« Jacky » – le nouveau roman de Geneviève Damas

 

 

Après François, le héros du roman « Si tu passes la rivière », après Juliette, la fragile « Bluebird », l’écrivaine bruxelloise Geneviève Damas nous propose l’histoire d’une amitié saisissante entre Ibrahim Bentaieb, un lycéen Belge d’origine marocaine, fiché S, et Jacky Apfelbaum, un juif habitant les beaux-quartiers de Bruxelles. Les deux personnages font face aux mêmes «questionnements sur les raisons de leur existence et sur ce qui les fait se lever chaque matin et leur donne de la force». Nous reconnaissons en cela, le thème récurrent de l’univers romanesque de Geneviève Damas qui décrit la quête de sens chez des personnages forcés à franchir brutalement le seuil vers l’âge adulte. C’est en racontant cette amitié dans un mémoire de fin de lycée sur un sujet de société qu’Ibrahim, qui endosse ici tout naturellement le rôle de narrateur, va parler de Jacky, son ami rencontré à l’occasion d’un atelier inter-écoles avec les élèves de son lycée, Bertrand Ruwet, les chrétiens de Saint-Barthélemy et les juifs de Beth-Yaldouth. Pour ces élèves, appelés à faire connaissance en partageant une journée d’école, il s’agissait d’une occasion idéale pour essayer de se connaître et de faire tomber ainsi les barrières et les clichés entre des groupes enfermés dans le communautarisme. La règle prévoit de discuter par binômes désignés par leurs professeurs. La consigne est simple, ils vont se parler, se présenter à tour de rôle et écrire ensuite un portrait de l’autre. Les classes se mélangent et la surprise s’installe parmi ces interlocuteurs intimidés par la découverte d’une altérité inattendue qui jaillit et qui cesse comme par miracle d’être vue comme une différence. On voit même des visages empourprés par une inhabituelle pudeur devant le regard de l’autre. Mais on constate surtout le sentiment communément partagé à travers cette rencontre inattendue et ce dialogue, quelque chose qui fait du bien et raisonne comme un écho rassurant pour tout le monde. Il suffit, par exemple, de lire les paroles de Latifa qui écrit sur Ben, le jeune juif de Beth-Yaldout : « Lui et moi, on est pareils, on a la même colère, on hait ce monde de violence ».   

C’est donc ainsi qu’Ibrahim fait la connaissance de Jacky Apfelbaum dont voici le portrait succinct qu’il dresse après leur discussion : « Il a les cheveux noirs, les yeux noirs, des lunettes à monture noire. Il mesure 1,67 m, il porte un sweat, un jean, des baskets. Il rit beaucoup ». Rien d’essentiel à première vue, mais rien de si simple non plus, si l’on prend en compte les préjugés qui oppressaient leurs cœurs avant cette rencontre. Si les autres relations d’amitié scellées à cette occasion ne vont pas durer, celle entre Ibrahim et Jacky va se poursuivre et leur permettre d’écrire de magnifiques pages de complicité, de partage, de soutien inconditionnel, les aidant non seulement à se découvrir mais à essayer de réparer mutuellement leurs blessures. Elles sont nombreuses ces blessures qui proviennent, comme nous le verrons, pour les deux, d’une fracture affective, d’un manque d’amour survenus à un moment ou à un autre de leur fragile existence. C’est sur cette fracture que Geneviève Damas assoit la description de ses deux personnages, Ibra et Jacky, cherchant à leur offrir, comme dans un monde idéal, l’occasion de se reconstruire et de surmonter les rigueurs imposées par la famille, la société et la religion, d’une part et les fantômes de leur passé, de ‘autre, mais surtout à puiser en chacun une force réparatrice dédoublée et capable de panser les plaies de leurs doutes et de leurs douleurs. Pour cela, les occasions de manifester leurs passions communes ne manqueront pas : il y aura la course à pied ou le concours de graphes – deux événements qui auront leur importance et leur valeur symbolique dans l’économie du roman. D’autres événements donneront une tournure dramatique à leur relation, d’autres fragilités se dévoileront pour redire ce qu’ils vivent et comment ils vivent.

Reste une question ultime soulevé par l’histoire de ces amis devenus inséparables : dans quelle mesure la volonté d’entraide, ainsi que la connaissance de l’autre peuvent-elles sauver deux âmes tourmentées comme celles des deux jeunes amis ? Sont-elles capables de guérir les blessures du passé qui risque à

 tout moment de les rattraper ? La réponse réside dans le développement et la fin de cette histoire bouleversante, écrite avec tant de justesse par Geneviève Damas. L

Pour Ibrahim et Jacky, le défi de cette fin d’études était de saisir « l’occasion d’approfondir un sujet qui vous passionne, et de vous découvrir » : les deux sont accomplis même si leur destins leur réservent bien des surprises. Le pari est parfaitement réussi, faisant du roman de Geneviève Damas un livre actuel et juste, comme un baume capable de cicatriser des blessures insoupçonnées, douloureuses et profondes. 

Dan Burcea ©

Crédit photo: Francesca Mantovani Éditions Gallimard

Geneviève Damas, Jacky, Editions Gallimard, 2021, 160 pages. 

http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Jacky

 

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