Nous vivons actuellement un moment particulier de l’histoire moderne de l’humanité avec un ennemi commun, « le coronavirus ». Depuis ce début de crise sanitaire ce virus invisible a fait voler en éclat nos habitudes et le mot d’ordre depuis le 16 mars est de « rester chez nous ». Deux milliards d’individus confinés, c’est du jamais vu, c’est historique. Avec des restrictions justifiées nous sommes obligés de nous isoler, de rester chez soi reclus pour nous protéger et protéger les autres. Cette situation nous ne l’avons pas choisie et c’est une rude épreuve. D’un seul coup notre cadence effrénée se transforme en lenteur, nos projets s’effondrent. Pour l’homme cette privation d’interactions sociales, de contacts physiques entre individus est contre nature. C’est une situation tellement difficile car dans nos modes de vie et dans nos sociétés, nous avons développé une culture d’évasion où l’ennui et la lenteur sont quasiment inexistants, et où l’individualisme pousse à la surconsommation, en voyageant et en cherchant des sources externes.
Cette pandémie me rappelle aussi qu’à chaque fois qu’il y a un événement bouleversant comme le 11 septembre, la crise financière de 2008, et les attentats de 2015 en France, cela déclenche fréquemment un état de mal-être. En effet, ces premiers jours d’isolement ont réveillé de vieux souvenirs de peurs et un goût de déjà-vu. Un très mauvais goût même ! De vieux démons de mon enfance en institution sous la dictature de Ceausescu en Roumanie, cloîtrée dans mon lit à barreaux et plongée dans une solitude extrême sans interaction sociale sont réapparus. Le confinement je connais et je ne pensais pas revivre une telle expérience.
Cette réclusion m’amène à quelque chose que je n’ai pas voulu alors que notre système actuel est organisé pour nous faire croire qu’on peut tout contrôler et sans limite. C’est un bouleversement dans ma vie quotidienne. Notre monde en mouvement est à l’arrêt, sous le poids du silence avec ce sentiment oppressant d’être dans l’attente, mais dans l’attente de quoi ? Que tout redevienne comme avant ? Hier, nous nous sentions invincibles et vivants tandis qu’aujourd’hui, nous sommes en sursis. Nous en prenons conscience, j’en suis persuadée.
J’ai cette impression que mon quotidien ressemble de plus en plus au film « Un Jour Sans fin » (1993) en revivant le même jour à l’infini. Dans une phase d’apprentissage et d’acceptation il est bon de lâcher prise sur ce que je ne peux pas maîtriser. Cette expérience philosophique m’oblige à réfléchir à des choses que, d’habitude, je ne voulais pas forcément voir : la vulnérabilité de nos vies, le rapport étrange que nous avons entre notre solitude dans le confinement et la solidarité. J’apprends également à ne pas me projeter mais je me concentre plus sur le moment présent, tout en prenant conscience de ce que je fais, ce que je ressens dans mon corps pour tenir dans la durée.
L’opportunité de ce confinement est pour moi de reconsidérer ce qui est important dans ma vie qui est ma famille, mes amies et des valeurs souvent oubliées dans la surabondance du quotidien.
Marion Le Roy Dagen est née en Transylvanie en Roumanie. Elle vit à Toulouse et travaille en tant que Chef de service dans le secteur socio-éducatif. Elle a cofondé en 2015 l’Association Française Orphelins de Roumanie (AFOR) pour accompagner les adoptés nés en Roumanie dans leurs recherches des origines.
Elle a co-écrit avec l’écrivain Xavier Marie Bonnot,« L’enfant et le dictateur » parut chez Belfond en février 2018.
Son premier ouvrage vient d’être publié en Roumanie à la maison d’édition Humanitas : « Copilul si dictatorul ».