Carole Zalberg : Non accompagnés

C’est sans doute ce qui m’épouvante le plus dans la période que nous traversons. Tous ces gens qui meurent loin des leurs. Nos anciens qu’on n’a pu aller visiter. Ceux, jeunes ou vieux, qui juste avant étaient des vivants comme vous et moi, sont tombés malades et se sont dégradés si vite qu’ils ne se sont peut-être même pas sus mourants. Je ne sais pas ce qui me broie le plus le cœur : ceux-là, qui ne se réveilleront pas mais, dans leur inconscience, n’ont pas pu se préoccuper de revoir les leurs une dernière fois, ou ceux qui se sentent partir et pleurent d’être seuls, font pleurer ceux qui les soignent et qui ne peuvent rien à leur désarroi. Vraiment, je ne sais pas ce qui est pire. Et si, moi qui ne suis pas à leur chevet, j’en suis déchirée, comment ceux qui ont tout fait pour les sauver pourront-ils se remettre d’un tel effroi ? On le lit partout, leur témoignage harassé, on le voit, quand ils racontent, le regard qui s’absente, qui retourne sur le lieu de leur impuissance désolée.

L’après sera fait de cela aussi, de ce cauchemar répété encore et encore, infligé aux familles en deuil mais aussi aux fameux héros portant comme un fardeau injuste ces défaites dont ils ne sont en rien coupables. Et puis il y a les morts eux-mêmes, qu’on ne peut pas honorer, à qui on ne peut consacrer ce temps pourtant nécessaire de rassemblement et d’échange, qui commence dans l’affliction et s’achève souvent par une remémoration émue où le rire parfois s’invite. Cette perte impossible à partager autrement que sur les réseaux, comment en déposer le poids d’autant plus terrible qu’aucune étreinte, aucun souvenir ravivé, d’habitude offert aux endeuillés, ne viendra l’alléger ?

Née en 1965, Carole Zalberg se plaît à explorer toutes les formes d’écriture : roman, nouvelle, poésie, scénario, théâtre, chansons, chroniques littéraires, lectures musicales. Elle a publié une vingtaine d’ouvrages et a notamment obtenu le Prix Simenon pour Je dansais (Grasset, 2017), le Prix Littérature-Monde pour Feu pour feu (Actes Sud, 2014), le Prix Métis des Lycéens pour A défaut d’Amérique (Actes Sud, 2012) et le Grand Prix SGDL du Livre Jeunesse pour Le Jour où Lania est partie (Nathan Poche, 2008). Derniers ouvrages parus : Où vivre, Grasset, 2018, Des routes, avec Anne Gorouben, les éditions du chemin de fer, 2018.

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