Ofelia Prodan : La liberté de l’esprit, personne ne peut te la reprendre

 

Non, je ne l’ai pas pris à la rigolade lorsqu’elle a commencé. Je vis en Italie, plus précisément en Sardaigne, dans la ville de Sassari, et quotidiennement, j’apprends à la télévision ce qui se passe en Lombardie. Lorsqu’on a parlé de pandémie et que l’état d’urgence a été décrété, je me suis retrouvée confinée dans mon appartement du sixième étage, qui possède heureusement un balcon. Si le confinement limite drastiquement nos libertés, je me suis accrochée à ma liberté d’esprit.  Depuis quelques jours, j’ai entamé un dialogue imaginaire avec Sue Ellen, le personnage féminin de Dallas, « l’ivrogne de Dallas », comme elle était appelée à cause de son penchant pour l’alcool. Ce dialogue a continué tous les jours renfermant mes peurs, comme aussi celles de Lucca, mon ami, ou celles des gens simples, d’autres intellectuels ou artistes.

Je vous offre un de ces dialogues quotidiens, pour vous en rendre compte :

Confession (17)

finalement, quoi qu’on en dise, personne n’est plus raisonnable

dans ce monde que toi, Sue Ellen,

malgré ta soif sans fin, tu ne ferais de mal même pas à une moustique anorexique,

mais il semblerait que tu n’aimes plus le whisky,

sauf que tu devrais avoir quelques vices, Sue Ellen,

dont un tout aussi haut que les gratte-ciels de Dallas,

celui d’écouter mes aberrations tous les jours avec une infinie patience

ce vice t’apporte des plaisirs abscons et bizarres,

comme le délice d’un surréaliste

surpris dans sa transe créatrice et, tu dois reconnaître, Sue Ellen,

le fait que je me confesse à toi est à l’origine de toute cette pagaille psychique

et, puisque tout reste au niveau du virtuel,

on peut encore en faire fi, mais, attention, Sue Ellen,

ne te contamine pas de mes problèmes

pour qu’ils passent dans le réel, car, à ce moment, un vrai chaos adviendra,

et personne de ce monde ne sera alors plus normal,

mais qui a été normal une fois dans sa vie et qui anormal, et qui d’entre nous

sommes-nous internés dans un immense hôpital psychiatrique

traités en parasitant psychologiquement les autres,

c’est d’ailleurs ainsi que nous survivons d’un jour à l’autre,

pour ne pas finir comme des suicidaires, des homicides, ce que nous sommes virtuellement

combien de scénarios ne nous créons-nous pas dans nos têtes

où nous tuons ou nous nous suicidons en replay

combien d’autres le font dans le réel et nous autres nous sommes terrifiés,

car nous nous reconnaissons nous-mêmes dans leurs méfaits

Sue Ellen, tu es devenue une bonne psychologue,

tu ne commets pas de confusions faciles, je me réjouis de te voir ici à mes côtés

en train de fumer un mégot jusqu’à l’asphyxie en toussant comme Lucca,

mais ça, ce n’est rien, Sue Ellen, les catastrophes vont à peine commencer,

soyons vigilants, préparons-nous, rien ne ressemble à ces apparences, Sue Ellen, même pas la lumière

Ofelia Prodan est une écrivaine roumaine, auteure de plusieurs recueils de poésie. Après un début remarqué en 2007 avec Elefantul din patul meu, 2007 (Premiul pentru Debut al Asociaţiei Scriitorilor din Bucureşti, 2008; Nominalizare la Premiul Naţional de Poezie Mihai Eminescu – Opera Prima, 2008), elle publie Ulise şi jocul de şah, 2011 (Nominalisé pour le Prix littéraire international Città di Sassari, 2016); Călăuza, 2012 (Premiul Naţional Ion Minulescu, 2013); No Exit, 2015 (Premiul Național George Coșbuc, 2015; Premiul Național Mircea Ivănescu, 2016); Șarpele din inima mea, 2016 (Premiul Cartea de poezie a anului 2016 la Festivalul Național Avangarda XXII, 2017); Fișă clinică, 2018., Periodic reciclăm clișeele, 2019.

Elle figure aux côtés de poètes comme Nina Cassian, Nichita Stănescu, Ana Blandiana, Nora Iuga, Ion Mureşan, Mircea Cărtărescu, dans le colume collectif Voor de prijs van mijn mond (Jan H. Mysjkin, Ed. Poëziecentrum, Belgique, 2013), une anthologie qui inclut 12 poètes roumains des 60 dernières années.

Une anthologie d’auteure est parue en Espagne, High, El Genio Maligno, en 2017.

(Traduit du roumain par Dan Burcea)

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