Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages ?
Répondre à cette question, c’est oser un parallèle auquel je ne me risquerai pas, sous peine d’humilité bafouée. Balzac, Stendhal et les autres !? On parle là, d’une littérature qui a traversé les siècles et qui a témoigné de sa pertinence quand la mienne, si un jour elle venait à dépasser les frontières françaises, ne saurait, qu’à moindre échelle et en partie, entériner mon époque.
Aussi, loin de moi l’idée d’oser me faire valoir d’un auteur ou d’un système de création comme ceux précités. Mon écriture est à ce point « trublionne » dans les genres utilisés que je peine à mettre mes personnages dans une quelconque case.
Oserais-je d’ailleurs leur faire le coup ? Ils peuvent être si tyranniques, autoritaires, voraces, lunatiques et parfois même, cruels. Quand l’un voudrait se prévaloir d’un père, l’autre revendiquerait son contraire. Et moi, écartelée, je me verrai contrainte à un choix qui me priverait, bien au-delà de mes moyens. Qu’on ne s’y trompe pas, c’est bien moi qui ai besoin d’eux et non l’inverse !
Quant à la frontière « fiction-réalité », elle est à ce point ténue, qu’elle échappe à mon entendement quand elle ne varie pas selon l’histoire et les étapes du récit. Du prologue à l’épilogue, il y a un tel flux de voix intérieures que je ne jurerai pas qu’elles viennent de mes hôtes plutôt que de moi.
La seule certitude, c’est que ce n’est jamais moi qui les crée mais bien eux qui s’invitent. Le plus souvent, sans crier gare. Peut-être même sont-ils là, tapis depuis ma genèse, à attendre que vienne leur tour, comme des doubles maléfiques ou une facette inexplorée de ma personnalité. Est-ce que cela fait de moi leur génitrice ou est-ce l’inverse ? Il me semble que j’accouche d’eux une part manquante à mon identité qui ne supporte pas l’omniscience d’une voix sur une autre.
Réels ou fictifs, la question ne se pose jamais dès lors qu’ils ont investi mon corps et pris toute la place. Ils sont moi, je suis eux. Nous ne faisons qu’un. Mi réel mi fictif. Comme une troisième entité fusionnée à partir des deux autres. Nous habitons ensemble dans chaque espace de vie qu’ils se créent, que je leur crée ou que je me crée. Dont nous disposons à l’instant de devoir dire.
Plus tard, le mot fin apposé au récit, ils me quittent expressément et s’en vont rejoindre les têtes d’un lectorat qui aura le malheur de lui faire une place. Il y a entre nous une telle infidélité dès lors que nos voix se taisent qu’il serait avisé un jour, de savoir qui, des uns ou de moi, aurait à demander pardon pour son inconstance. Ces « vauriens » ne m’habitent déjà plus qu’ils s’en vont hanter ailleurs qui les écoutera.
Ils sont tout à la fois des « êtres d’un genre nouveau », des « êtres fictifs pour mieux se connaitre », des « alter-égo pour devenir autre », des « porte-parole » et très certainement, des « suceurs de moelle qui s’enfantent eux-mêmes » pour mieux me manipuler.
Que Sieurs Balzac, Stendhal, Proust, Mauriac ou Molière et les autres se rassurent, la relève est quand même là, qui a bien du mérite d’oser suivre leurs traces, sans savoir exactement de quoi il en retourne !
Lou Valérie Verne, 24 mai 2020
Auteure, voyageuse, photographe, Lou Vernet est une autodidacte. Passionnée, libre, têtue et un peu barrée. Sa devise “Ne prenez pas la vie au sérieux, de toute façon vous n’en sortirez pas vivant !” Quand on lui demande ce qui est essentiel pour elle, elle répond, sas coup férir : son âme : Aimer, Marcher, Écrire. Née à Paris, elle en fait souvent le personnage principal de ses romans. et vit actuellement dans le 95.