Nous ouvrons notre blog à la jeune poète roumaine d’inspiration et de facture surréalistes Ofelia Prodan, en publiant trois poésies traduites du roumain, qui font partie du volume Periodic, reciclăm clișeele (Périodiquement, on recycle les clichés), paru en 2019 aux Éditions Limes en Roumanie. Dès sa parution, la critique a accueilli ce volume très favorablement, le qualifiant de « guide de survie dans le monde intérieur psychotique », formulé par l’auteure-psychologue qui devient « sujet-patient » (Daniel D. Marin). Selon un autre critique, ces poèmes doivent être lus comme « des instruments proprement cliniques » destinés à analyser « un territoire humain difficilement exprimables autrement » (Vasile Baghiu)
Stop
je dis stop. j’en ai marre des interrogations abyssales
de la psychologie dévouée à 100 % qu’à elle-même.
une discussion banale avec toi m’aide à retrouver mon équilibre pour une bonne heure.
je retombe dans la spirale des idées. je m’efforce
à leur donner de la cohérence ou à jongler avec celles-ci à travers des états
ayant subi des modifications de la conscience. je sais que je ne peux pas les garder
sous contrôle, mais cela m’excite mentalement et l’adrénaline
me tient éveillée des nuits entières. les substances hallucinogènes
sont de la foutaise.
j’expérimente les mêmes états dans des circonstances naturelles
je retiens et ce que je viens de noter n’est que de l’introspection légèrement
déformée ;
sinon, atypiquement lucide. n’essaye pas de me convaincre
de continuer les séances. Tu sais très bien – je suis immunisée
contre la superficialité.
il y a des chances que nous nous retrouvions à Pavie. te souviens-tu ?
moi, un être ésotérique, toi, l’androïde Data à la recherche
de la puce électronique émotionnelle.
nous sommes tous les deux tout aussi asociaux. nous faisons fi des clichées, nous nous réévaluons.
Le virus
je me multiplie sous la forme d’un virus létal,
j’envahis les formes organiques de vie.
le vaccin administré en petites doses fait son effet.
éliminée temporairement de l’équation existentielle,
je suis prête à recommencer
un nouveau cycle vital sous une couche d’énergie subtile.
une sphère impondérable de lumière blanche tournant sur une
orbite elliptique
autour des formes d’énergie grossière
dans le but d’un transfert réciproque d’information décisive.
je choisis un lieu de refuge dans le corps énergétique de l’homme-souche
à qui je cède de l’information, j’établis de la communication.
je plonge avec l’autorisation de l’homme-souche dans son inconscient
dévasté.
Périodiquement, on recycle les clichés
l’intuition descend quelque part plus profondément, dans l’estomac.
périodiquement, on recycle les clichés. on vend des gadgets à des prix
accessibles.
si j’ai de symptômes de sénilité, l’insomnie revient.
l’abus de café et de neuroleptiques. le vide a l’aura
d’un sans-abri illuminé.
lorsqu’on se retire, les souvenirs entassés dans le subconscient,
l’explosion d’impulsions électriques génères des attaques de
panique.
il visualise le corps humain comme un simple objet
anatomique.
des traces anachroniques de bonheur, l’apparente complexité d’un
générateur électronique.
il tape un texte lacrymogène sur messenger. il n’envoie pas
le message.
reformule-le. l’intuition part plus profondément encore,
heurte l’os sacral. envoie ce message dans la corbeille.
reformule-le.
Ofelia Prodan est une écrivaine roumaine, auteure de plusieurs recueils de poésie. Après un début remarqué en 2007 avec Elefantul din patul meu, 2007 (Premiul pentru Debut al Asociaţiei Scriitorilor din Bucureşti, 2008; Nominalizare la Premiul Naţional de Poezie Mihai Eminescu – Opera Prima, 2008), elle publie Ulise şi jocul de şah, 2011 (Nominalisé pour le Prix littéraire international Città di Sassari, 2016); Călăuza, 2012 (Premiul Naţional Ion Minulescu, 2013); No Exit, 2015 (Premiul Național George Coșbuc, 2015; Premiul Național Mircea Ivănescu, 2016); Șarpele din inima mea, 2016 (Premiul Cartea de poezie a anului 2016 la Festivalul Național Avangarda XXII, 2017); Fișă clinică, 2018., Periodic reciclăm clișeele, 2019.
Elle figure aux côtés de poètes comme Nina Cassian, Nichita Stănescu, Ana Blandiana, Nora Iuga, Ion Mureşan, Mircea Cărtărescu, dans le colume collectif Voor de prijs van mijn mond (Jan H. Mysjkin, Ed. Poëziecentrum, Belgique, 2013), une anthologie qui inclut 12 poètes roumains des 60 dernières années.
Une anthologie d’auteure est parue en Espagne, High, El Genio Maligno, en 2017.
(Traduit du roumain par Dan Burcea)