Docteur Boris Vesterman : témoignage sur l’horreur de la Shoah

Le docteur Boris Vesterman est décédé le 10 juin 2013.

 

 

Je l’avais connu dans la même année, au Salon du Livre de Paris, à une table ronde sur le thème «Écrire la Shoah» inspirée par la lecture du «Le livre noir de la destruction des Juifs de Roumanie 1940-1944», de l’avocat roumain Matatias Carp (1904-1953).

Au moment des questions du public, le docteur Boris Vesterman était intervenu timidement pour rendre témoignage de la disparition tragique de son grand-père et de sa tante, tous les deux déportés et assassinés d’une balle dans la nuque lors de leur déportation vers la Transnistrie.

Il a eu la gentillesse de m’accorder cette interview que je reproduis ici et que je dédie à sa mémoire:

Votre témoignage a impressionné l’auditoire. Faisons connaissance.

Mon nom est Boris Vesterman. Vous remarquerez que le W est remplacé par le V car en russe cette lettre n’existe pas. Mes parents étaient originaires de Kichinev où ils ont vécu pendant l’époque russe. D’ailleurs, ils étaient tous russophones, aucun ne parlait ni yiddish, ni roumain, même après l’incorporation de la Bessarabie à la Roumanie, après la Première guerre mondiale, lorsqu’ils sont devenus citoyens roumains. Le fait qu’ils habitaient en Bessarabie était dû à la politique antisémite du régime russe qui interdisait aux Juifs à franchir une zone de résidence circonscrite au territoire du sud de l’empire. Mon grand-père paternel était médecin, quant à mon grand-père maternel qui s’appelait Benjamin Solomonov, il dirigeait une coopérative artisanale. Il a eu cinq enfants : Vladimir, Ida, Maria, ma mère, Eugenia et Boris.   

Pouvez-vous nous raconter leur histoire ?

On pourrait écrire, je crois, un roman, si je devais vous raconter l’histoire de chacun d’entre eux.  J’essaierai de le faire brièvement. Vladimir, mon oncle, était officier dans l’armée tzariste blanche, et, après la révolution russe, il a perdu ses privilèges. Il a été tué par les nazis après l’invasion de 1941. Ida, quant à elle, a eu une vie extraordinaire. C’était une socialiste très active, raison pour laquelle elle a été déportée en Sibérie par le régime tsariste. La Révolution d’Octobre 1917 a conduit à sa libération, et elle s’est mariée peu de temps après, et a eu une fille. En 1937, lorsque Staline a commencé les procès d’épuration, Ida a été déportée dans un goulag en Sibérie et notre famille a perdu tout contact avec elle. Plus tard, lorsque Gorbatchev est arrivé au pouvoir, sa fille a pu retrouver dans les archives sa condamnation à mort et l’ordre d’exécution de cette sentence.

Maria était donc votre maman.

Ma mère s’appelait Maria Solomonova. Après avoir rencontré mon père qui, lui, avait fait à plusieurs reprises des études de chimie en France, mes parents ont émigré et habité à Dijon, la ville où je suis né en 1926.

Revenons au drame de votre grand-père maternel.

Comme je vous l’ai déjà dit, mon grand-père et ma tante Eugenia, la sœur cadette de ma mère, qui était restée célibataire, ont été arrêtés en 1941 et amenés par l’armée roumaine dans un convoi vers la Transnistrie.  Mon grand-père avait environ 85 ans. Sans doute,  à son âge avancé, cette longue marche lui a été fatale. Comme il ne pouvait plus marcher, il a été exécuté d’une balle dans la nuque et jeté dans un fossé, comme nous l’avons appris plus tard par d’autres Juifs, témoins des événements. Eugenia a été tuée au même moment et dans les mêmes conditions.

Reste une seule personne de la famille de votre grand-père dont vous ne m’avez pas parlée.

Ah, mon oncle Boris Solomonov a eu un destin si on peut dire… banal. Après son exil en France, il a travaillé comme chauffeur de taxi à Toulouse.

Et vous ?

Comme je vous l’ai déjà dit, je suis né à Dijon et j’ai été médecin généraliste, maintenant je suis à la retraite et j’habite Paris.

 

Propos recueillis par Dan Burcea

Les crédits photo appartiennent à la famille Vasterman

 

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