Portrait en Lettres Capitales : Laurent Cachard

 

 

Qui êtes-vous, où êtes-vous né, où habitez-vous ?

Je m’appelle Laurent Cachard, je suis né en 1968 à Lyon, à la Croix-Rousse et j’habite à Sète depuis 2015, désormais.

Vivez-vous du métier d’écrivain ou, sinon, quel métier exercez-vous ?

Non, je ne vis pas de ma plume, malheureusement. J’ai connu quelques fortunes qui m’ont permis d’être rémunéré pour des rencontres, des ateliers d’écriture ou des prix, mais c’était il y a une dizaine d’années, déjà. Du coup, j’ai fait mien l’adage du sociologue Bernard Lahire, pour qui le deuxième métier de l’écrivain (je suis professeur de Lettres dans un lycée maritime) devient de fait le premier, puisque le premier ne lui permet pas de vivre. J’en ai souffert, mais je le vis bien, maintenant : gagner ma vie autrement me permet de ne pas être soumis à des impératifs d’édition, ou pire, de genre. J’écris les livres que je veux écrire, peu importe le temps qu’ils me prennent : et Dieu sait que les derniers s’inscrivent dans la durée…

Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?

Je crois avoir toujours écrit, dès que j’ai pu, dans la même finalité : arrêter le temps, en restituer la substantifique moëlle, comme dirait l’autre. C’est pour ça qu’en parallèle des mes écrits de fiction, je fais des portraits écrits – en mode Libé – de mes proches ou des gens que je rencontre, depuis près de vingt ans, maintenant. Ça me permet de valider le temps qui a passé, de savoir qu’il n’est pas passé pour rien. C’est une perspective proustienne.

Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?

Je vais donc dire « la Conspiration », de Paul Nizan, parce que c’est l’auteur qui a marqué et déterminé ma vie, et que c’est son roman le plus abouti. Le plus proustien, là aussi. Même si, réellement, je préfère « Antoine Bloyé », son premier roman, pour sa force imparfaite et brute.

Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?

Je suis romancier, principalement, mais en plus de vingt ans d’édition, et presque malgré moi, je m’aperçois que j’ai écrit 5 romans, trois grosses nouvelles, un recueil de nouvelles, des textes d’artistes, deux pièces de théâtre – dont une de 5 actes, en alexandrins – et de la poésie. Je suis également parolier, pour des chanteurs.

Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?

C’est le sujet, et le récit, qui impose l’énonciation : mon premier roman édité, l’histoire d’un jeune appelé pris dans une embuscade en avril 1956, à Tébessa, en Algérie, s’est écrit à la première personne, même si la référence au Voyage au bout de la nuit est écrasante, d’entrée. Mais ce récit, sec, irrespirable, ne supportait pas la distance de la 3e personne, vite évacuée : il fallait juste différencier la nature des personnages. Depuis, j’ai pris de la distance et je préfère écrire à la 3e personne, en répétant le nom du personnage, s’il le faut, jusqu’à la démesure : une des réussites de « Jules & Jim », le roman de Henri-Pierre Roché, que je vénère : dans « Girafe lymphatique », je répète le nom de Clara Ville à l’envi. Et pour « Aurelia Kreit », la focalisation s’est imposée d’elle-même, même si j’aime intégrer du courant de conscience – soit la considération de l’action par le protagoniste – dans un récit distancié.

D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?

Mon grand écart me fera dire que j’aurai mis quinze jours pour écrire cinq actes de mon Dom Juan et dix ans pour écrire Aurelia Kreit, mon roman russe. Dont le deuxième volume sera sorti de mon imaginaire en six mois, comme quoi rien n’est permanent, dans le rapport à l’écriture. Mes sujets sont désormais en réaction à une édition contemporaine dont je m’éloigne : j’aime inscrire mes romans dans une période historique, qui m’oblige à travailler. En tant que lecteur, je n’aime rien moins que la paresse de l’auteur, vite perceptible.

Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?

Deux écoles, sur ce terrain : j’ai longtemps pensé que le titre qu’on donnait à un roman, initialement, ne serait pas celui de la fin. Un titre peut aussi changer pour des raisons commerciales : si « Tébessa, 1956 » s’était appelé, comme prévu « Poisson-chat », il n’aurait pas parlé immédiatement aux personnes qui, en salon, sont passées devant ce livre et se sont arrêtées parce qu’elles avaient un rapport avec l’histoire. Pour autant, il y a des titres qui s’imposent dès le départ. Dans ma bibliographie, « la partie de cache-cache », pour sa métrique et sa musicalité, n’aurait pas supporté un autre titre, et correspond au récit, et à sa volonté de sortir d’une vision enjolivée de l’enfance et de ses souvenirs.  Ce que je sais, maintenant, c’est que je n’ai plus dix titres possibles par projet, mais un ou deux, seulement, et qu’ils sont un condensé de ce qui va suivre.

Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?

C’est une question que vous nous aviez déjà posée dans l’écrivain et ses personnages. J’ai un rapport viscéral à mes personnages (principaux), et je ne les invente pas vraiment : soit ils ont déjà existé (Gérard dans « Tébessa, 1956 »), soit ils sont inspirés de personnes ayant existé (Jean et Emilie dans « la partie de cache-cache »), soit, encore, ils font partie de l’Histoire elle-même (Alain Larrouquis ou Aurelia Kreit). J’aime l’idée de rattraper une part de leur histoire que personne n’a connue ou qui serait passée inaperçue, et c’est un support qui rend le récit crédible, pour moi. Je peux aussi m’inventer des avatars, mais pour ne pas tomber dans le piège autofictionnel, je leur donne suffisamment de caractères qui ne sont pas du tout les miens : ça permet de jouer avec le lecteur.

Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.

Je sors d’une expérience d’écriture absolument démentielle : après avoir mis dix ans – pas en continu – pour écrire Aurelia Kreit, j’ai mis six mois pour écrire les deux tiers de la suite ! En travaillant comme un damné, à raison de 5h par jour, tous les jours. Un deuxième roman « russe », dix-neuviémiste dans son rapport à la langue et sa façon de prendre le temps, en trois parties de 110 feuillets : la première dans une ambulance du front de Mulhouse, la deuxième à Moscou, en plein tourment révolutionnaire, en 1916 et la dernière avec les troupes que Nicolas II a envoyées en France, fin 1915, et qui deviendront les fameux mutins de la Courtine. Il me reste neuf mois de relecture et de correction, vu le volume du manuscrit, mais c’est un travail qui m’a enrichi, et fasciné. Je ne peux plus concevoir l’écriture autrement, sans beaucoup travailler. Apprendre et restituer. Je vais pouvoir m’atteler à la réalisation d’un projet qui me tient à cœur, maintenant, l’édition de « 14 fois Clara Ville », un aperçu de mon travail sur les Portraits de mémoire, avec 14 portraits de mon personnage de « Girafe lymphatique », de ses 40 ans jusqu’à sa mort, dans tous les âges de sa vie. Et finaliser un travail poétique sur Ouessant, plus de vingt ans après le premier.

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