Musicienne dans un groupe de folk et passionnée par l’écriture, l’institutrice longovicienne Gaëlle Gengenbach débute cette année en littérature avec un premier recueil de nouvelles, « La rupture », publié aux Éditions Vérone. Il s’agit de 17 textes courts à forte connotation autobiographique que la jeune auteure qualifie de « revanche », de « pied de nez à la vie ». Parmi ses sujets de prédilection il y a bien entendu celui de la rupture amoureuse aux accents dramatiques d’une jeune-fille désespérée après le départ de son amoureux, mais aussi d’autres thèmes qui mettent en scène des drames personnels ou familiaux.
En mars, Gaëlle faisait sa première apparition comme auteure aux Ailes du livre de Longwy.
Nous avons voulu en savoir plus sur ses premières impressions lors de cette rencontre avec ses futurs lecteurs et sur ses projets d’écriture.
Chère Gaëlle Gengenbach, bienvenue sur le blog des Lettres Capitales ! Pourriez-vous nous parler de votre parcours ?
Tout d’abord, je tiens à vous remercier de l’intérêt que vous portez à mes écrits. Mon parcours est assez simple, en fait. Dès mon plus jeune âge, je souhaitais être professeure des écoles. J’ai étudié à l’école Notre-Dame-Saint-Sigisbert à Nancy. Au lycée j’ai longtemps hésité à prendre la filière L mais je voulais me débarrasser de la physique-chimie, alors j’ai opté pour la filière ES (économie et social). J’ai retrouvé ma passion pour les lettres à la fac en choisissant les Lettres Modernes. Etant en même temps très attirée par le domaine du spectacle, j’ai fait une double licence en Art de la scène. En licence 3, nous avions des ateliers d’écriture. Chaque semaine nous devions écrire un texte à partir d’une consigne spécifique. C’est à ce moment-là, je crois, que j’ai développé une réelle passion pour l’écriture.
S’agit-il d’un rêve qui se réalise par la parution de votre livre ?
Un rêve je ne sais pas, mais c’est en tout cas un objectif que j’ai mené à son terme et j’en suis fière. Je me revois il y a quelques années dire à mes parents : « Un jour de toute façon je publierai un recueil de nouvelles. » C’est maintenant chose faite ! Je ne saurai vous dire comment m’est venue cette idée. Quand j’étais gamine, j’essayais d’écrire des poèmes, des paroles de chansons aussi. Je me souviens qu’au collège, j’en avais écrite une pour un garçon qui me plaisait. Cela m’avait valu pas mal de moquerie (parce qu’évidemment, je lui avais chanté. Sur sa messagerie de téléphone en plus ! (-rire-) mais je ne me suis pas laissée abattre. C’était ma façon de m’exprimer. Pourtant je ne suis pas quelqu’un de timide, mais j’ai toujours eu plus de facilité à poser les mots. Cela leur donne une certaine force. Cela permet aussi de rendre les choses plus réelles et de les organiser : de réfléchir à ce que l’on va dire et comment le dire. A l’écrit, on a le temps de « tourner sept fois sa langue dans sa bouche ». Ça évite de s’y perdre.
Vous passez de la lumière de la scène à celle de la littérature. Quel lien y a-t-il pour vous entre la musique et l’écriture ?
L’écriture comme la musique sont des passions. Cela peut paraître bizarre mais je ne pense pas que je les travaille. Je les vis, simplement. La musique je l’interprète. Jusqu’à présent, je n’ai pas composé grand-chose. C’est d’ailleurs un regret mais je n’y arrive pas (rire). L’écriture est, elle, une façon de composer avec ma vie et celles des autres.
Vous avez déclaré à plusieurs reprises que beaucoup de textes – surtout ceux du cycle de la Rupture – ont une forte connotation autobiographique. Comment décide-t-on à se mettre à nu et mettre sur papier de telles histoires qui parlent ouvertement du désarroi amoureux ?
En effet, ces textes ont une forte connotation autobiographique. Comme la plupart des textes de ce recueil d’ailleurs. Comme je le disais précédemment, écrire me permet de rendre les choses plus concrètes, d’en prendre pleinement conscience. C’est aussi une façon d’extérioriser tout ce que j’ai en moi et qui ne veut pas sortir. Le premier texte sur la rupture n’était pas du tout destiné à la publication. En fait, je l’ai écrit pour mon ex. Le jour où nous nous sommes quittés, je n’arrivais pas à parler. Muette comme une carpe. C’était son idée en fait. Il m’a demandé de lui écrire en rentrant chez moi. Il savait que j’étais plus à l’aise sur le papier et il avait envie de savoir ce que je pensais de tout ça. Alors il m’a demandé de lui écrire un mot. A peine rentrée chez moi, j’ai ouvert mon ordinateur et j’ai commencé à écrire. Je ne sais pas pourquoi mais c’était plus simple pour moi de le faire sous forme de texte. Sans doute que cela m’a permis de mettre une certaine distance…
Ce texte, je l’ai envoyé à quelques amis proches aussi. Il traduisait exactement mon ressenti. Et il était pour moi, la meilleure façon de le partager avec mes amies qui ne comprenaient pas ma tristesse. Tous ceux qui l’ont lu, mon ex compris, m’ont fait des compliments sur ma façon d’écrire. J’y ai vu une ouverture vers un projet d’écriture. Ce recueil dont je parlais si souvent.
Au fil des mois, j’ai écrit de nombreux textes sur l’évolution de cette souffrance « post-rupture ». Je n’en ai sélectionné que trois pour le recueil. Après tout, cela tourne souvent autour de la même chose (rire). Je partage une expérience intime dans ces textes mais après tout, qui n’a jamais connu de rupture ? J’ai juste décidé de coucher sur papier ces émotions que beaucoup ne veulent pas accepter lorsqu’elles leur tombent dessus. Les retours que j’ai eus me confortent dans ce sens. On se sent tellement faible lorsque cela nous arrive. Seul aussi. On se sent incompris et jugé en permanence parce qu’après tout, « il y en aura d’autres ». Finalement, on a presque honte d’être aussi triste et déprimé. J’ai souhaité dire à toutes ses âmes en peine, « vous n’êtes pas seule et votre tristesse est légitime ».
Quant aux autres sujets, où avez-vous trouvé la source d’inspiration ?
Dans ma vie (rire). Chaque texte s’inspire d’un événement vécu, soit par moi-même, soit par des proches. Après, tout est romancé. La part de vécu y est importante mais les faits ne sont pas toujours retranscrits tels quels. Seul le texte Pacific Coast Highway est une pure fiction. C’est d’ailleurs un des textes que j’avais écrit pour mon atelier d’écriture à la fac.
Comment avez-vous passé ensuite à la phase de l’écriture ? Cela me conduit à vous poser la question de manière plus générale pour savoir comment écrivez-vous ?
J’écris quand me vient l’inspiration. Il m’est déjà arrivé plusieurs fois d’avoir des idées de thèmes, d’histoires, mais si je ne les écris pas quand elles me viennent, je les perds et je n’arrive pas à produire de texte. J’écris d’un trait. Comme ça vient. J’y fais ensuite quelques retouches mais le plus souvent c’est un « one shot » (rire). Depuis peu, je m’enregistre lorsque j’ai une idée, pour essayer de ne pas la perdre. Et je la reprends une fois chez moi.
On notera chez vos personnages une incapacité de franchir dans leur relation amoureuse un moment fatidique qui les empêche à accéder au bonheur. D’autres sont confrontés au suicide, au viol, à la drogue et à la fragilité de leurs êtres. Un de vos personnages finira par dire « je ne vois jamais le bon côté des choses ». Des sujets trop violents pour votre âge, ne trouvez-vous pas ?
Les psychologues seront sans doute heureux de se pencher sur le sujet. (rire) Il y a, certainement, une analyse à faire quant à cette incapacité à franchir le moment fatidique pour être heureux. Le titre du recueil l’annonce, d’ailleurs. Mes personnages sont confrontés à des situations très complexes. J’ai été confrontée à des situations très complexes et douloureuses. Malheureusement, il n’y a pas d’âge pour cela. « La vie n’est pas un long fleuve tranquille », comme l’a bien dit Monsieur Chatiliez.
Dans ce recueil il y a aussi des textes remplis d’humour qui feront le délice des lecteurs. Par exemple, celui sur la chaudière. Quelle place occupe l’humour dans votre univers littéraire ?
Oui, le texte sur la chaudière est assez humoristique. J’avoue que pour les autres textes l’humour est peu présent car, comme dit précédemment, les sujets abordés sont assez noirs. Cependant, je pense que l’humour est entre certaines lignes, dans quelques phrases ou avec des fins déroutantes comme dans Les souvenirs s’effacent.
Puisque vous parlez d’une revanche, doit-on accorder à la nouvelle « Eh toi, le mec là-bas » dans laquelle vous déclarez les hommes incapables d’aimer comme une conclusion, une compréhension aux souffrances des femmes ?
Ce texte n’était pas prévu à l’origine du recueil. Il a été ajouté peu de temps avant la finalisation du « bon à tirer ». En fait, il est le résultat d’une agression que j’ai subi dans les rues de Nancy en rentrant de soirée. Ce n’est pas, pour moi, un texte qui déclare les hommes incapables d’aimer car, heureusement, certains le sont et j’en ai de très bons exemples dans mon entourage. Non. C’est plus une façon de pointer du doigt tous ces hommes qui nous voient comme des objets et pour qui chacun de nos gestes est perçu comme un accord, voire un encouragement à avoir des comportements déplacés. Une fois encore, j’y traite un sujet sensible dont beaucoup de femmes n’osent pas parler car elles se sentent honteuses. J’ai eu de la chance ce soir-là (c’est horrible de le voir comme ça, d’ailleurs) mais trop de femmes sont victimes d’agressions (parfois bien plus graves) et n’osent en parler car les premières réactions seront : « en même temps t’as vu comment t’étais habillée … ». Alors on se tait et on laisse ses goujats gagner … et continuer. Ce texte a plus pour vocation d’encourager les femmes à parler de leurs souffrances, à les partager, plutôt que les subir.
Vous naviguez avec brio entre une oralité désinvolte qui refuse toutefois le jargon et un langage qui conserve sa qualité littéraire et manie de brillantes anaphores et autres tropes. C’est votre côté institutrice qui agit dans ces cas et vous guide à trouver votre voie ?
(rire) Je me souviens de l’écriture de mes premiers textes. Mon père me disait souvent que mes phrases étaient beaucoup trop longues, que l’on s’y perdait. Je lui ai rétorqué que c’était mon style et que j’aimais écrire comme cela. Une Zola en puissance. (rire) Et puis… un jour, j’ai découvert l’Etranger d’Albert Camus et sa première phrase « Maman est morte ». Une phrase de trois mots avec un impact incroyable. Je me suis dit que mon père avait raison. Les longues phrases, on s’y perd et on ne va pas à l’essentiel. J’ai donc pris le parti d’essayer d’écrire avec des phrases percutantes, et courtes, ce qui colle parfaitement aux différents sujets abordés. J’ai aussi pris le parti d’écrire « comme je parle ». Je trouve cela plus naturel et accessible à la lecture. Même si je ne l’utilise pas dans tous mes textes. Après, comme dit précédemment, j’écris comme ça vient et je ne suis pas sûre de prêter une réelle attention à toutes ces figures de style.
Vous avez déclaré à une autre occasion que vous avez un autre projet d’écriture. De quoi s’agit-il ?
En effet, je continue d’écrire et j’aimerai publier un nouveau recueil. Les textes parleront toujours de sujets sensibles mais on en trouvera aussi d’autres plus légers. Ce premier recueil était le résultat d’un besoin, le second sera celui d’une envie. La volonté de partager des expériences abordant toujours des sujets sensibles mais avec un peu plus d’optimisme.
Interview réalisée par Dan Burcea
Crédits photo: Flo Didier (Flotographe)
Gaëlle Gengenbach, « La rupture », Vérone Éditions, 2019, 76 p.