Quand je ne dors pas je lis, je regarde les étoiles ou je fais un feu en lisière de forêt.
Quand je ne dors pas je rêve à d’autres vies, je rêve à ce que je pourrais être, aux endroits où me perdre.
Et même si rien n’arrive, cela n’a pas grande importance, puisqu’en définitive, ce qui compte c’est de pouvoir rêver.
Oui, quand tout s’éteint la nuit, il y a les braises, les étoiles et les livres, autant de scintillements qui traversent le néant : balises incandescentes, éclats lumineux suspendus au vertige. Dans un ciel obscur ou dans la solitude d’une maison, des constellations poétiques se dessinent – triangle d’hiver à cheval sur l’équateur céleste.
Des noms et des rêves.
Des mots qui se cherchent et qui s’aiment dans le frémissement d’une voix.
Les histoires sont nées, il y a longtemps, entre les braises et les étoiles, dans les premiers regards traversés de stupeur.
J’ignore ce qu’est la littérature mais je sais à quoi ressemble un feu.
Un feu s’intéresse à vos émotions, il vous écoute, vous sonde, s’accorde aux battements de votre cœur dans un mouvement ardent et hypnotique. Rouge comme la braise et le sang. Rouge. Le feu danse pour que la réalité se fissure et que nos mondes enfouis, peuplés de songes, prennent place dans le lit du temps.
Un chant ancien souffle et les pages se tournent, les mots crépitent. Dans le trouble de l’embrasement, les imaginaires s’entrelacent comme des corps invisibles pour que nous devenions autre.
Nous sommes le vent, nous sommes la nuit, nous sommes chaque fragment que l’on désigne : l’insecte, l’arbre, la pierre, l’émotion, les mots qui surgissent et ceux qui les inventent. Quelque chose d’étrange se passe autour d’un feu comme dans l’intimité d’une lecture.
Il y a un mystère là où l’espace et le temps se rassemblent, où le fracas du monde s’apaise.
Les livres mettent de l’ordre au milieu du chaos, ils balisent notre errance et c’est peut-être là qu’intervient la littérature, formant un écheveau de constellations, une cosmogonie de pensées et de mots tissée par l’imaginaire des hommes.
Lodewijk Allaert
13 mars 2021
Lodewijk Allaert, né en 1980 à Dunkerque, est un écrivain et voyageur au long cours. En 2007, il entreprend une expédition de 110 jours en kayak, de Budapest à Istanbul, dont il tire le récit Rivages de l’Est (Transboréal, 2012), salué par la critique et lauréat du prix René-Caillié. Il s’installe ensuite au Mexique, dans l’État d’Oaxaca, où la pratique du surf lui inspire l’essai philosophique L’Instinct de la glisse (Transboréal, 2011), prix du Livre de mer. En 2013, il se lance dans une traversée à pied intégrale de l’arc des Carpates, objet de son dernier ouvrage : Carpates, La traversée de l’Europe sauvage (Transboréal, 2019). Il est également auteur de nouvelles, de récits et de poèmes, publiés dans des revues et des ouvrages collectifs.