L’écrivain face à ses personnages : Isabelle Flaten

 

Quelles relations entretenez-vous avec vos personnages, vos doubles ?

Pour rester dans le domaine de la métaphysique suggéré par Dan Burcea, je dirais en reprenant la formule de l’évangile selon Jean qu’au commencement est le Verbe, qu’un personnage naît de quelque chose que j’ai à dire, de manière consciente ou inconsciente. Puis au fil de l’écriture le Verbe se fait chair et c’est là que se pose la question de l’hypostase.

Si pour l’heure, il me semble encore parvenir à distinguer la frontière entre réel et fictionnel, je dois bien admettre qu’elle est floue. Il n’est pas exclu qu’à l’instar de Balzac, j’appelle un de mes personnages à l’aide sur mon lit de mort ou qu’un jour, tel Stendhal, j’en vienne à considérer les fruits de mon imaginaire comme des faits réels tant le processus de l’écriture est un lieu qui m’habite et que j’habite, celui de mon existence.

A l’origine d’un personnage, il n’y a rien de bien précis sinon une petite idée qui me travaille, une image qui me traverse, un propos qui me chatouille. Je m’interroge alors sur la façon de l’incarner, un homme, une femme ou un paysage pourquoi pas. Puis vient la première phrase et dès lors je suis enceinte pour utiliser une métaphore galvaudée mais ô combien éloquente car le lien qui s’établit alors entre mon personnage et moi est du même ordre qu’une mère en devenir avec son enfant. Il est là en moi pas tout à fait réel mais en vie, je le projette sans cesse dans un futur encore incertain, entretiens avec lui une conversation de chaque instant, me réveille la nuit pour le bercer de mes illusions. Parfois ils sont plusieurs, il y a le personnage appelé principal et ceux qui gravitent autour de lui et avec chacun je tisse un lien particulier qui se consolide avec le temps ou à l’inverse se délite jusqu’à être abandonné, faute d’amour. Car il me semble que c’est de cela qu’il s’agit, d’aimer son personnage, acte dans lequel il puisera sa consistance. Nous sommes deux en un seul et ensemble nous grandissons jusqu’au jour où naît l’enfant, que j’espère divin car je suis une incorrigible rêveuse. 

Il me faut alors laisser vivre mon personnage parmi les autres et c’est là que notre relation se teinte d’ambivalence. Je l’accompagne quand il effectue ses premiers pas dans le monde et me surprends à parler de lui au présent comme un être à part entière, à affirmer spontanément qu’il existe. Une évidence, il ne peut en être autrement, nous avons si longtemps cohabité qu’il est inscrit dans ma chair à la manière forte. Ensemble nous faisons de belles rencontres, parlons d’une même voix, il est mon viatique pour le voyage vers les autres. Il n’y a pas de différence entre lui et moi. Fiction ou réalité quelle importance…     

Isabelle Flaten, 23 mai 2020

 

Bibliographie d’Isabelle Flaten:

Adelphe (roman), Éditions Le Nouvel Attila – 2019, Prix Erckmann Chatrian; Ainsi sont-ils (nouvelles), Éditions Le Réalgar – 2018; Bavards comme un fjord (roman), Éditions Le Réalgar – 2017; Chagrins d’argent (roman), Éditions Le Réalgar – 2016; Lettre ouverte à un vieux crétin incapable d’écraser une limace, Éditions Le Réalgar—2016, Se taire ou pas (nouvelles), Éditions Le Réalgar – 2015; Les noces incertaines(roman), Éditions Le Réalgar – 2014; Les empêchements (nouvelles), Éditions La Dernière Goutte – 2012; L’imposture (avec Anne Gallet) (roman), Éditions La Dernière Goutte – 2008

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