer mes romans et de les publier. Ensuite, je n’ai pas arrêté… Aujourd’hui, j’habite près de la rue Cler, 75007. Un quartier vivant et commerçant. Celui dont je rêvais quand mes grands-parents habitaient dans ce quartier.
Vivez-vous du métier d’écrivaine ou, sinon, quel métier exercez-vous ?
Peu d’auteurs vivent de leur plume ! Les écrivains sont des artisans. Mes droits d’auteur complètent mes piges dans plusieurs journaux. J’ai été critique littéraire pendant douze ans à Marie Claire. J’ai collaboré aussi à Femmes, L’Express, VSD… Je continue à écrire des papiers pour Paris-Match, Version Femina, L’Arche, Fémi-9, Putsch et Service littéraire, un journal pour les écrivains, par des écrivains.
Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?
D’abord par la lecture. Enfant, je lisais beaucoup et je suis restée une grande lectrice. Au Maroc où nous vivions dans une grande maison entourée d’un jardin, je collais sur des cahiers des figurines et je leur inventais des histoires. À onze ans, j’ai lu Le Journal d’Anne Frank : une révélation. Bouleversée par les lettres d’Anne à Kitty où je me retrouvais, j’ai commencé à tenir un journal sur des cahiers. Moi aussi, j’écrivais à Anne Frank, ma confidente secrète. Je garde précieusement dans une armoire une trentaine de cahiers et je continue à tenir mon journal sur mon ordinateur. Il doit bien y avoir trois mille pages ! Ecrire pour moi correspondait, enfant, à une nécessité, une façon de trouver un espace de liberté face à une mère assez stricte. Par la suite, ce fut aussi un lieu de réflexion, d’émancipation et la matrice de plusieurs de mes romans. C’est là que mes idées naissent, que je suis au plus proche de mes désirs. Adolescente, j’ai traversé des phases de boulimie de lecture : une période russe, une autre « grands classiques », puis, plus contemporaine et surtout, des moments exaltants à découvrir la poésie. À l’époque j’écrivais des poèmes ! La poésie reste pour moi la quintessence de la littérature !
Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?
Le Rouge et le Noir de Stendhal ! Pour moi, un des plus grands romans de la littérature. Stendhal a le don de nous entraîner dans un monde poétique où les personnages, en quête d’idéal, rêvent leur vie, s’identifient à des héros. Le triangle amoureux dont parle René Girard est là : deux femmes, un homme. Julien Sorel se cherche. Son identité reste mystérieuse. Je connais ce roman presque par cœur car je l’ai adapté pour le théâtre. La pièce a été donnée au Lucernaire et j’interprétais Louise de Rénal !
Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?
J’ai une passion pour la poésie. Et j’aime les romans qui possèdent cette fameuse petite musique qui n’appartient qu’à l’auteur. L’histoire et l’intrigue ne m’intéressent que si le style les accompagne. Aujourd’hui, on a trop tendance à privilégier le « sujet ». Qu’importe, pourvu qu’il y ait du charme, que l’on se promène dans un texte avec délice. Bien sûr, je lis de tout, des essais aussi, de bonnes biographies, parfois romancées. Mais rien ne me touche plus que la découverte d’un auteur de talent. Jury dans plusieurs prix littéraires, cofondatrice du Prix de la Closerie des Lilas, je trouve que les prix doivent avant tout mettre en lumière un auteur ou une romancière en devenir.
Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?
Le plus excitant est la naissance d’un roman. Ces moments où je flotte, tâtonne, rêvasse, où des idées germent. Depuis toujours, je suis mon désir, je laisse venir des images, des scènes, je commence à écrire une histoire et je vois si je m’y sens bien, si « la mayonnaise prend. » Une période sur le fil, parfois inquiétante, avec des questions : ce sujet va-t-il intéresser ? Ai-je vraiment envie de me lancer dans cette aventure ? Peu à peu, les choses s’imposent. Si j’ai un regret, c’est d’avoir parfois répondu au désir des éditeurs. Les romans dont je suis la plus fière sont nés au plus profond de moi-même, après un long cheminement. J’ai mis quinze ans avant de rédiger la version finale des Années solex. L’écriture vient ensuite par couches. Un premier jet, pour suivre mes personnages, puis beaucoup de corrections. Je suis maniaque. Je retravaille beaucoup mes textes ! Certains sont au présent, à la première personne. D’autres, au passé, à la troisième personne, ce qui donne toujours plus de liberté. Celui que je viens de finir est au passé avec des monologues intérieurs au présent !
D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?
J’ai en partie répondu grâce à votre dernière question. Je m’inspire de tout. Pour Les Grandes bourgeoises, de femmes de mon entourage. Pour mes romans historiques, de personnages d’époque, avec toujours, une part de fiction. Il y a, dans chacun de mes personnages, un peu de moi aussi. Pour les nourrir, je puise dans la palette de mes émotions, comme une comédienne se sert de ses « équivalences » pour interpréter un rôle. L’essentiel, avant d’écrire, est de penser à son histoire, de la sentir, de donner un objectif à ses personnages, afin qu’ils aillent jusqu’au bout d’une aventure. Comme dans un film. Dans quel état est-il ? Quels sont ses manques, ses fragilités ? Quel est son désir ? Dans le roman sur lequel je travaille, Camille va mal. Elle a peur, se culpabilise, s’interroge. Au moment où son mari la délaisse, elle éprouve le besoin vital de chercher dans son histoire familiale l’origine de son mal-être. Ce travail de construction d’un personnage est le socle du roman, car il va permettre de le suivre, de le faire évoluer. Le temps pour qu’il prenne vie ? Des heures de concentration, de rêve, de moments loin de mon ordinateur, ces moments futiles, parfois en vélo, dans sa cuisine, où des idées jaillissent. Après, c’est tout un art de rester proche de celui ou de celle qui va vous échapper, de l’intrigue, de son dénouement.
Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?
Je ne choisis jamais le titre avant d’écrire ou alors, j’ai des idées, mais pas forcément les bonnes. Là encore, il s’impose. Je tire souvent mes titres de poèmes, comme ceux d’Eluard, ou d’une phrase du roman, comme « Je ne vis que pour toi » extrait de mon dernier roman chez Calmann-Lévy. Les titres comptent bien sûr, mais le tout est de ne pas décevoir le lecteur. Sagan avait cet instinct-là. Mes titres préférés sont ceux des romans que j’aime. Des classiques – j’y reviens toujours ! Ceux de Proust, de Balzac, de Flaubert, de Dostoïevski, de Nabokov, de Virginia Woolf, Jane Austen, Edith Wharton, Hemingway, Fitzgerald, Zweig, Faulkner, Duras, Nathalie Sarraute, Houellebecq, Amélie Nothomb, Modiano, Le Clézio, Patrick Besson, Éric Neuhoff, Sébastien Lapaque, Anthony Palou… et tant d’autres !
Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?
Je les aime ! Je vis avec eux. Ils occupent toutes mes pensées, tout mon temps. Le temps d’un roman ! Quand j’écris, je ne lâche jamais le fil, au risque de le perdre. J’écris tous les jours. À n’importe quelle heure. Avec des pauses. Souvent jusqu’à deux heures du matin ! Mes personnages m’agacent, me font pitié, me séduisent, m’amusent, me révoltent, tour à tour, radins, lâches, peureux, ambitieux, chaleureux, sensuels, volages… Comme ils possèdent des parcelles de moi, je les comprends ! Beaucoup de mes héroïnes sont assez naïves. Elles ne se protègent pas assez et tombent souvent dans le piège, comme ma chère Valentine, dans Je ne vis que pour toi. Mais aussi, Juliette des Années solex et de Que tout soit à la joie, la bande de voisins du Bonheur en prime et mes dames du temps des Précieuses, de Molière et de Watteau. Ces femmes ont tout de même une sacrée volonté et se battent pour vivre libres ! Je les invente à partir de ce qu’elles ressentent, de leurs frustrations, leurs inhibitions, leur faiblesse, leur force. Et leur but dans la vie, voire leur obsession ! Leur situation, le monde dans lequel elles évoluent les influencent. Ensuite, je les mets en scène. Elles surmontent des obstacles, se perdent, se morfondent, tombent amoureuses, s’émancipent… J’avoue que ce travail est « ma cuisine » intérieure et que j’ai du mal à l’expliquer, au risque de la réduire.
Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.
Mon dernier roman Je ne vis que pour toi m’a été inspiré par Natalie Barney, cette riche Américaine, femmes de lettres au pouvoir hypnotique. Nous sommes en 1904. Valentine Beauregard, personnage de fiction, vit en Bretagne et rêve d’être introduite dans les salons parisiens et d’écrire. Comme Colette, elle épouse un parisien lancé et s’installe dans la capitale. Lors d’une soirée, elle rencontre Natalie Barney. L’amazone tente de la séduire. Valentine repousse ses avances et accepte de la revoir à La Closerie des lilas. Pygmalion, « Natty » lui donne des conseils, jusqu’au jour où elle l’invite chez elle. Une révélation pour Valentine, le début d’une liaison clandestine, d’intrigues, de rencontres avec les artistes de la Belle Epoque, dont Marcel Proust, Colette, Liane de Pougy… Un petit monde fascinant et amical qui se réunit chez Natalie Barney, rue Jacob. J’ai adoré écrire ce roman.
Actuellement, je travaille sur un roman contemporain où une infirmière d’une cinquantaine d’années, plutôt mal dans sa peau, va partir à la recherche de son passé familial, et se plonger dans l’époque de la guerre de quarante, de la Résistance, de l’enfer des camps d’extermination. Une intrigue autour d’un secret de famille.
Photo d’Emmanuelle de Boysson : copyright @marcanoinecoulon