Un pays à l’arrêt ; nos corps sont confinés, mais nos esprits divaguent. Dans la profondeur d’un ciel d’azur, nos pensées s’envolent, portant nos rêves d’un retour à la liberté, une liberté totale ; notre être qui se déplace en tout lieu, sans contrainte, sans frontière, sans avoir à remplir d’attestation d’aucune sorte. Le rêve d’un retour à la vie d’avant, d’avant le virus, d’avant la pandémie, une vie que l’on surestime sans doute, qu’on fait plus grande que ce qu’elle n’a jamais été, le temps des bistrots aux terrasses ensoleillées, le temps des restaurants bruissant de vie, le temps des longues balades en forêt, des randonnées en montagne, des joggings et des escapades.
Un pays à l’arrêt ; nos doigts s’agitent sur nos claviers, nous avons saisi notre stylo, et l’imagination s’est débridée. C’est le moment de la littérature, où le corps devient serviteur de l’esprit, où l’esprit s’accorde avec le corps, et que toute la volonté se tend dans le simple fait d’écrire. Confinement ; les mots s’échappent, s’envolent, brisent les barrières et se font phrases, paragraphes, feuillets. Aucun enfermement, aucun assujettissement, la liberté majuscule dans le travail des phalanges qui courent sur des touches de plastique, le bruit familier du travail d’écriture qui fracture le silence obligé de la quarantaine forcée. Écrire, écrire, écrire et faire de la littérature un pont vers autrui, vers l’éloigné, vers l’étranger. Être, simplement.
Ceux qu’on aime sont loin, quelques inconnus, parfois, passent devant nos fenêtres, et le temps se fait lancinant, embarrassant même, langueur d’un printemps qui n’avance pas. Reste l’esprit qui danse, qui s’évade de pensée en pensée vers un extérieur qui nous est interdit. On réinvente le monde, un monde que l’on voudrait meilleur, plus juste, plus beau ; on fait des promesses que l’on ne tiendra pas, mais l’essentiel est ailleurs. Demeurer vivant, en dépit des chaînes qui nous entravent, en illuminant le ciel de notre lit de nos mots d’amour, de nos soupirs et de nos plaintes. Faire de chaque minute un instant de grâce, rien qu’à nous, dans un « toujours » qui file de seconde en seconde. Du matin à la nuit, de la nuit au matin, suivre le chemin immobile de nos désirs et de nos fièvres, débroussailler la route de nos espoirs, faire le point, intensément, vivre, immensément, et faire un pas après l’autre en toute conscience.
Les convictions s’écroulent, les certitudes s’embrasent, le feu se fait cendre, et la cendre, boue. Que reste-t-il de nos rêves et de nos espérances ? Plus rien n’est acquis, l’avenir est obscurci de sombres nuages que nous ne savons nommer. Est-ce l’orage qui nous attend, la tempête, l’ouragan ? Nous avons bien conscience que le tumulte reste à venir, et même si nous nous caparaçonnons de certitudes, demain s’est noyé dans l’inconnu. Demeure notre capacité à inventer, à créer, à rêver ; l’essentiel est à notre porte, habitons nos pensées d’espoir et incarnons le temps qui passe de nos songes, sans penser à demain.
Dans un instant, je poserai la plume ; je serai au jardin, à humer les odeurs d’humus et de pivoines. Le soleil caressera doucement ma peau, je fermerai les yeux et je m’en irai pour un instant loin des contraintes et des interdits. C’est ainsi que je veux vivre, libre d’esprit, dans l’intensité de chaque seconde. Peu importe la distance, j’emporterai avec moi les visages aimés, les visages amis, et dans cette communion intérieure, je me permettrai de rêver dans une prière silencieuse et laïque. C’est ma littérature à moi, une exaltation profonde du moment, une mise en forme solitaire de la danse des mots, en ayant à cœur d’être, le plus sincèrement possible, en toute conscience, en toute honnêteté. Oui, peu importe qu’on me confine, peu importe les entraves, la littérature est liberté, et mon esprit est ailleurs. Je vole, je fuis, je m’évade, et nul n’a de pouvoir sur moi. Que brille le soleil, que souffle le vent, je me rassasie de chaque instant de vie.
Guillaume de Fonclare est un écrivain, chroniqueur et romancier français né à Pau en 1968.
Il est l’auteur de plusieurs romans:
- Dans ma peau (récit), Paris, éditions Stock, collection La bleue , 2010, prix Essai France Télévisions 2010 ; prix Jacques de Fouchier 2010 décerné par l’Académie française ; prix Jean Bernard 2010 décerné par l’Académie de Médecine ; prix Paroles de patients 2010 décerné par Les Entreprises du médicament.
- Dans tes pas (récit), Paris, éditions Stock, collection La bleue, 2013.
- Joë (récit), Paris, éditions Stock, collection La bleue, 2014, prix Ecriture & Spiritualité, 2016.
- Garbo (roman), Paris, éditions Stock, collection La bleue, 2017.
- Ce nom qu’à Dieu ils donnent (récit), Paris, éditions Stock, collection La bleue, 2019.
- Le bel obus (roman), Epaux-Bézu, éditions Cours Toujours, collection La vie rêvées choses, 2019.
Pour plus de détails: https://fr.wikipedia.org/wiki/Guillaume_de_Fonclare