Marine Baron publie La couverture (Balland Éditions), un roman d’espionnage au suspens bien construit et mené par des personnages très affirmés. Cette tentative de se lancer dans un genre nouveau est très réussie, l’auteure nous explique pourquoi l’a-t-elle choisi et comment entend-elle donner suite à sa carrière littéraire.
Pourquoi le polar ?
Mes deux premiers livres sont liés au troisième, parce qu’il y a à la fois un lien entre l’espionnage et le monde militaire, mais aussi entre l’espionnage et le métier d’acteur ou d’actrice, dans la mesure où l’espion doit jouer un personnage en excellant dans son rôle. Pourquoi le polar et pas un genre plus neutre ? Je crois que, parfois, le fait d’être catalogué offre en contrepartie une liberté qui n’a pas de prix. Par exemple, le style qui est à la mode en littérature générale, c’est l’écriture au présent, des phrases courtes et simples, peu d’adjectifs et d’adverbes. Je ne dis pas que c’est en soi un appauvrissement ou quelque chose de déplaisant, parce que cela peut donner des choses littérairement belles, mais cela reste un parti pris. Moi, du moins en ce moment, j’ai une écriture plutôt complexe, étendue. Et le genre du polar, précisément parce qu’il s’agit en quelque sorte d’un monde à part, offre davantage de possibilités. Vous pouvez écrire au passé simple, vous pouvez être long et descriptif, ce n’est pas rédhibitoire. Ce genre est une occasion de se faire plaisir dans l’écriture, afin d’espérer que ce plaisir soit partagé. C’est pour cela que je l’ai choisi.
Le sujet de votre roman se déroule dans le milieu diplomatique, là où CIA et DST jouent une partie d’échecs sur la scène internationale. Comment avez-vous choisi ce milieu comme toile de fond de votre roman ?
Il est vrai que la trame de mon livre est marquée par des enjeux diplomatiques, lesquels reposent, comme souvent, sur des mises économiques. Il est aussi question du monde politique franco-français des années 1990. Mais, plus largement, la diplomatie m’intéresse parce que c’est le lieu par excellence de la duplicité. Dans son Traité Théologico-politique, Spinoza écrit que, sous les aspects feutrés des relations diplomatiques, « les Etats entre eux sont comme les hommes entre eux à l’état de nature ». Derrière les apparences de la courtoisie, une guerre se joue, dans laquelle il n’y aura pas de quartier, pour rien, pour personne, et où tous les coups sont permis. Je dois dire que c’est cela qui me passionne.
Quelle signification a le titre de votre livre ?
Le mot « couverture » désigne une supercherie qui crée de toutes pièces un individu factice. Ce mot n’apparaît qu’une fois dans mon livre, lorsque le personnage principal masculin fait face au Directeur de la DST. « Hippolyte fut un peu déçu par l’allure de l’homme, ses yeux petits et sombres, un peu convergents, son visage épais, mais il finit par se convaincre que cette apparence un brin commune devait faire partie de sa couverture et qu’elle ajoutait encore au mystère et à la profondeur du personnage ». La couverture est la construction délibérée d’une identité, mais aussi ce que l’on peut fantasmer soi-même en regardant quelqu’un. Le personnage principal masculin, qui n’est pas un espion professionnel, va devoir se fabriquer sa propre couverture et contrer celle du personnage féminin. Il connaît d’ores et déjà quelques rouages du jeu, de l’artifice, notamment parce qu’il donne des cours, qu’il fait de la politique et parce qu’il est un séducteur assez expérimenté. Mais se fabriquer cette fameuse couverture va se révéler délicat pour lui.
Deux personnages se disputent la place des personnages principaux de votre roman : Hippolyte Ploemeur et Wendy Malone. Pourriez-vous nous les présenter brièvement ?
Hippolyte Ploemeur a une trentaine d’années. C’est un jeune homme brillant, presque caricatural dans son genre : il a fait l’Ecole Normale Supérieure, Sciences Po, l’ENA, il est haut fonctionnaire. Il n’a pas encore d’ambition claire mais il veut se faire une place en politique et il aime séduire, aussi bien les personnes d’une manière générale que les femmes en particulier. Il va se retrouver pris à son propre piège par Wendy Malone, une Américaine de quarante-cinq ans qui a une expérience de vie plus grande et une intelligence plus fine. Officiellement, elle est responsable d’une fondation transatlantique et connaît tout le beau monde parisien. Elle est extrêmement habile et joue en fait un double jeu au profit des Etats-Unis. C’est sans doute elle le personnage le plus mystérieux et le plus complexe des deux, même si le personnage masculin est moins limpide qu’il n’y paraît.
L’origine de l’intrigue semble bien implantée dans les ressources psychologiques de ces deux personnages qui conditionnent leurs actes. Que dire de la fragilité de vos personnages ?
La fragilité d’Hippolyte, c’est sa naïveté, son absence de doute, alors même qu’il est inconditionnellement reconnu comme intelligent, qu’il a coché toutes les cases de la réussite académique. C’est aussi son besoin plus fort que tout d’être aimé, de séduire, qui lui joue des tours. Il parle beaucoup sans écouter les autres et il oublie de s’en garder. Il a tellement l’habitude de rechercher un regard admirateur qu’il ne se méfie pas lorsqu’il rencontre une femme qui le flatte. Wendy Malone a une fragilité en quelque sorte originaire. D’une part, il est suggéré qu’elle souffre d’un trouble autistique non diagnostiqué, en l’occurrence parce qu’elle est une femme et que son trouble est moins flagrant qu’il ne le serait chez un homme. D’autre part, elle a vécu, jeune, un certain nombre d’événements pénibles. Ces derniers l’ont fragilisée, mais ils ont aussi accentué ses aptitudes intellectuelles : son hypervigilance, sa mémoire performante, sa capacité à éviter instinctivement les personnes peu fiables. Certains vrais agents ont eu aussi cette expérience de vie ou des troubles semblables, des fragilités initiales qui leur ont donné une puissance de dissociation et d’observation hors du commun.
Vos personnages semblent absorbés par un mécanisme dont ils ne mesurent pas la puissance. En cela, ils deviennent des instruments d’une action de style kafkaïen.
En effet, ils entrent tous deux dans une machination qui les dépasse. Hippolyte, surtout, se rend compte qu’il a été manipulé, puis se retrouve à devoir jouer les espions malgré lui. Ce nouveau rôle le met dans un état d’excitation, de peur, mais aussi de confusion. Il y a bien quelque chose de kafkaïen dans le fait de jouer un rôle sur commande, de manifester trop souvent des émotions fausses, de paraître triste alors que tout va bien, de sourire quand on est dévasté. Cette confusion explose vers la fin de l’histoire, lorsqu’Hippolyte s’effondre en sanglots dans les bras de l’espionne qu’il est censé surveiller. Elle-même ne lui pose aucune question, elle le laisse pleurer contre elle. Elle sait que ses larmes sont l’expression d’une saturation inhérente à ce qu’il fait, au contrôle permanent qu’il doit exercer sur lui-même et qui, à cet instant, le quitte. C’est sa façon à lui de lui dire la vérité alors qu’il lui est interdit de parler. C’est sa façon à elle de lui dire qu’elle l’a compris.
Peut-on dire d’Hyppolite, par exemple, qu’il est l’exemple de l’arriviste parisien assoiffé de gloire ?
Hippolyte est un peu une caricature du Parisien mondain. Il a de l’ambition mais il n’est pas non plus prêt à tout pour parvenir à ses fins, qu’il n’identifie pas clairement lui-même. Il est attiré par le succès, le pouvoir, les conquêtes amoureuses, comme un certain nombre de personnes. Je ne vois pas en lui un arriviste, ou alors je ne mets pas de connotation trop négative dans ce mot, parce qu’au fond il traduit un énorme désir de reconnaissance qui n’est pas toujours superficiel. Ce personnage d’Hippolyte est bourré de défauts mais j’avoue qu’il m’est sympathique.
En tout cas, il apparaît bien comme une marionnette entre les mains des services qui le manipulent. Il finit par faire sienne cette citation : « La vérité est rarement pure et jamais simple ». Difficile de miser sur une telle conviction pour lui, non ?
Hippolyte se fait piéger par les services américains, puis il est sollicité par les services français. Il est surtout déstabilisé par l’espionne qu’il doit duper, parce qu’il se sent proche d’elle. Il est un grand amateur de théâtre et se persuade que les sentiments que l’on restitue quand on interprète un rôle sont des choses que l’on a vraiment ressenties. Il perçoit donc une sincérité qui le perturbe chez cette femme qui est devenue sa confidente, peut-être aussi son double. « La vérité est rarement pure et jamais simple », comme l’écrit Oscar Wilde, voilà une constatation sur laquelle il lui est difficile de se reposer, mais qui l’oblige peu à peu à considérer les gens dans leurs nuances et leurs contradictions.
Wendy Malone qui est une espionne à part, « mêlée à la population locale », est elle-même victime de ses faiblesses. Quel portrait peut-on dresser d’elle dans ce cas ?
Wendy Malone est parfaitement intégrée dans les cercles mondains parisiens. Elle commet des erreurs qu’elle va finalement parvenir à rattraper. C’est une femme qui tombe et se relève toujours, elle a une détermination à toute épreuve, une habileté tactique et une analyse fine de la psychologie masculine. D’une façon assez classique dans le cadre du renseignement, elle joue sur les a priori qui réduisent les femmes à des êtres défaillants pour prendre le dessus sur ses adversaires masculins. Sa principale faiblesse est cependant son manque de confiance en elle. Mais c’est aussi ce doute qui lui permet de se remettre en question, de s’améliorer, de s’adapter aux modalités les plus désespérées. À la toute fin de l’histoire, c’est elle qui fait de son échec initial une réussite existentielle. En ce sens, elle incarne vraiment la résilience et la volonté qui parviennent à triompher de situations apparemment inextricables.
Interview réalisée par Dan Burcea
Marine Baron, La couverture¸ Éditions Balland, 2020, 130 pages.