Cela fait 10 ans que je veux ranger. Les papiers, les photos, les babioles et les trucs sans nom que je garde parce qu’on ne sait jamais.
Voilà, j’ai commencé.
Je viens de jeter, après des années d’atermoiements, la grande lampe en papier de Nogushi qui trônait dans mon salon comme un trophée poétique et vulnérable. Avec le temps, le papier est devenu jaune comme les pages d’un vieux livre, il s’est déchiré par endroits, révélant une carcasse décharnée. On ne pouvait plus l’allumer qu’en tirant sur un ruban rouge bricolé par mon fils. Elle était devenue minable, mais j’y étais attachée.
J’ai fini par la descendre dans la rue, à la nuit, et la déposer avec précaution, en la hissant par dessus les planches, sur un tas de gravats devant l’hôtel fermé. Elle s’est allongée sur un monceau de cartons et la pluie s’est mise à tomber. Je suis partie comme une voleuse.
Je suis retournée la voir vers minuit, elle gisait là, détrempée comme un chat abandonné. J’ai eu le cœur serré, j’ai pensé au jour où j’avais dû faire piquer mon chat roux chez le vétérinaire, il n’y avait plus rien à faire. Son regard m’est revenu, ses yeux fixes et profonds je ne les ai pas oubliés. J’aurais pu y voir du reproche, mais on ne peut rien contre la mort.
Le lendemain, la lampe était toujours là, elle avait l’air d’une noyée. J’ai revu l’œil du chat et j’ai failli pleurer. Je me suis souvenue de la dignité de la lampe. Et je me suis dit qu’on ne pouvait pas tuer les vieux.
Je l’ai ramenée à la maison.
Elle est devenue ma compagne de confinement.
Après des études de lettres et de philosophie et un passage de 5 ans par New York, Caroline Tiné devient journaliste et collabore à Match, Marie Claire et Elle, puis elle devient directrice de la rédaction de Marie Claire maison. Elle a publié deux romans chez Albin Michel : L’Immeuble, prix du premier roman en 1990, puis le roman de Balthazar, prix du Lion’s club international en 1993. Après avoir quitté Marie Claire, elle s’est remise à l’écriture et a publié un nouveau roman Le fil de Yo aux Éditions JC Lattès, finaliste du prix de la Closerie des lilas, prix littéraire de l’Académie nationale de pharmacie en 2015.
Son nouveau roman va paraître en septembre 2020 aux Éditions Presses de la Cité.