La maison d’édition Chiliagon Press publie la version française du roman de Gary F. Bengier, Unfettered Journey sous le titre Un voyage sans entraves. Le roman a reçu les éloges de la presse : « …an epic expedition into the nature of consciousness, God, Reality, and the minds of Man » [“… une expédition épique dans la nature de la conscience, de Dieu, de la réalité et de l’esprit de l’homme.”]- Indie Reader; IR Approved “Unfettered Journey is an existential adventure for the mind and a lot more besides.” [Un voyage sans entrave est une aventure existentielle pour l’esprit et beaucoup d’autres choses, par ailleurs.]- Carly Newfeld, The Last Word, KSFR Santa Fe Public Radio “Shades of Huxley and Asimov. Gary F. Bengier has created a science fiction adventure that is reminiscent of the masters.” [Mélange de Huxley et Asimov. Gary F. Bengier a créé le récit d’une aventure de science-fiction qui rappelle les maîtres] – Lee Scott, for the Florida Times-Union.
Bonjour Gary, nous sommes heureux de vous accueillir dans les media françaises, sur le blog de Lettres Capitales. Il semblerait que vous avez des origines françaises, si on tient compte de votre nom de famille. Pourriez-vous nous donner plus de détails sur votre lien avec la France ?
Selon mes recherches, les traces de ma famille paternelle remontent au XVIe siècle en France. Devenus huguenots, ils ont quitté ce pays pendant les guerres de religion pour s’installer dans les provinces allemandes de l’est. Mes recherches minutieuses ont conforté la tradition orale de ma famille selon laquelle celle-ci avait « erré hors de France ». Je pense que ma passion pour les voyages (ayant visité plus de cent pays) trouve sa source tout naturellement dans cette incessante recherche des sources.
Vous êtes écrivain, philosophe et spécialiste dans le domaine de la technologie. Quel lien y a-t-il entre ces trois disciplines, et quelle a été votre parcours scolaire et professionnel.
Le lien interdisciplinaire sur lequel vous m’interrgoez a vocation à créer une vision compréhensible du monde dans lequel nous pourrions souhaiter vivre. Ma formation comprend un MBA et, plus récemment, une maîtrise en philosophie. Ma carrière en tant que spécialiste des technologies m’a permis d’aider à créer des entreprises dans de multiples domaines, allant des biosciences à la conception de puces, en passant par les ordinateurs, les médias en ligne et Internet. J’ai vu de mes propres yeux comment nos technologies changent de façon exponentielle l’expérience humaine, pour le meilleur comme pour le pire. Le philosophe se demande alors comment pouvons-nous trouver un but dans ce monde en pleine évolution ? En tant qu’écrivain, dans mon roman Unfettered Journey [Un voyage sans entraves], j’ai créé un monde futur lié aux sciences exactes, un monde «étrangement authentique» (selon la critique), qui met en lumière certains défis auxquels l’humanité est confrontée dans notre avenir proche.
Pendant votre enfance passée dans une petite ville du Midwest vous aviez une vraie attraction pour la nature et l’astronomie. Comment est née la passion pour la philosophie et les mathématiques et dans quelle mesure ces disciplines ont-elles contribué à vous conduire à écrire des romans ?
Ma passion pour la nature, qui ne m’a plus jamais quitté depuis mon enfance, trouve ses origines dans les heures passées en jouant dans les bois se trouvant à proximité de la maison où j’ai grandi. Elle s’est ensuite renforcée par la randonnée en pleine nature et la randonnée pédestre (J’ai traversé la John Muir Trail en Californie), et par de modestes escalades en montagne (le Cervin, entre autres). J’aime les mathématiques, et pendant mes études au lycée, j’ai commencé à entrevoir la beauté profonde de cette discipline. J’avoue être un mathématicien de type platonicien, croyant que les mathématiques sont le résultat de découvertes, et non pas ayant été créées. Une collaboration de deux décennies avec le Santa Fe Institute a fini par me forger la conviction que la science de la complexité décrit le mieux le monde naturel. De ces contextes émerge une vision philosophique du monde. Mon désir d’explorer ces idées a conduit à l’écriture de mon roman.
Votre livre Unfettered Journey, Un voyage sans entraves, a été traduit en plusieurs langues et a reçu plusieurs prix. À quel genre littéraire appartient votre roman et pourquoi son personnage principal, Joe Denkensmith, le qualifie de puzzle entre les mathématiques, la philosophie et la physique ?
Je suis content que mon roman Un voyage sans entraves a remporté six prix jusqu’à ce jour, en cette année 2021, et qu’il va être traduit en huit langues d’ici la fin de l’été. Et ce malgré sa classification de roman inter-genre : un livre de fiction spéculative se déroulant en 2161 ; une histoire d’amour; une histoire d’action-aventure; une histoire sur le thème de la justice sociale ; un roman qui explore des questions philosophiques profondes sur la nature de la conscience humaine, l’existence de Dieu, le libre arbitre et comment nous pourrions trouver un but dans un avenir dominé par la technologie.
J’avoue que c’est un roman ambitieux, écrit pour un public cultivé. Il comporte de nombreuses strates narratifs, combinant des idées profondes sur la philosophie, les mathématiques et la physique, rendues accessibles par une histoire qui se déroule à un rythme alerte et ayant comme protagonistes des personnages forts.
Vous avez construit votre livre en plusieurs parties qui contiennent la notion de voyage (intérieur, extérieur, en arrière et à l’avant, en haut et en bas). Que pouvez-vous nous dire de la structure de votre livre ?
Le roman est construit en effet à plusieurs niveaux, et sa structure reflète ce fait. Au premier niveau, le livre explore la conscience – la conscience humaine et la mesure dans laquelle il est possible de fabriquer une machine afin d’arriver à fabriquer cette conscience. Le protagoniste, Joe, explore sa propre conscience, commençant «à l’intérieur», puis «à l’extérieur» pour comprendre sa place au sein de la communauté humaine et de l’univers. À un niveau plus profond, le livre est une allégorie de l’histoire d’Adam et Eve – l’histoire des premiers humains, bannis d’un Eden idéal, forcés à affronter le mal dans le monde. Un voyage sans entraves est une exploration de l’histoire universelle de l’humanité, afin d’essayer d’y trouver un but.
Le monde dans lequel évoluent vos personnages est un univers étrange, un mélange de robots et humains, de technologie et de règles strictes de vie sociale. Dans quelle période de l’évolution de la société humaine vivent vos personnages et de quel type de civilisation s’agit-il ?
Un voyage sans entraves propose une vision scientifique de notre avenir proche, en l’an 2161. D’après mon expérience en tant que spécialiste dans le domaine de la technologie, je pense que les deux technologies principales qui vont provoquer le plus le changement au cours du siècle prochain sont les biosciences et l’Intelligence Artificielle/la robotique. Les biosciences allongeront nos vies; la robotique changera le plus visiblement notre écosystème humain. Avec des robots marchant parmi nous, le système économique sera profondément modifié. Lorsque les robots construiront des robots, la production économique augmentera de façon exponentielle, libérant l’humanité de ses rôles de fournir les biens dits de nécessité. Les emplois disparaîtront et trouver un sens et un but à la vie deviendra une préoccupation centrale.
Cette vision scientifique du futur est fondamentalement différente des images standards. Non, les robots ne deviendront pas (à mon avis) instantanément conscients et chercheront à nous tuer ; nous ne deviendrons pas non plus des cyborgs mi-humains mi-machines. L’existence humaine avec les robots semblera tout à fait normale pour les humains dans 140 ans. Je pense qu’un avenir dominé par les robots est très probable.
Un défi majeur pour l’humanité sera de trouver un équilibre entre cette transition économique et la justice sociale. J’espère ardemment que les problèmes de justice sociale imaginés dans Un voyage sans entraves ne deviendront pas réalité, l’un des objectifs de la fiction spéculative étant de souligner les risques à venir.
Un autre symbole repose sur la différence entre deux mondes séparés par un mur : à l’intérieur la civilisation dirigé par IA, à l’extérieur le monde d’avant, sauvage. Que signifie cette dichotomie ?
Cette dichotomie apparaît d’abord dans le roman comme résultat de l’allégorie profonde de l’exploration de l’histoire humaine, depuis les premiers humains créant la civilisation dans un monde imparfait. En partie, cette vision est un antidote aux vues trop romancées de la nature. Je doute que beaucoup de gens renonceraient volontairement à leur confort technologique. Mais notre technologie nous sépare de la nature fondamentale de nous-mêmes, en tant qu’animaux conservant des pulsions fondamentales. Alors que les humains continuent d’essayer de surmonter ces impulsions, nous nous efforçons d’être des singes ressuscités, aspirant à la perfectibilité. En soulignant les différences dramatiques entre notre existence moderne abstraite et aseptisée, et la nature animale qui est notre réalité biologique, j’ai souhaité rappeler aux lecteurs ces éléments de l’humanité qui sont peu susceptibles de changer rapidement à l’avenir, même si nous pouvons espérer les améliorer.
Votre personnage principal, Joe Denkensmith, est un scientifique, spécialiste dans l’Intelligence Artificielle. Il rêvait de faire de grandes découvertes dans ce domaine, mais il a connu des année de frustration et de désenchantement. Qui est Joe Denkensmith ? A-t-il des point communs avec vous ?
Joe Denkensmith, c’est l’être humain pensant, prototype est universel, nous tous, en fait. Joe incarne toutes les faiblesses humaines, toutes nos faiblesses, tous nos péchés. C’est la raison pour laquelle je pense que les lecteurs s’identifieront à lui, alors qu’il s’efforce de trouver un sens et un but à la vie.
Votre héros prend une année sabbatique et arrive à Lone Mountain College. Pour quelle raison ? Que cherche-t-il ?
Joe prend une année sabbatique pour élucider en apparence la question de la conscience du robot : est-il possible de créer un robot doté d’une vraie conscience ? Pour répondre à cette question, Joe doit d’abord comprendre sa propre conscience. Cette question le conduit à des questions plus fondamentales : la question de ce « je » au centre de toute notre existence, et si ce « je » peut avoir accès au libre arbitre. Un voyage sans entraves est une exploration philosophique approfondie par certaines des questions les plus fondamentales de la philosophie; questions que (comme Socrate l’a suggéré) toute personne menant une vie réfléchie doit se poser.
À ses côtés, Evie Joneson, que Joe rencontrera dans des conditions très spéciales. Qui est cette femme avec une si forte personnalité et quel place a-t-elle dans la typologie de vos personnages ?
Selon l’histoire de la Genèse, je pourrais soutenir qu’Eve s’est vu attribuer une mauvaise réputation, portant souvent la responsabilité d’une certaine désobéissance. La science d’aujourd’hui suggère que l’univers est fermé et qu’il n’y a pas de Dieu qui interfère. Alors, dans un récit alternatif de cette histoire, d’où viennent les règles de ce qui constitue une manière juste d’organiser la société ? Le personnage puissant d’Evie Joneson croit que les gens doivent déterminer ce qui est juste, et les gens établissent les règles pour régir notre comportement. De cette croyance procède sa détermination à perfectionner notre monde.
Tout aussi spécial est Peinghtân, ministre de l’Intérieur. Quel type de personnage incarne-t-il (sans dévoiler le secret de la fin) ?
Maintenant que j’ai révélé ici l’allégorie sous-jacente du roman, je laisse au lecteur le soin de placer Peightân dans l’histoire. J’espère que cet exercice mènera à une autre lecture agréable, avec de nombreux « œufs de Pâques » trouvés tout au long du voyage.
Joe, Evie et d’autres personnes luttent pour leurs droits, pour l’égalité et la liberté. Cela va les conduire du désespoir au bonheur. Est-ce que c’est le thème principal de votre roman ?
La justice sociale est un thème majeur du roman Un voyage sans entraves. J’ai mentionné plus tôt ma conviction que lorsque les robots construiront des robots, la production économique augmentera de façon exponentielle. Il y aura, à un moment donné (peut-être dans 140 ans), suffisamment de biens pour que chacun ait une vie heureuse. Le dilemme auquel l’humanité sera confrontée sera le suivant : comment notre système économique évoluera-t-il du capitalisme de marché libre à tout ce qui suit, et cette évolution pourra-t-elle se produire avec un résultat décrit par la justice sociale pour tous ? Les humains sont déterminés par l’évolution pour rivaliser, et la compétition pour les ressources a dominé la plupart des étapes de l’histoire humaine. La question de savoir comment l’humanité arrivera à gérer ce changement de paradigme aura des conséquences profondes pour notre avenir collectif.
Une dernière question, il y a dans votre livre une recherche métaphysique menée par Joe Denkensmith. Il conseille de « prendre pour preuve la beauté du monde ». Peut-on conclure que cette idée que le monde et beau et que les valeurs de la vie méritent d’être défendues est le vrai thème de votre livre ?
Au siècle des Lumières, les penseurs se sont penchés à analyser toutes les preuves et tous les arguments logiques. Cette ouverture a conduit à la vision post-moderniste : Nietzsche a déclaré que « Dieu était mort » ; la physique a adopté une approche réductionniste ; la société de pensée moderne a combattu la vieille garde en s’accrochant à des croyances non prouvées et à une pensée non scientifique. Maintenant, tout cela est devenu une bataille retranchée d’usure. La philosophie, en grande partie isolée de la science, n’offre aucune idée révolutionnaire, et la physique, sans doute avec des progrès lents depuis 70 ans, chasse toujours les « théories du Tout ». Nous avons besoin de nouvelles approches. Alors que l’humanité est confrontée à des changements exponentiels entraînés par la technologie au cours du siècle prochain, je soutiens que peut-être un retour à un humanisme des Lumières pourrait nous aider à progresser vers la recherche de sens dans ce monde en évolution.
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Dan Burcea
Gary F. Bengier : « Voyage sans entraves »¸ Chiliagon Press Edition, 25 janvier 2021, 514 pages.