Portrait en Lettres Capitales : Géraldine Sommier-Maigrot

 

 

Qui êtes-vous, où êtes-vous née ? Où habitez-vous ?

Je suis née en Creuse, et après des escales à Limoges, Toulouse puis Paris, j’habite dorénavant en Isère, dans un petit village entre Lyon et Grenoble. Je m’y sens bien.

Vivez-vous du métier d’écrivain ou sinon, quel métier exercez-vous ?

Non, je n’en vis pas. J’ai fait des études scientifiques qui ont débouché sur un poste d’ingénieur dans la navigation aérienne, d’abord à Paris, puis depuis 2004, à l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry. Mon parcours est jalonné par deux tendances a priori contradictoires mais qui en fait se complètent très bien. Mon métier est essentiellement technique, ancré dans le matériel, dans la rigueur et la concentration à l’instant t. Quant à ce besoin de créer qui m’anime en parallèle, l’écriture justement me permet de l’assouvir.

Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?

Depuis toute gamine les livres font partie de ma vie, un peu comme des amis qu’on apprécie d’avoir sous la main. Je lis toutes sortes de livres. Ce qui compte, c’est d’apprendre, m’interroger, ressentir, et surtout m’évader. Dans les univers imaginés par les écrivains, et aussi dans ceux que j’invente. Quand j’étais petite, j’ai commencé à écrire des poèmes, pour le plaisir de jouer avec les mots. J’adorais passer des heures à me triturer la cervelle pour trouver des jolies rimes. J’ai aussi écrit des petites pièces de théâtre, ainsi que des nouvelles qui faisaient travailler mon imagination. C’était des histoires courtes, avec trois-quatre personnages, et une trame très basique, très simple. Je n’étais pas du tout dans le mode roman à l’époque. Le déclic s’est produit quand ma grand-mère, peu avant sa mort, a commencé à me parler de sa vie pendant la seconde guerre mondiale. Elle m’a montré les lettres que son mari, resté prisonnier en Allemagne jusqu’à la Libération, lui avait envoyées. Elle m’a raconté son quotidien pendant ces six années difficiles tissées de solitude, d’absence et de peur. J’ai été profondément émue, j’ai eu envie d’écrire là-dessus, de faire un album photos à ma manière, avec mes propres mots, un roman souvenirs. Il me semblait que c’était quelque chose que je devais à ma famille. L’expérience m’a beaucoup plu, elle m’a prouvée que j’étais capable d’écrire une histoire longue et aboutie, et pas simplement sur quelques pages. J’ai donc continué à écrire, cette fois en puisant dans mon propre univers.

Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?

« Le bonheur des dames » de Zola a marqué mon adolescence mais aussi l’auteure que j’essaye d’être aujourd’hui. Il y a dans ce livre un souffle de vie si puissant, un foisonnement si riche dans l’évocation des tissus, les bains de foule, les métaphores qui se chevauchent, se répondent, qu’on y plonge avec bonheur pour se laisser emporter comme par une tornade. Le grand magasin lui-même y gagne une dimension humaine, à la fois monstrueuse et fascinante. Il n’est pas simplement un lieu, il est LE personnage central du roman, celui qui détermine la destinée des autres personnages. Qui fait que désormais je ne peux plus entrer dans un grand magasin sans ressentir ces fourmillements de la vie que Zola raconte avec génie. Qui fait que je suis toujours à la recherche de cet élan, cet appel, comme une vague tumultueuse prête à laisser ses flots liquides se culbuter dans ma tête.

Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?

J’écris des romans, qui me servent de déclencheurs pour aborder des thèmes qui me tiennent à cœur, et me permettent d’extérioriser des questions ou des peurs tapies au fond de moi. Mais comme je le disais plus haut, si j’aime inventer des histoires, j’aime aussi jouer avec les mots,. Il y a donc des élans de poésie dans mes romans. Je continue d’ailleurs à écrire des poèmes de temps en temps, quand le besoin de crier un sentiment, de révolte, d’indignation, de beauté aussi parfois, ou simplement de paix, devient trop fort et demande à être évacué.

Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième personne ?

Avant de commencer à écrire la première ligne d’un nouveau livre, je travaille d’abord la trame dans ma tête. J’établis un scenario de base, chapitre après chapitre, assez évasif, et nullement figé. Ce n’est qu’après avoir réuni un certain nombre de notes que je me lance dans l’écriture de la scène telle que je l’ai pensée. Ce premier jet s’effectue sur des feuilles, j’ai besoin de mon bloc de papier et de mon stylo pour que les mots se déroulent, comme si le fait de pouvoir raturer relançait mon imagination lors des moments d’hésitation. Je passe ensuite au clavier, lors d’une relecture qui me permet alors d’insister sur le style et la formulation proprement dite. Remplacer un mot par un autre, plus adéquat, ou plus poétique. Insérer une phrase de transition. En alléger une autre. C’est une étape importante dans la construction de mes livres.

D’où puisez-vous les sujets de vos livres et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne  vie comme œuvre de fiction ?

Les livres que j’écris me servent de confidents, de détonateurs pour réfléchir à certains sujets qui m’interpellent. Je pioche donc beaucoup dans mon imaginaire personnel, et dans mes expériences d’adulte, avec mes espoirs, mes interrogations et mes peurs. Pour « Le coq ne chantera plus » par exemple, j’avais besoin d’exorciser le sentiment cruel d’isolement qui parfois me submerge en tant que mère lorsque je suis confrontée à la complicité exclusive qui s’établit entre mon mari et mes fils. Cette complicité se réalise à travers la pratique assidue de sports extrêmes que je ne suis pas capable de suivre et qui forcément me laisse de côté, et me fait mal. La trame de mes histoires s’abreuve aussi à des inquiétudes plus universelles, comme le harcèlement à l’école ou la violence conjugale, des thèmes douloureux que je dois crier sur le papier pour mieux expulser ma révolte. Il faut de longs mois pour que l’intrigue qui en surgisse se développe, elle doit d’abord macérer, s’affiner, afin de pouvoir ensuite donner tout son potentiel.

Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?

En général le titre de mon ouvrage me vient dès l’élaboration de la trame, et donc bien avant le développement narratif. Il s’impose sans que j’ai besoin de me concentrer dessus, au détour d’une idée. Il jaillit, je l’empoigne, je le note et l’encadre, il est rare qu’il soit délogé par un autre. Parfois il résume, sans qu’il soit possible bien sûr d’y mettre l’essence entière du roman, parfois il intrigue, il attire. Il se dresse telle une sentinelle exigeante, un gardien de phare qui surveille mes personnages, les retient auprès de lui et les guide vers le dénouement, sans leur permettre de trop vagabonder en chemin.

Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?

J’aime mes personnages, jusque dans leurs défauts qui jouent toujours un rôle dans le développement de l’intrigue. Même ma Nathalie affabulatrice de « La ronde des menteurs », qui ne se gêne pas pour s’affranchir de certaines contraintes mais, au lieu d’avoir le courage d’avouer la vérité en face, s’enlise dans des mensonges sans fin, m’est sympathique. Ce qui ne m’empêche pas de la malmener. Il faut bien des mises à l’épreuve pour que l’histoire prenne forme et progresse. Les personnages de mon dernier roman, « Le coq ne chantera plus », me sont encore plus proches, peut-être parce que je voulais des émotions encore plus intenses, qui font appel à des souffrances et à des peurs qui sont celles de beaucoup d’entre nous et ne peuvent pas laisser indifférents. Ce sont cependant des personnages de fiction, ils vont naître en fonction de ce que j’ai envie de raconter, chaque trait de leur caractère enrichit et nourrit mon histoire.

Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.

Mon nouveau roman « Le coq ne chantera plus » chante la résilience, l’amour filial et surtout l’amitié, de celle qui amène les gens à se dépasser. Amitié en tant que refuge quand, dans les familles, certains membres ne trouvent pas leur place. Amitié coup de foudre entre Faustine, assoiffée d’affection, isolée au sein de sa propre famille, et Célia, épouse battue, qui a peur d’être soupçonnée d’avoir tué son mari. L’idée est partie de la volonté d’assouvir une forme de justice vis à vis des violences conjugales. Je me suis dit que sur le papier tout du moins, je pouvais faire en sorte que le mari cogneur de sa femme soit assassiné. Par qui ? L’enquête policière reste secondaire, parce que mon idée principale, c’était surtout de montrer l’amitié comme une bouée de sauvetage, un moyen de se relever quand les cassures deviennent trop lourdes à porter. Je voulais une histoire bien ficelée, avec des émotions puissantes, des personnages marqués, à la fois déchirés mais volontaires et pleins d’espoir, du suspense. Ecrire un roman entre psychologie et polar, qui s’inscrit dans une atmosphère intimiste.

En ce moment je suis en train de travailler sur un roman dans lequel le personnage principal est une libraire qui va perdre la vue et se retrouvera confrontée à un monde inconnu et hostile qui n’a plus rien de commun avec ce qu’elle connaissait, et aimait. C’est là un thème que j’ai besoin d’aborder afin de canaliser la peur qui reste enfouie en moi, la peur de devenir aveugle alors que mon monde, mon métier, mes loisirs, toute ma vie, sont basés sur le visuel. Le combat de cette femme, ce sera un peu le mien. « La face cachée des arcs-en-ciel ».

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