Devant moi, la page blanche dégage une fragrance trop interrogative, désertique. Déjà, Gaston Bachelard s’exclamait La page blanche ! Ce grand désert á traverser, jamais traversé. Je me sens appelé à l’ordre. Je vais probablement être soumis aujourd’hui encore à l’état d’urgence de l’écriture. Me sera-t-il permis de tenter, au moins d’un pas, la traversée du désert qui s’étend devant moi ? Pendant tout ce temps, je regarde le ciel à travers ma fenêtre qui n’est, peut-être, que le masque du ciel d’avant. Peut-être que chacun d’entre nous est né dans un monde masqué où tout ce qui nous entoure n’est que le masque des objets ou des dimensions à venir. Dans le monde actuel, le masque n’est même pas un signe de l’apparence ou de l’apparaître. Il représente une manifestation du provisoire, sans être pour autant un visage provisoire. J’irais même jusqu’à dire que le masque est Le Rideau qui tombe sur nos différents visages spectaculaires.
J’entends à de longs intervalles le bruit des voitures, les aboiements lointains des chiens, le bruit de l’eau traversant les conduits, le bruit du silence, comme un carburateur réglé en débit accéléré. Je regarde quelques images en ligne. J’essaie de suivre un ordre croissant. En prenant des précautions. Je veux rester encore dans ce périmètre online, en survolant le virtuel sans franchir sa frontière, je veux m’onliner, devenir un être virtuel. Les gens respectent les règles, évitent de sortir. Je suis « enfermé » entre quatre murs blancs qui pourraient très bien devenir à leur tour des pages blanches maculées par des lignes écrites par des anciens habitants d’avant moi, des lignes aujourd’hui absorbées par le crépi de ces murs. Ma maison est un Texte en soi, sise dans une rue remplie de Textes identiques qui communiquent entre eux. Il n’y a pas de lecteurs réels ou imaginaires. Les Textes se lisent tout seuls. Ainsi commence ma journée de confinement.
Comment je passe ensuite mon temps ? En me décrétant à moi-même des prolongations de l’état d’urgence de l’imagination ! J’ai décidé depuis quelques jours de survivre par et dans ma propre imagination. J’essaie autant que possible de parsemer le chemin que j’emprunte à l’instant d’un grand et visible nombre de miettes reliant l’espoir d’avant et celui qui pointe à l’horizon. Ô, je m’aperçois que toutes ces miettes procèdent de mon être sortant après de longues périodes d’éclosion intérieure ! Je me dois donc d’avancer, de ne pas faire du surplace. Mon stylo-bille magique, dont aucun de mes proches ne connait pour l’instant l’existence, ne doit pas se retrouver piégé par la pierre, suspendu au-dessus de la page blanche, selon ces vers de Matei Visniec.
Je débute ici, dans ma chambre d’où je peux tout voir… Je débute sur ces murs. Je réécris le texte. Je me dirige ensuite vers la fenêtre, je continue à y écrire dessus. Ligne par ligne, calmement, quelquefois lisible, plus souvent d’une main tremblante. À l’aide de mon regard épuré jusqu’à devenir une plume, j’écris des lignes dans ma rue, sur les maisons autour, sur les barres d’immeubles, dans des parcs, en allant plus loin, dans d’autres rues, quartiers, périphéries, jusque dans d’autres villes. Mon texte rencontrera celui des autres. Les leurs rencontreront le mien. Ou inversement. Nous réinventerons, nous récréerons le monde. De fond en comble.
En espérant que tout ira bien, qu’un brin de lumière sinon au moins une bribe de mots lisibles persisteront.
Savu Popa est un écrivain roumain né en 1991. Il enseigne la langue et littérature roumaines. Il est l’auteur de plusieurs recueils de poésie et de prose courte: Ipostaze, (Editura Paralela 45), Noaptea mea de insomnie (Editura Cartea românească). Il collabore à de nombreuses revue littéraires roumaines: Euphorion, O mie de semne, Literomania, România literară, Familia, Ateneu, Zona nouă, Revista Cenaclului de la Păltiniş, Lumină lină, Qpoem, Algoritm literar, Sintagme literare, Banchetul, Prăvălia culturală, Discobolul.
Il publie des poésies dans des sites littéraires roumains: Qpoem, Qproză şi Egophobia.
(Traduit du roumain par Dan Burcea)