Portrait en Lettres Capitales : Ioana Maria Stăncescu

 

 

Qui êtes-vous, où êtes-vous née, où habitez-vous ?

Je suis née à Bucarest en 1975, d’un père journaliste et d’une mère comédienne. J’ai grandi au centre-ville, près du jardin de Cișmigiu, au premier étage d’un immeuble ancien, dans un appartement très lumineux, aux plafonds hauts et dont les chambres étaient séparées par des verrières d’intérieur. Ma mère y habite toujours. Je n’ai jamais quitté Bucarest. Pourtant, j’aime bien me retrouver sur la route. Je voyage souvent, mais je n’ai pas forcément le goût de l’aventure. Je prends toujours mes précautions. J’aime planifier. Et je le fais très bien.

Vivez-vous du métier d’écrivaine ou, sinon, quel métier exercez-vous ?

Je suis autrice d’un seul roman et de quelques poèmes, donc je ne sais pas si dans mon cas, on peut déjà parler d’un métier d’écrivain. Du coup, je préfère me présenter en tant que journaliste qui s’essaie à l’écriture. J’ai commencé à faire de la presse écrite dans les années 1994, parallèlement à mes études universitaires à la Faculté de langues et de littératures étrangères, département français-roumain. Une fois mon diplôme en poche, j’ai rejoint la rédaction en langue française de Radio Roumanie Internationale,  la station de radio à diffusion internationale de mon pays. Cela fait plus de vingt ans que je fais des émissions radio en français et je trouve mon métier toujours aussi passionnant qu’à mes débuts.

Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?

J’ai grandi entourée de livres.  À la maison, nous avions une bibliothèque qui couvrait pratiquement deux murs du salon.  J’ai passé les quatorze premières années de ma vie sous les communistes. À l’époque, mes parents étaient plus pratiques et comme les jeux et les jouets étaient assez chers et répétitifs, pour mes anniversaires on m’offrait plutôt des bouquins. Déjà, vers mes dix ans, mon père m’a fait construire ma première bibliothèque rien que pour moi. Mais bon, j’aimais bien fouiner dans la bibliothèque de mes parents. On ne m’a jamais dit:” tu es trop jeune pour ce genre d’histoires “. Pour des films, oui, mais jamais pour des livres. J’ai lu « Ulysse » de Joyce à 14 ans, car je voulais impressionner un garçon dont j’étais amoureuse. Je faisais des folies littéraires !

Je me suis lancée dans l’écriture vers 15 ans, avec de la poésie. J’ai débuté très vite dans un magazine littéraire et je pense que ce fut plutôt la discordance entre d’une part, ma figure angélique – blonde, cheveux longs, yeux bleus – et mon jeune âge, et de l’autre les sujets abordés – mort, révolution, sexualité, corruption, qui a intrigué les critiques. Et puis, j’ai fait silence radio pendant des années durant, jusqu’au moment où l’envie de me remettre à l’écriture est revenue et me voilà auteur d’un premier roman paru en 2020.

Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?

Pas facile de répondre à votre question. Ils sont nombreux, mais vraiment nombreux. Impossible de ne donner qu’un seul exemple, alors, permettez-moi d’en citer quatre.

« Le Petit Prince » de Saint Exupéry pour le regard plein de candeur qu’on pose sur la vie

« Eloge à la marâtre » de Mario Varga Llosa, un livre qui m’a démontré à un âge assez tendre – j’avais 15 ou 16 ans quand je l’ai lu – qu’en littérature, il n’y a pas de limite ou de pudeur, juste une immense liberté.

« Moderato cantabile » de Marguerite Duras, pour la force de dire beaucoup en peu de mots.

« L’été où maman a eu les yeux verts » de Tatiana  Țibuleac, pour sa construction presque picturale et pour sa beauté cruelle.

Je me rends compte que j’ai évoqué des livres préférés et non pas d’auteurs préférés. Je vais laisser comme ça.

Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?

J’ai commencé avec de la poésie, ensuite j’ai mis en place mon blog où j’ai publié aussi des articles ainsi que des poèmes et des récits. Et puis, un jour, j’ai décidé de me lancer dans l’écriture d’un premier roman. En ce moment, je vois la vie plutôt en prose. D’après ce que j’ai remarqué, de la poésie, j’en écris plutôt dans des périodes dramatiques ou stressantes, quand les sentiments et les sensations sont là et que j’ai besoin de m’en débarrasser rapidement sans prendre de recul. En revanche, je lis beaucoup de poésie en ce moment. Notamment des jeunes plumes de Roumanie.

Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?

Je reviens très peu, voire jamais sur mes poèmes et je reviens tout le temps sur mes récits en prose. Mon roman, je l’ai écrit et réécrit pendant presque trois ans. Je suis très attentive à la sonorité des phrases et au rythme. Je note toutes les idées qui me traversent la tête jour et nuit, mais je ne suis pas capable d’écrire tous les jours. Parfois ça vient, parfois j’ai l’impression que je n’ai rien à dire.  De ce point de vue, je suis désolée de ne pas pouvoir me faire plus confiance. À force de douter tout le temps de moi-même, je perds une bonne partie du plaisir que l’écriture pourrait m’offrir. C’est pourquoi au moment où je me lance dans un nouveau projet littéraire,  j’ai toujours besoin qu’un ami écrivain me donne son retour pour me dire en toute sincérité s’il aime ou pas. Peut-être qu’à partir du deuxième roman, ce sera plus facile. J’écris à la première personne. Je me dis que c’est aussi une manière d’entrer dans la tête de mon personnage et de fusionner avec lui. J’ai l’impression de mieux le comprendre.

D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?

J’ai débuté très tard, en tant que romancière, à 45 ans. Du coup, je dirais que je puise mes sujets surtout dans ma vie, dans mon propre vécu et dans celui des gens qui m’entourent. Je suis particulièrement intéressée par ce qui se passe dans la tête de mes personnages plutôt que dans leur vie. Par la façon dont les émotions et les sentiments se forment et nous déforment. J’ai plusieurs débuts de romans aussi bien dans ma tête, que sauvegardés dans mon ordinateur. Mais il me faut imaginer aussi la suite, ne serait-ce que les grandes lignes, avant de me mettre à écrire. Je ne me laisse pas entièrement emporter par l’imagination. J’écris presque de la même façon dont je vis.

Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?

Le titre de mon roman « Tot ce i-am promis tatălui meu » [«Tout ce que j’ai promis à mon père »], je l’ai trouvé à la dernière minute, un jour avant que le manuscrit n’arrive à l’imprimerie. Mais c’est parce que je prête trop attention au titre que j’ai eu du mal à en choisir un. Je me fais toujours plaisir d’entrer dans des librairies et de choisir des livres en fonction de leurs titres. C’est comme une première impression qu’on pourrait se faire d’un inconnu. Et moi, je me fie toujours à mes instincts, même en littérature.

Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?

Puisque j’écris à la première personne, je me projette dans mes personnages. Et d’ailleurs, je n’essaie pas de le dissimuler. Mes protagonistes sont pour la plupart des femmes d’une quarantaine d’années, mères et en proie à la solitude ou à des relations pas toujours simples. En revanche, j’aime bien imaginer beaucoup de personnages secondaires que je dois visualiser dans ma tête avant de les décrire sur papier. Une fois créés, je m’amuse à leur trouver des prénoms qu’il m’arrive de changer plusieurs fois au fur et à mesure que j’avance dans l’écriture de mon manuscrit.

Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.

Comme je l’ai déjà dit, mon dernier ouvrage est pratiquement mon premier aussi. Je n’ai qu’un seul roman publié l’année dernière et des poèmes dont certains parus dans « Le blues roumain », une anthologie de poésie roumaine traduite en français par Radu Bata et parue cette année en France. Mon roman m’a apporté le statut de lauréate de l’édition 2021 du Festival du premier roman de Chambéry qui aura lieu du 27 au 30 mai. En attendant donc fin mai pour me rendre en France, je continue à écrire une histoire que j’ai commencée au début de la pandémie. Je n’aime pas trop parler de mes projets, car j’ai l’impression qu’à force d’en parler, je me mets toute seule la pression. Et ça, je n’aime pas de tout. Je préfère surprendre les autres plutôt que susciter des attentes. J’ai peur de décevoir.

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