Portrait en Lettres Capitales : Suzana Tanase

 

 

Qui êtes-vous, où êtes-vous née, où habitez-vous ?

Je suis une passionnée de lecture qui s’essaie à l’écriture, afin de déchiffrer par ce biais le puzzle de son propre passé. Je suis née à Constanța, au bord de la Mer Noire, comme j’aime le rappeler souvent, en n’y habitant malheureusement que pendant ma toute première année, mes parents ayant déménagé ensuite à Piatra-Neamț, à la montagne, où j’ai passé mon adolescence et suivi ma scolarité. Je dis malheureusement, car j’aime la mer et l’état de douceur et de nostalgie que seule la surface de l’eau sait transmettre. Depuis 2007, j’habite au Canada, et j’ai la double nationalité, roumaine et canadienne, chose qui m’étonne toujours et qui réveille en moi un écho étrange.

Vivez-vous du métier d’écrivaine ou, sinon, quel métier exercez-vous ?

Oh, non, pas du tout. Pour moi, l’écriture est une pure passion, si je devais lui associer l’idée de l’argent, je ne réagirais certainement plus de la même façon. J’écris par passion, pour répondre à un besoin émotionnel, poussée par le désir de me découvrir, par autoflagellation, peut-être, et pour permettre à certaines histoires de fendre ma carapace et sortir sous forme d’écrits. Écrire me fait du bien, cela a un effet thérapeutique en m’aidant à me débarrasser des voix qui raisonnent dans ma tête.

Alors que le métier d’écrivain me contraint à une occupation plutôt solitaire, mon activité professionnelle me fait entrer en contact avec des gens de toutes les cultures et de tous les continents qui font du Canada leur maison. Cela m’amuse de penser qu’une immigrée comme moi aide d’autres immigrés à s’installer dans leur nouveau pays, en faisant preuve d’un savoir-faire que je ne serais pas capable d’utiliser si c’était le cas de mon pays d’origine, par exemple. Je travaille depuis plus une douzaine d’années comme conseillère au service de l’immigration à la fois auprès du gouvernement canadien et à mon compte, chose qui me permet de choisir mes horaires de travail à ma convenance.

Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?

À l’origine il y a eu un livre, suivi par d’autres, accompagnés par les biographies des auteurs, pour arriver à la fin à me rendre compte que le désir d’écrire se logeait depuis des années dans ma tête, avant de jaillir devant mes yeux comme une évidence. J’ai toujours éprouvé le besoin d’écrire, mais la peur de l’échec, le sentiment de ne pas être capable d’accomplir un tel exploit ont paralysé en moi tout initiative d’écriture. J’ai toujours tenu un journal que je fréquentais surtout dans mes moments difficiles, assez souvent d’ailleurs. C’est là que j’ai exercé pour la première fois mes talents d’écrivain. Mais le vrai travail d’écriture a débuté au moment où j’ai donné naissance à mon fils, en 2013. Portée par un courage fou, je me suis dit que si j’avais réussi à mettre au monde un enfant, je serais surement capable de mener jusqu’au bout le travail d’écriture d’un livre. Cette démarche a été à l’époque salvatrice pour moi, et elle agit de même manière à chaque fois que j’entame un projet nouveau, même si ce travail n’est pas toujours des plus paisibles. La littérature a été et reste pour moi une bouée de sauvetage, une seconde famille, qui n’appartient qu’à moi, de manière égoïste, un monde que je ne dois partager avec personne, qui ne me quittera jamais, et dont je ne serai jamais obligée de me séparer. Je me dis que même si demain je devenais aveugle, j’apprendrai le Braille pour continuer à pouvoir lire.

Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?

Il y a tellement de choses à dire à ce sujet que je crains de ne pas pouvoir épuiser facilement le sujet. Pendant mon adolescence, mon livre préféré que je relis de temps en temps et que je caresse chaque fois que je passe devant ma bibliothèque est Le nom de la rose d’Umberto Ecco. Je citerai ensuite Les Hauts de Hurle-Vent d’Emily Brönte, Crime et châtiment de Dostoïevski, Ionel Teodoreanu, « le métaphoriste » roumain, auteur de Lorelai [Lorelei] et de La Medeleni [À Medeleni], et tous les livres de Mircea Eliade.

Plus tard, j’ai découvert le premier roman de Gabrielle Roy, Bonheur d’occasion, Le lys de Brooklyn de Betty Smith, L’empreinte de l’ange de Nancy Huston, d’autres auteurs et autrices du Canada que je relis souvent, comme Joan Didion, Maya Angelou, Toni Marrison, Oriana Fallaci. La liste reste, bien entendu, ouverte.

Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?

Je préfère les romans, la poésie me semble plus difficile, même si cela ne devrait pas m’arriver. J’ai écrits trois romans, dont un roman-poème, Grădina Sofiei [Le jardin de Sophie], dont l’écriture m’a semblée plus facile. J’ai été moi-même surprise par cette réussite, et qui, en plus, a été très bien accueillie par le public. Sinon, je m’essaie à tout, poussée par le désir de me dépasser.

Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?

Lorsqu’une idée surgit dans ma tête, je me mets à écrire. L’histoire décide de la personne utilisée dans le discours et du style. Je corrige très peu. Je ne regarde pas trop en arrière, et quand tout est prêt, je confie le texte à quelqu’un de confiance.

Je me laisse portée par mes personnages, ce sont eux qui me dictent les paroles et qui guident ma main. Je ne fais que les écouter.

D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?

Les sujets naissent dans des moments subliminaux, faisant tous partie de ma vie personnelle. C’est rare que je m’inspire d’un livre déjà lu, mais qui me rappelle des moments vécus auparavant dans ma vie. L’inspiration s’éveille devant une odeur, à la sonorité d’un mot, au passage furtif d’une scène qui passe devant mes yeux et persiste dans ma mémoire comme une épine qui laisse persister le souvenir d’une douleur sourde dans la chair. Je traine ma jambe pendant tout le temps que dure l’écriture pour qu’ensuite, lorsque tout est terminé, je retrouve mes forces, sans qu’aucune cicatrice ne persiste. L’écriture d’un livre peut prendre un an, quelques mois pour d’autres, tout dépend de beaucoup de choses. Personnellement, je préfère écrire des livres de maximum 250 pages, je me vois mal m’atteler à un projet de six ou huit cent pages.

Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?

Le titre est peu déterminant, et d’habitude, il ressort au gré de l’écriture. Ce qui m’importe le plus, c’est l’idée de départ, la manière de la garder vivante et la quantité de brindilles nécessaire pour qu’elle ne s’éteigne pas. Même si le rôle du titre est mineur, il est tout de même tout aussi important que l’éclat d’une enseigne sur la façade d’un immeuble.

Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?

Je me retrouve un peu dans chaque personnage, aucun ne m’est étranger. Ce sont des petites parcelles de moi-même. Lorsque j’écris je pense sans cesse aux gens rencontrés qui ont franchi le seuil de ma porte et qui ont joué un rôle dans ma vie. Il n’y a pas de personnages ni d’émotions inventés. Tout fait partie de moi.

Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.

Aucune description disponible.Mon dernier livre publié est Grădina Sofiei [Le jardin de Sophie], un roman-poème sur la maternité et la féminité, une confession et une longue liste d’évocations. C’était la première fois que je m’essayai à ce type d’écriture et j’ai été moi-même surprise de la facilité avec laquelle j’avais mené jusqu’au bout ce projet. Le roman a reçu le Prix du Livre de l’année 2020 – dans la catégorie diaspora, de la revue Itaca de Dublin –, et le Prix Cristian Săileanu, deuxième édition, dans la catégorie du roman.

Je travaille actuellement à un nouveau livre qui gardera le parfum de Grădina Sofiei, sans aucun lien avec celui-ci, en revanche. J’espère le terminer avant la fin de cette année. J’ai d’autres projets que je garde pour le moment en sourdine, bien à l’abri.

(Traduit du roumain par Dan Burcea)

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