Écrire, aimer, être
Cet après-midi, le ciel est déchiré par un hélicoptère rouge, un gros insecte qui sauve des vies. Les gens ont peur, rient, pleurent, s’indiffèrent, passent, s’arrêtent, mangent, écrivent, font de la peinture, chantent, dorment, la vie s’écoule fidèle à elle-même en-dessous du mouvement continu de la machine à hélices. Rien de nouveau, rien de démodé, aucun refus venant de l’histoire, la réalité ne peut pas se permettre une telle chose, rien donc ne pourrait interdire aux gens de telles expériences libératrices. Et puis, il y a toutes ces marches inégales des escaliers, toutes ces manières différentes de percevoir le réel visible ou invisible, tout ça se déploie sous ce ciel, dans ce lieu où nous sommes tous censés y vivre.
Lorsque j’écris, je reconstruis le monde en me servant des lettres comme dans un jeu de pièces minuscules. Parfois, j’en perds quelques-unes tout en ayant peur que mon message manque de clarté et ne sera pas assez compris, d’autrefois je me retrouve avec trop de pièces et je risque de fabriquer trop de phrases, poussée dans ce cas par une vanité trop gourmande. Quand on regarde la lumière d’une étoile très éloignée, on regarde en fait le passé. Nous sommes les contemporains de la lumière de ceux qui nous ont précédé. Des gens qui ont d’abord regardé le monde, l’ont peint, l’ont décrit. Ils ont imaginé le cosmos comme un infini continuellement changeant, ont écrit des livres sur la vie et la mort, en Egypte ou au Tibet, ont tenté d’y renfermer des savoirs et des sagesses, tout ce que ne pouvait être en fait possible de faire dans la vraie vie. La pensée prend la forme d’une lettre, la semence devient germe du logos éternel. Sa nature n’est pas statique, elle est un pur changement.
L’écriture met toutes les choses vécues en suspens, surtout l’amour. Sous le soleil ardent de l’été triomphant, fascinée par les flocons silencieux, humant les feuilles cuivrées, j’essaie de rassembler assez de matière pour mes nouveaux romans ou essais. Écrire sur les choses ou les événements qui me font peur n’est pas chose facile, pour moi la peur est un indicateur pertinent. J’y puise le sujet qui me préoccupe : il est là, il faut le mettre en lumière, il fait mal, transforme-le en effluve et en contes qui seront utiles aux autres ou juste à toi-même. C’est ainsi que se fait entendre l’écho tombé du ciel.
Ce qui m’émeut le plus ce sont les choses minuscules, leur insignifiance : un geste protecteur, une main couvrant la bouche, une tête baissée, un dos en dents de scie alangui sur le sable, ou les moments enflammés, les instants où la vie sort ses crocs sous le soleil ardent et nous montre le chemin. Et au-dessus de tout ça flottent l’éphémère, le provisoire, l’éternelle permanence.
Le ciel vespéral est déchiré par un hélicoptère rouge, un gros insecte sauveur des vies. La vie continue, la littérature en fait partie.
Alina Gherasim, 3 septembre 2020
Crédits photo : Mihai Constantineanu
Alina Gherasim est une écrivaine, artiste-peintre et illustratrice roumaine, née en 1973 à Bucarest. Elle est diplômée des Beaux-Arts et membre des l’Union des artistes plasticiens de Roumanie. Elle a participé à plusieurs expositions de peinture en Roumanie, au Portugal et aux États-Unis. Elle a débuté en littérature en 2016 avec le volume Femeia-valiză aux Éditions Oscar Print. D’autres ouvrages ont suivi, comme Colonia de cormorani (2017) et Armor (2018), le roman Liniște, începe apusul! (2019). Elle est également l’auteure de deux romans pour adolescents: Noemi știe ea de ce et Noemi știe ea de ce e la Paris.
Elle a participé au Salon du livre Gaudeamus de Bucarest où ses livres ont été accueillis avec un franc succès de la part des critiques et du public.
(Traduit du roumain par Dan Burcea)