Le jardin d’acclimatation
J’explore la vie
dans sa lente acclimatation
comme une culture en serre
d’un jardin botanique
où l’hygrométrie contrôle
la respiration des fleurs
que leurs racines tiennent
tant qu’elles peuvent liées
au sort de leurs semblables
On naît tous quelque part
parfois en terre hostile
et l’instinct de survie
consent à l’abandon
il prend le risque du sommeil
malgré le voisinage
des plantes carnivores
puisque c’est là
que l’âme a déposé
la bouton fragile
de la vie
Le livre n’est même pas ouvert
sur l’histoire qui devait être contée
que déjà elle s’achève sur l’imparfait
des doutes. Sans amour il n’y a pas
d’histoire — à moins qu’un souvenir
ne revienne chanter sa ritournelle :
« Au jardin du Thabor
nous allions voir les roses
et ma grand-mère me disait
que de toutes j’étais la plus suave »
L’espace se laisse gagner
par la confiance, il nous supplie
de tenter de l’apprivoiser
sous peine
de nous condamner à la dissolution
dans le néant d’une existence
où nous ne reconnaissons
pas notre place
Alors
on redresse sa colonne
– une tige pensante –
où s’empilent les vertèbres
qu’un fil de détresse
penche plus qu’il ne la stabilise
Petit à petit
on tend vers l’équilibre
et les pensées s’alignent
sur une vibration joyeuse
L’énergie passe du rouge
au vert et s’illumine dans le bleu
comme un soleil qui émane de nous-
-mêmes et rayonne sur notre jardin
— acclimaté —
La couleur – comme un champ –
ouvre l’espace
à une mélodie
inédite
La clef trouve la serrure
dans la verticalité de l’instant
quand un point fixe de l’horizon
transperce la brume des apparences
et vient heurter la conscience
alors
l’éclair de la pensée
se met à l’œuvre
percute les mots d’amour
dans la cambrure invisible
du vent où explose le tempo
des pas de flamenco
d’une Carmen Amaya
l’Amour savait
que par elle il dansait.
(S’Agaró, le 18 septembre 2020)
Nous sommes du même bateau
— Nous sommes du même bateau
m’a soufflé en rêve l’amie
partie vers d’autres cieux
Tu es la vie augmentée
de quelques pôles « aime »
que tu décryptes
lorsque passe
ton âme devant
le miroir
Tu es ce peu
qu’une once d’amour
transporte en houle
poétique. Ce tout
qu’aucune intention
ne fige et qu’un rien
tourmente
En apparence, le calme
en profondeur, la tempête
et aucune pensée ne trouve
l’écueil d’une roche quand
d’un zeste d’humeur
elle désire se soustraire
à l’énergie créatrice
— Si tu savais, mon amie
combien l’énergie dévaste
tout
sous son passage !
Elle retourne chaque pensée
quand elle n’intervertit pas
deux certitudes
face au poète impassible
attentif au seul spectacle
des oiseaux qui ne mangent
pas son pain et dont la nature
restitue à merveille
le chant de la Vie
sans qu’il leur soit
nécessaire de composer
un nouvel opéra
Le risque est grand
de se laisser saisir par les flots
d’une passion qui nous submerge
« L’amour est un oiseau rebelle… »*
et quand les mots sauront se passer
de l’escarcelle de mon esprit
« j’irai danser la séguédille et boire du Manzani,
j’irai chez mon ami… » *
(Laillé, le 25 septembre 2020)
* extrait de l’opéra de Bizet, Carmen
Les vrais plaisirs vont à deux
« Les vrais plaisirs vont à deux ;
donc pour me tenir compagnie,
j’amènerai mon amoureux ! »*
Que peuvent-ils confier, les amoureux
de ces morceaux – étonnamment beaux –
que la vie leur donne, à savourer ?
Nous ne sommes que les témoins
de leurs sourires mis sous le signe
d’un soleil intérieur, partagé.
Que peuvent-ils nous révéler
de cette alliance sans cesse renouvelée
que leur peau garde en mémoire ?
Sur le parchemin de leur vie l’amour
jamais ne fugue.
La tendresse se passe de boussole
l’épanouissement des sens affolerait
l’aiguille. Leurs cœurs, si fragiles, battent
à l’unisson, ils sont leurs seuls repères.
Elle a l’âme poète et rêve souvent, à l’Ouest.
Il a l’œil photographe et ne perd jamais le Nord.
Chaque jour ils placent la clef d’UT
sur une nouvelle ligne de Joie
puis ils observent la tonalité
des instants qui se suivent
inconstants.
Ils se tiennent souples face au vent des épreuves
comme deux arbres complices – deux flammes pareilles.
Leurs racines plongent dans le même terreau
et se mêlent aux émotions qui viennent
et les imprègnent.
Ensemble ils embrassent les temps heureux.
Séparément ils respectent les moments où
l’autre pactise avec son Art puisqu’ils savent
que l’Un naît de la fusion avec sa passion.
Et la maison demeure la propriété
des chats, les humains n’en sont que les hôtes.
Ainsi les hirondelles peuvent danser
– de long en large – sur le pont qui survole
l’écume du quotidien. Sous le battement
de leurs ailes naît l’éternité et se crée
tout un monde.
(Laillé, le 25 septembre 2020)
* extrait de l’opéra de Bizet, Carmen
La toile m’a prise au piège du minuscule
La toile m’a prise au piège du minuscule
de ses fourrés où l’ombre capte le regard
malgré la souveraineté des verts peuplés
de lézards vifs comme l’air sur terre propice.
Je suis le chemin jusqu’à la clairière
où tu ramasses ton petit bois
je lève les yeux vers la canopée
et je me perds en vol émeraude.
C’est dans le ciel que je me perds.
Sur Terre tout me ramène sur les traces
de ma nature que je soutiens à livre ouvert
dussé-je y croiser une horde de sangliers
car ce peuple de la forêt je compte sur toi
pour l’effacer d’une touche de peinture.
Je ne crains pas la laie, elle suit sa voie
nous ignore, pour peu qu’on ne la contrarie pas.
À chacun son sillon dans la terre glaise ou
la tourbe, que le fauve n’abandonne jamais.
L’ogre est de l’autre côté de la forêt
où l’humus de la vie qu’on projette
sur l’enfance s’appauvrit en humanité.
(le pommeau du poème tombe de ma main)
Je ne veux plier ni devant la crainte du loup
caché dans le tableau, ni devant la monstruosité
d’un système où le raisonnable atteint les plus
vulnérables ou malheureux de la vie.
L’artiste – en son âme – anticipe l’avenir.
Par ses prémonitions colorées il ouvre
aux possibles un Univers de Paix
Les arbres ont des racines où gronde la colère.
Nos propres racines courent sur nos échines
et suivent nos neurones. Elles ne peuvent qu’entendre
le chant de la nature qui les rejoint. Le chant
qui invite tous les êtres à vivre en harmonie.
Je ne redoute pas le loup, il me prête sa peau
le temps d’un hurlement qui ravive les consciences
pour qu’elles défendent les territoires du cœur
– non pas contre l’autre mais dans l’ombre de soi.
(Laillé, le 26 septembre 2020)
Carmen Pennarun aime la couleur, la matière, elle peint pour son plaisir et travaille parfois la terre.
Nouvelliste, auteur de littérature jeunesse et poète, Carmen aime aussi les mots et publie régulièrement sur son blog, sur des sites littéraires, en revues, dans quelques recueils collectifs (dernièrement dans le livre dédié à la mémoire de Cécile Delalandre et publié par Le bateau ivre). Elle fait partie de l’Association des Écrivains Bretons.
Voici ses recueils publiés :
- Le chapeau à histoires, jeunesse, L’amuse Loutre, 2020
- Dans l’arc d’un regard de caryatide, Poésie, L’amuse Loutre, 2019
- L’Escale inévitable, Poésie, L’amuse Loutre, 2018
- Si l’âme oiselle la mère, veilleuse, poétise, Poésie, L’amuse Loutre, 2016
- Nuit celte, land mer, Poésie, Stellamaris, 2016
- Rose Garden, Nouvelles, L’amuse Loutre, 2014
- Tisane de thym au jardin d’hiver, Poésie, Les penchants du roseau, 2013
- L’oiseau ivre de vent, Poésie, Filosphere, 2012
- Rayon de Lune, Jeunesse, Planète Rêvée, 2010
- Murmures à la fontaine, Poésie, La-Librairie.org, 2009