Interview. Florence Herrlemann : «L’appartement du dessous est un peu comme le fil d’Ariane, et au bout de ce fil il y a des lecteurs»

 

 

Toute vie est une histoire, un édifice où les mots sont comme des briques renfermant des secrets et des trésors qui échappent à «l’aridité du monde». C’est ce que Florence Herrlemann réussit à nous prouver dans son magnifique roman «L’appartement du dessous».

À quelque mois depuis la parution aux Éditions Albin Michel de son roman si bien accueilli par la critique, Florence Herrlemann se confie sur la joie de partager ce succès avec ses lecteurs.

« L’appartement du dessous » connaît un franc succès de librairie. Comment vivez-vous cette rencontre à travers votre récit avec vos lecteurs ?

Je le vis merveilleusement bien, mais surtout je mesure ma chance. Même si je ne réalise pas tout à fait. Et c’est très bien ainsi. Ce qui m’importe le plus, c’est de pouvoir rencontrer mes lecteurs. C’est un peu mon Graal. Chacune des séances de dédicaces est comme un petit miracle, j’en suis pleinement consciente. L’appartement du dessous est un peu comme le fil d’Ariane, et au bout de ce fil il y a des lecteurs. C’est pour cela que j’écris, c’est pour eux. Je ne crois pas que l’on puisse écrire uniquement pour soi, sinon pourquoi vouloir se faire publier ? Ça n’aurait aucun sens. La notion de partage m’est extrêmement importante, elle me pousse à aller plus loin, à prendre des risques et j’aime ça. Puis, il y a les libraires, les blogueurs, qui ont un rôle de passeurs et qui ont une grande importance pour nous, auteurs. On ne les remercie jamais assez. Eux aussi font de petits miracles. La littérature est tellement subjective, il est impossible de savoir à quoi tient le succès d’un roman. Il n’y a pas de recette et c’est tant mieux… le plus important, c’est d’écrire, d’offrir.

Pouvez-vous nous présenter en quelques mots les grandes lignes et les personnages de ce récit ?

Une jeune trentenaire, Sarah, emménage dans un petit immeuble du haut Marais parisien. Le lendemain de son arrivée, elle reçoit en guise de bienvenue une drôle de lettre, qui sera la première d’une longue série. Elles sont signées de sa voisine du dessous, Hectorine, dame énigmatique de bientôt 104 ans. Ses lettres ont un caractère d’urgence, elle a peu de temps pour délivrer à cette jeune Sarah un terrible secret. Un siècle de vie va être déroulé comme le fil d’une pelote. Son incroyable récit sera entrecoupé d’événements quotidiens et ponctué par la rencontre de personnages hauts en couleur qui habitent également ce petit immeuble.

Pourquoi avoir choisi le genre du dialogue épistolaire, cet échange de lettres entre deux voisines qui vont se découvrir tout au long de leur correspondance ?

Je savais pertinemment que je prenais un risque en m’attaquant au genre épistolaire. En fait, l’idée a germé après ma énième lecture des liaisons dangereuses, de De Laclos. L’envie d’écrire des lettres s’est imposée. Je trouve qu’elles donnent une tout autre dimension au récit. Je trouvais l’idée intéressante, ensuite, il fallait que viennent l’histoire et les personnages adéquats. Il me semblait plus que nécessaire de me renouveler en proposant un univers et une structure narrative différents du premier. Pour l’histoire et l’intrigue, l’idée que deux voisines qu’une simple volée d’escaliers sépare correspondent uniquement par lettres sans jamais se rencontrer était un autre challenge que je trouvais excitant. Au premier abord, cela peut paraître improbable, mais en réalité ça fonctionne très bien. Ensuite, la magie a fait le reste. Les mots ont un pouvoir extraordinaire. Hectorine et Sarah nous le prouvent tout au long de cette correspondance. Elles nous apprennent qu’une rencontre peut être aussi forte et troublante sans forcément être physique.

La « lettre » permet une expression plus libre et accorde une certaine distance que l’on n’a pas dans une conversation verbale. Elle accorde ce temps de réponse qui permet la réflexion désinhibée. L’histoire qu’Hectorine souhaitait raconter avait besoin de ce temps et de cette liberté. Finalement, je crois que le genre s’est imposé de lui-même.

Le groupe BlaBlaBook a lancé sur les réseaux sociaux une invitation à faire de votre livre « le roman de l’été ». De nombreuses photos mettent en scène sa couverture à travers la France et l’Europe. Comment suivez-vous le déroulement de ce Grand Jeu ?

C’est une très belle idée qu’a eue Denis Arnoud, ami et blogueur très talentueux et connu de la blogosphère et qui me suit de prés depuis la sortie du Festin du lézard, mon premier roman. Plusieurs clichés très originaux ont déjà été postés. Je suis très touchée de voir ainsi Hectorine et Sarah se balader un peu partout en France et en Europe et de savoir qu’elles accompagnent les lecteurs pendant leurs vacances. Je suis cela avec beaucoup d’intérêt. Le jeu s’arrête le 31 août, d’autres photos vont être prises, j’ai hâte de les voir.

Mieux encore, des lecteurs vous envoient des lettres à l’intention d’Hectorine. Avant d’évoquer ce sujet de cet angle de vue, revenons à l’incroyable rencontre que vous avez vécue avec une dame qui …De qui s’agit-il ?

Oui, c’est tout à fait surprenant. En me demandant de lui donner « corps », Hectorine avait probablement déjà imaginé qu’elle serait ce vecteur d’émotion qui traduirait chez certains ce besoin de correspondre avec elle. Vous savez combien elle aime écrire… Elle ne m’appartient pas, c’est l’Hectorine de tout le monde, la grand-mère ou l’arrière-grand-mère que l’on n’a pas eue, et à qui aujourd’hui l’on peut écrire. Alors je ne vous cache pas la joie immense que j’ai quand les lecteurs lui envoient une lettre.

Pour répondre à la deuxième partie de votre question : c’est incroyable, mais vrai, parfois la réalité dépasse vraiment la fiction. C’est extrêmement troublant. D’ailleurs quand c’est arrivé, pour être sûre que je ne rêvais pas, j’ai immédiatement posté la photo de cette « Dame » (avec son autorisation) sur les réseaux sociaux. Et mon poste a suscité beaucoup d’émois, certains lecteurs l’ont reconnu. Je n’étais donc pas folle, il s’agissait bien d’Hectorine. C’était à mon tour d’être projetée dans une autre dimension. Je venais d’atterrir rue de Bretagne, au beau milieu de sa vie, dans ce café où elle avait ses habitudes, elle sortait beaucoup à cet âge encore. C’est tout de même insensé que cette femme avec sa tresse sur le côté, comme Hectorine, vienne s’asseoir juste à côté de moi, à cette terrasse, un jour où je m’y trouvais tout à fait par hasard. Mais comme le hasard n’existe pas, je devais, apparemment, avoir rendez-vous avec elle. C’est dément. Je me suis présentée, nous avons discuté. Elle est partie acheter le roman à la librairie d’à côté pour que je le lui dédicace. Elle est revenue avec un cadeau et nous avons parlé autour d’une tasse de thé. J’ai mis une semaine à m’en remettre. Nous sommes restées en contact. Elle n’est pas simple à joindre, ce n’est pas une adepte du téléphone et des texto, encore moins du mail. À chaque fois qu’elle me fait signe, l’émotion est intacte. C’est toujours ce même trouble qui s’empare de moi.

C’est donc à cette Hectorine réelle que sont adressées les lettres que nous évoquions plus haut ?

Elles sont adressées à Hectorine. Il n’y en a qu’une. J’ai entendu dire qu’elle se baladait aussi du côté de la gare de Lyon, vous pourriez vous aussi la croiser un de ces jours… Ouvrez l’œil !

Ce croisement de passé/présent donne le vertige par son incroyable caractère inattendu. Avez-vous l’intention de l’exploiter comme matériau romanesque ?

Effectivement, c’est un matériau très intéressant. Proust, pour ne citer que lui, l’a merveilleusement exploité. Je m’y emploie avec beaucoup de précautions. Il est extrêmement dangereux et doit être manipulé avec soin.

Quel message souhaiteriez-vous transmettre à celles et ceux qui n’ont pas encore lu « L’appartement du dessous » ? Et pourquoi passer les vacances en compagnie de Sarah et Hectorine ?

Aucun, je ne suis pas là pour proposer à qui que ce soit la lecture de mon roman. En revanche, ceux qui l’ont lu ont cette légitimité. Je crois beaucoup au fait que la littérature doit passer de mains en mains. Pour l’Appartement du dessous, si sa lecture en enchante certains elle peut en enchanter d’autres encore et encore. C’est ce que font les blogueurs, les libraires et certains journalistes. Ils sont de merveilleux passeurs (je l’ai dit plus haut, je crois) et il m’arrive d’en faire autant. Quand une lecture vous enchante, vous avez envie de la partager avec d’autres. De passer le flambeau. De partager la joie qu’elle a provoqué.

Avez-vous des projets futurs d’écriture ? Y travaillez-vous déjà ?

Bien sûr. Je suis toujours en état de gestation et je travaille très sérieusement sur le troisième. Il sera lui aussi différent des deux précédents. Ensuite, je crois que je ferai une suite au premier : Le festin du lézard. Son héroïne, Isabelle, frappe à la porte avec beaucoup d’insistance, elle est assez obstinée, et je suppose qu’elle continuera à frapper jusqu’à ce que je lui ouvre enfin. Nous verrons bien ce qu’elle a à me dire… Il y a d’autres sujets que je rêve d’aborder. Il y a tellement de choses à écrire, tellement d’histoires à raconter, je crois que je ne vais pas m’arrêter de si tôt ! Je ne peux pas en réalité, ça m’est impossible… L’idée m’est inconcevable.

Interview réalisée par Dan Burcea

Florence Herrlemann, L’appartement du dessous, Éditions Albin Michel, 2019, 256 p.

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