Christine Goguet est l’autrice d’un livre remarquable, « Les Grands hommes & Dieu » qui sera publié aux Éditions du Rocher et qui sortira en librairie le 27 novembre. Sonder la vie des Grands hommes est par définition un acte difficile pour tout biographe. « Reconstituer leur biographie spirituelle », comme elle l’affirme dès l’Introduction de son livre, rajoute à cette démarche le défi de franchir la dimension mystique qui est sans doute le côté le plus intime de leurs personnalités.
Avant la sortie de son livre, Christine Goguet a eu la gentillesse de répondre à nos questions sur son passionnant travail de recherche et sur les défis qu’elle a dû relever en écrivant ce livre.
Comment vous êtes-vous décidé d’aborder le sujet en choisissant cette perspective et « décrypter la part de Dieu » en chacun de ces sujets ?
Tout d’abord ce fut un projet très ambitieux et exigeant qui nécessita près de deux années de recherches et d’écriture. Tenter d’entrer dans leur cœur et dans l’âme des grands de ce monde n’est pas une tâche simple et j’ai voulu rendre ce livre facile d’accès pour tous malgré un sujet assez élevé.
Comment avez-vous choisi la liste des personnes présentes dans votre livre ?
Il s’agit pour les choix de celles-ci de personnages emblématiques qui m’ont touché chacune à leur manière par leur foi et leur personnalité, leur trajectoire aussi. Il était aussi intéressant d’approcher des destins et des personnalités dont on ne pouvait pas forcément imaginer la spiritualité. C’est en quelque sorte une sorte de panthéon personnel et donc forcément il s’agit d’un choix très subjectif. Si j’avais eu plus de place j’aurais rajouté Martin Luther-King, Gandhi, Tolstoï etc… Cela fera peut-être l’objet d’un tome II ! Quoi qu’il en soit, tous ces grands personnages sont motivés par une croyance et une forme de spiritualité. Ils sont très dissemblables et leur rapport à Dieu l’est parfois aussi. Leur action est imprégnée de spiritualité, et j’ai pensé que cette transcendance pouvait éclairer leur parcours, leurs choix et leurs œuvres. Ce qui est de mon point de vue avéré, comme vous pourrez le constater à la lecture du livre.
En quoi peut-on affirmer que toutes ces personnes méritent le titre de « grands hommes ». Qu’entendez-vous par ce syntagme ?
Au titre de personnalités remarquables et illustres. Celles qui ont laissé une trace indéniablement. Et celles qui ont un rapport très particulier à Dieu.
J’aimerais évoquer à ce stade de notre discussion l’extraordinaire travail de recherche historique, des archives, etc. que vous avez réalisé. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Cet ouvrage est un travail de journaliste et non d’historienne, car je suis journaliste de profession. J’ai voulu que l’évocation des parcours de ces personnages soit très précise et très documentée avec des sources notoires. Pour entrer dans la vie de chaque personnalité, ce sont des dizaines de biographies, de rencontres, d’échanges qui ont été nécessaires. Ces recherches m’ont permis notamment de dénicher de précieuses pépites telle Les conversations religieuses avec Napoléon, du chevalier de Beauterne (ancien lieutenant de la chasse impériale) petit ouvrage découvert à la Fondation Napoléon, qui m’a accueilli grâce à Thierry Lenz. On y découvre le retour de foi de Napoléon lors de ses dernières années sur l’île de Saint Hélène. Selon moi et malgré l’avis divisé des historiens, on y découvre un Napoléon croyant qui a renoué avec le christianisme de son enfance.
Comment avez-vous écrit ce livre, et d’ailleurs comment écrivez-vous (avec des notes, des relectures, etc.) ?
Il y a d’abord une grande recherche historique. Chaque biographie spirituelle a nécessité une enquête approfondie et documentée à la lecture de nombreuses archives. Je me suis plongée dans la vie de chacune de ces personnalités et ai tenté d’entrer dans leur intimité spirituelle. Chaque matin, j’ai écrit deux, trois pages, je déchire beaucoup et je recommence…
Dans leurs vies d’hommes et de femmes célèbres, toutes ces personnes sont rentrées dans l’Histoire par leurs contributions majeures, politiques, scientifiques ou spirituelles. Qu’en est-il de leurs âmes et comment ont-ils été inspirés par le divin ?
Cela dépend de chacun d’entre eux. Ils sont tous dissemblables mais ont en commun une forme de transcendance, un sentiment de religiosité même pour ceux qui sont agnostiques comme Einstein. Ils se sont tous interrogés fortement sur la question de Dieu.
Concernant le Général de Gaulle, vous faites remarquer avec justesse que toute son action pendant la guerre a pris forme dans « un discours presque mystique ». De quoi s’agit-il ?
De Gaulle qui était un fervent croyant et chrétien profond se définissait comme un soldat de Dieu, bien qu’extrêmement discret sur sa foi. Il ne communia jamais en public, il évitait le monde quand il allait à l’église et a lui-même décoré avec ses deniers la chapelle de l’Elysée. A L’image de Mandela il a mené une forme de croisade contre le mal, le régime nazi et le régime de Vichy. Les nazis considéraient à l’époque que les personnes handicapées n’avaient aucune valeur. De Gaulle, père d’Anne, atteinte de trisomie, ne pouvait qu’être touché par ces discours. D’ailleurs, les compagnons de la libération devaient s’appeler à l’origine Les croisés de la libération. Pour De Gaulle, les valeurs chrétiennes de la France étaient essentielles, il essaye donc à sa manière d’œuvrer en ce qu’il croit, “cette flamme chrétienne en ce qu’elle a d’humain, en ce qu’elle a de moral, elle est aussi la nôtre” (1950). De Gaulle nourrissait une foi profonde qui selon Malraux était une donnée et selon son petit-fils une évidence sans autre forme de discussion. Les héros du général sont notamment Jeanne d’Arc qui s’est sacrifiée pour la patrie au nom de Dieu, le célèbre écrivain Charles Péguy.
En miroir, la foi de Winston Churchill est elle aussi mise en relation avec la nation.
Churchill dit que tous les hommes raisonnables ont la même religion et considère que l’Angleterre a des racines chrétiennes. Il s’est toujours considéré comme un ambassadeur de la religion chrétienne, car elle compose selon lui “une part de l’identité de la nation anglaise”. Le célèbre Premier Ministre était agnostique, mais il croyait en son destin personnel, une providence qui l’avait toujours protégé. Il faut savoir que Churchill avait même un temps réfléchi à devenir ecclésiastique…
Un mysticisme encore plus profond, mais moins connu, peut-être au grand public, est celui de Vincent Van Gogh. Les lettres à son frère Théo le montrent explicitement. Quel lien y a-t-il entre son œuvre et cette recherche exaspérée de Dieu ?
Je ne crois pas que la recherche de Van Gogh soit exaspérée. Plutôt profonde et éclairée. Il était un fils de prédicateur et a souhaité le devenir aussi par vocation. D’ailleurs, Il s’est engagé au côté des plus misérables dans le Borinage qui a marqué profondément son œuvre, a partagé leur couche dans la paille du boulanger, pauvre parmi les pauvres à la manière du Christ. Malheureusement, Van Gogh n’était pas assez classique pour les canons de l’église de l’époque. Ainsi, il a été obligé d’abandonner cette véritable vocation pour renouer avec un autre don : la peinture. Et sa peinture se rapproche en ce sens du divin qu’elle nous transporte dans les nuits étoilées de Dieu. Tout dans son œuvre parle de Dieu. Ensuite et beaucoup plus tard, dépressif, car rejeté très tôt par ses parents, il a sombré dans la mélancolie et la folie.
Victor Hugo est par sa posture mais aussi par son parcours spirituel un des personnages les plus impressionnants. On connait son œuvre, son engagement, mais nous sommes surpris de juger les Misérables sous l’angle à la fois social et mystique. Qu’est-ce que la foi pour ce Grand homme ?
Victor Hugo possède une foi presque naïve. Dieu le transcende en tout, il voit son visage. Son œuvre complète, « Les misérables », « Notre-Dame de Paris » en témoignent. Tout comme ses discours d’homme public à l’Assemblée nationale sur la misère ou son engagement révolutionnaire contre la peine de mort. Dieu est partout sauf dans les églises pour cet anticlérical notoire. Il était convaincu que le Dieu qui l’inspirait et embrasait son âme n’était en aucun cas celui des prêtres.
Une dernière question avant de laisser aux lecteurs le plaisir de découvrir les autres personnalités, concerne Nelson Mandela. Quelle était sa relation à Dieu ? En quoi cette recherche l’a-t-elle aidé pendant tout son parcours humain et politique ?
Il était par de par l’éducation de sa mère chrétienne méthodiste, et l’est resté jusque dans ses vingt-sept ans de captivité à Robben Island où il se rendait à la messe. Nelson Mandela, tout comme De Gaulle, était extrêmement discret et gardait sa foi pour lui. Il a salué le rôle de l’église dans sa vie. Gandhi, passé en Afrique avant l’emprisonnement de Nelson Mandela, l’imprègne de notions pacifistes. Son combat pour l’égalité de tous, relève indéniablement de la chrétienté et, comme chez De Gaulle, on trouve une dimension christique de la croisade. Le portrait que je fais de Mandela est illustré par un poème qu’il appréciait beaucoup Invictus de William Henley, qui traduit sa personnalité, son état d’esprit de croyant original et plein de la force de sa foi : « Dans les Ténèbres qui m’enserrent, Noires comme un puits où l’on se noie, Je rends grâce aux dieux, quels qu’ils soient. Pour mon âme invincible et fière. Dans de cruelles circonstances Je n’ai ni gémi ni pleuré. Meurtri par cette existence Je suis debout, bien que blessé. En ce lieu de colère et de pleurs Se profile l’ombre de la mort, Je ne sais ce que me réserve le sort Mais je suis, et resterai sans peur. Aussi étroit soit le chemin, Nombreux, les châtiments infâmes, Je suis le maître de mon destin, Je suis le capitaine de mon âme. »
Que faut-il souhaiter à votre livre dans son parcours vers les lecteurs ?
En un temps où le souci de Dieu revient hanter les consciences, je souhaite qu’il donne à réfléchir et peut être à retrouver du sens…
Interview réalisée par Dan Burcea
Christine Goguet, Les Grands hommes et Dieu, Éditions du Rocher, 2019, 180 p.