Nature vivante avec Carmen Pennarun : Saint-Just où filent les siècles sous l’étreinte de mes  semelles

 

Mes pas dans la lande suivent la bande de sable blanc qui serpente de menhir en tumulus. C’est aujourd’hui et c’était hier aussi, mais hier il fallait se frayer un chemin.

Je me vois quelques années auparavant ouvrant un passage parmi les ajoncs, les fougères.

Était-ce moi cette silhouette chaussée de bottes ?

J’explorais une terre dont j’ignorais tout, une terre forte de roches de schistes, de grés, de poudingue – des pierres plus ou moins effondrées qu’il me semblait remettre d’aplomb par ma présence attentive à son propre équilibre.  Quel cromlech ai-je ainsi traversé, ignorant son alignement ? Je me retrouvais au centre d’un océan écumant de bruyères, de lichen, et regardant derrière moi, je cherchais la trace de mes enfants pas encore de ce monde mais si présents.

Etait-ce moi cette silhouette chaussée de sabots, en un temps plus reculé encore ?

Quand nous sommes présence, et que tout notre être intérieur s’accorde à l’extérieur, se laisse mesurer par l’hygrométrie des lieux, par les senteurs de l’air, la robustesse du sol et toutes les couleurs qu’il perçoit, ces sensations viennent se nicher en nous et elles font fi du temps, elles abolissent des barrières, élargissent la conscience. Nous sommes un avec la nature et le lieu se laisse deviner à différentes périodes de son histoire.

Une année, les landes, au retour de mes vacances, étaient devenues un champ de ruines végétales, même les mégalithes porteraient, longtemps, traces de cette catastrophe due à la sécheresse. Durant plusieurs saisons, la pluie, le vent, allaient laver l’outrage du feu, mais les lieux eux, perdraient à jamais cet abord sauvage qui les avaient protégés durant des millénaires.

Les grands travaux de fouilles allaient commencer en 1978, année où naquit mon fils aîné.

Et je souris en pensant à ce calendrier de vie de femme que je calque sur une terre habitée depuis le néolithique, mais la nature s’y goûte au jour le jour comme on effeuille une éphéméride, comme si le temps dans la succession de ces instants vécus nous était donné pour l’éternité.

M’imaginer à Saint-Just peu avant l’incendie qui a ravagé le site ne m’éloigne pas de la réalité, mais ouvre mon âme exploratrice à la perception de davantage de beauté.

C’est ainsi que je me laisse surprendre par une lumière qui met en valeur un arbre, un seul. Pourquoi celui-là aujourd’hui ? Je ne saurais le dire, il se dresse droit devant moi, la végétation a installé pour lui son tapis de cérémonie. Il était l’unique objet de ma visite et je lui accorde avec gratitude quelques moments d’immobilité. Deux êtres un temps enracinés côte à côte.

Parfois les ouvrages des araignées rivalisent de délicatesse quand la rosée les perlent de diamants éphémères, c’est là entre ajoncs et genêts avec en fond le mauve de la bruyère une merveilleuse parure que seul un peintre saurait saisir d’un pinceau délicat.

Jour de ciel bleu. Sur une hauteur une vision accordée aux armoiries de la Bretagne ; le noir regard d’un cheval à la robe blanche. Sable et argent, comme l’hermine.

Oserai-je dire cette rencontre avec un chien en cette année 1989 ? Il me suivit durant toute ma promenade. Mon cœur était si lourd, j’ai puisé dans son regard la tendresse que je ne pourrai jamais donner à mon enfant perdue.

Toutes les larmes que je retenais depuis des mois se sont libérées. J’ai déposé mon fardeau.

Nouvel incendie, nouvelles photos aériennes qui ont permis de déterminer où le sol devait être fouillé, où les pierres demandaient à être relevées. C’est dans les cendres que lichens et bruyères allaient reprendre vie, que les broussailles et les arbres allaient trouver la force de croître tandis qu’en moi renaissait la confiance en la vie. J’avais la certitude de porter un jour un autre enfant, il verrait le jour et viendrait lui aussi, à son heure, fouler le sol des Landes de Cojoux.

Saint-Just ouvre la conscience quand résonne le sol sous nos talons. Les creux du sol deviennent vibrations au plus profond de nous. La terre garde ses secrets dont la beauté tient au mystère que le cœur ne trahira pas. La mémoire de la terre est inscrite dans nos cellules du plus loin que remonte le temps et elle appelle les poussières d’étoiles que nous sommes à vibrer de concert dans cet univers.

Le poète admire l’hélianthème en ombelles, il en fait des bouquets dans sa tête et d’une voix distraite il murmure en s’éloignant :

 

Nous sommes les enfants

d’une même latitude

nés d’un imaginaire

qui nous a prémédités

 

Carmen Pennarun, 14 février 2021

Crédit photo : Gilles Pennarun

Carmen Pennarun aime la couleur, la matière, elle peint pour son plaisir et travaille parfois la terre.

Nouvelliste, auteur de littérature jeunesse et poète, Carmen aime aussi les mots et publie  régulièrement sur son blog, sur des sites littéraires, en revues, dans quelques recueils collectifs (dernièrement dans le livre dédié à la mémoire de Cécile Delalandre et publié par Le bateau ivre). Elle fait partie de l’Association des Écrivains Bretons.

Voici ses  recueils publiés :

  • Le chapeau à histoires, jeunesse, L’amuse Loutre, 2020
  • Dans l’arc d’un regard de caryatide, Poésie, L’amuse Loutre, 2019
  • L’Escale inévitable, Poésie, L’amuse Loutre, 2018
  • Si l’âme oiselle la mère, veilleuse, poétise, Poésie, L’amuse Loutre, 2016
  • Nuit celte, land mer, Poésie, Stellamaris, 2016
  • Rose Garden, Nouvelles, L’amuse Loutre, 2014
  • Tisane de thym au jardin d’hiver, Poésie, Les penchants du roseau, 2013
  • L’oiseau ivre de vent, Poésie, Filosphere, 2012
  • Rayon de Lune, Jeunesse, Planète Rêvée, 2010
  • Murmures à la fontaine, Poésie, La-Librairie.org, 2009
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