Sarah Oling : « Car ceci est notre monde »

 

Écrire dans ce monde… Dans cet instant de ma présence à ce monde. Qui est le mien.  Écrire. Parce que je ne me connais pas sans ce lien intime, presque alchimique, entre ma plume et une feuille blanche.

Écrire.  Parce que c’est mon architecture.  Parce que ce sont ces fondations-là qui m’ont permis d’appréhender ce monde, dans sa perpétuelle mutation.

Écrire. Parce que je veux croire, follement peut-être, que cela peut avoir un sens. Des mots comme matériaux, pour réparer les failles… Pour donner une raison d’espérer, non pas au monde d’après, je n’habite pas le monde d’après, je n’en connais qu’un…Mais à celui qui vacille, là, maintenant, et qui est le nôtre.

Écrire. Parce que quelque chose en moi se refuse à penser que c’est vain.  Et cependant, ce questionnement, désormais, me hante.  Quel rôle puis-je jouer avec mes mots ? Des mots, alors qu’autour de nous, toutes ces morts… cela semble dérisoire…  

Écrire. Sur cet impossible de l’écriture, la mienne, dans l’instant, à répondre à ce questionnement, dans sa tragique évidence. Dans cette période fragile, les contours qui se dessinent n’ont pas la même forme que ceux que je connaissais avant.  Les projets en presque achèvement, qui étaient mes compagnons de route, ont cessé brusquement leur envol.

Serait-ce une raison de désespérer ?   Ou alors, mettre des mots sur cette perte-là, la conscientiser dans sa relativité, au regard du chaos que subit notre humanité… alors…

Écrire. Parce que j’ai l’audace de penser que mon écriture, mes mots, peuvent transcender les peurs abyssales qui ont émergé de ce chaos. J’ai une confiance infinie dans l’être humain à se dépasser, étayée par cette solidarité qui s’est manifestée depuis le début de cette pandémie, partout.

Alors, certes, ce monde peut sembler brutal et il l’est… très souvent. Mais, une fois que l’on a fait ce constat, est-ce suffisant ? Je n’imagine pas que ce sont des mots, les miens, ou d’autres, qui pourraient réparer ce monde.

Cependant, je crois que si les mots ne sont pas des armes, ils peuvent tisser le fil et la trame d’une consolation et donner à réfléchir ce que signifie être ensembles dans une humanité qui a volé en éclats.

Sarah Oling en ce 3 mai 2020

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