En dépit de cette période où l’on nous exhorte de garder la distanciation sociale, la littérature, à travers les livres au corps délicat fait de papier ou en format électronique, nous offre la possibilité de faire une connaissance quasi épidermique avec des personnages fascinants. Elle nous aide à garder une certaine distance face à nos propres peurs et à nos angoisses, à donner du moins une explication à l’inexplicable et à continuer à vivre. La bonne littérature nous apprend comment faire ressortir des passions ardentes dans l’état d’immobilité où nous sommes, comme le disait Rober Guillain dont je prends la liberté de citer ici cette formule tirée de son livre Les Geishas : « Une émotion violente derrière un visage impassible ». Il n’est pas nécessaire de bouger, de voyager pour contenir le monde, parfois il suffit de pratiquer la méditation, de cueillir la rosée du matin en pensée, de laisser les choses se faire, de ne pas s’y opposer.
Une situation limite peut devenir fertile pour un auteur poussé ainsi de manière aigüe à la création. La tension sociale peut se contenter d’une place discrète et se placer derrière le sujet d’une œuvre. Elle peut être ce filon profond, ce murmure qui aide les âmes à se mouvoir. Un livre que j’ai beaucoup aimé pendant mon adolescence a été « L’Île à hélice » de Jules Verne. C’était dans les années ’80 quand on ne pouvait pas voyager hors de nos frontières. Aidée par cette île de Jules Verne j’ai réussi quelque chose d’inimaginable, j’ai compris que ce voyage-là était réel, que la réalité pour un écrivain ou un lecteur n’est pas uniquement une réalité immédiate, palpable. Son monde sans fin s’ouvre comme un coffre rempli de trésors ou comme une boîte de Pandore, la littérature authentique inonde les recoins de l’âme et de l’intelligence avec une indescriptible sincérité. Cette absence d’hypocrisie, ces moments de retour vers soi-même peuvent avoir la vertu d’une survie au-delà du quotidien et devenir ainsi une forme de salut. La littérature aide ses lecteurs à sortir du cercle de leurs propres obsessions, leur offrant d’autres pistes de réflexion, pas forcément thérapeutiques, mais plutôt, et de manière encore plus profonde, cathartiques.
Que nous soyons à un pas de la peur ou du courage, nous resterons toujours maîtres de nos choix. L’imagination débordante et le geste trop hardi se refusent toujours à l’artiste dans des situations de vie étranges, je pense par exemple à Goya en train de peindre les horreurs de la guerre.
Le monde avance, souvent sans rien apprendre des leçons de la vie, la littérature, elle, recueille les enseignements de toutes ces expériences, les mets en décantation, en créant ainsi la forme la plus belle de rapprochement social et humain.
Alina Gherasim est une écrivaine, artiste-peintre et illustratrice roumaine, née en 1973 à Bucarest. Elle est diplômée des Beaux-Arts et membre des l’Union des artistes plasticiens de Roumanie. Elle a participé à plusieurs expositions de peinture en Roumanie, au Portugal et aux États-Unis. Elle a débuté en littérature en 2016 avec le volume Femeia-valiză aux Éditions Oscar Print. D’autres ouvrages ont suivi, comme Colonia de cormorani (2017) et Armor (2018), le roman Liniște, începe apusul! (2019). Elle est également l’auteure de deux romans pour adolescents: Noemi știe ea de ce et Noemi știe ea de ce e la Paris.
Elle a participé au Salon du livre Gaudeamus de Bucarest où ses livres ont été accueillis avec un franc succès de la part des critiques et du public.
(Traduit du roumain par Dan Burcea)