Les invités de Lettres Capitales : Carmen Pennarun – Quatre poèmes inédits

 

Le jardin d’acclimatation

J’explore la vie

dans sa lente acclimatation

comme une culture en serre

d’un jardin botanique

où l’hygrométrie contrôle

la respiration des fleurs

que leurs racines tiennent

tant qu’elles peuvent liées

au sort de leurs semblables

 

On naît tous quelque part

parfois en terre hostile

et l’instinct de survie

consent à l’abandon

il prend le risque du sommeil

malgré le voisinage

des plantes carnivores

puisque c’est là

que l’âme a déposé

la bouton fragile

de la vie

 

Le livre n’est même pas ouvert

sur l’histoire qui devait être contée

que déjà elle s’achève sur l’imparfait

des doutes. Sans amour il n’y a pas

d’histoire — à moins qu’un souvenir

ne revienne chanter sa ritournelle :

 

« Au jardin du Thabor

nous allions voir les roses

et ma grand-mère me disait

que de toutes j’étais la plus suave » 

 

L’espace se laisse gagner

par la confiance, il nous supplie

de tenter de l’apprivoiser

sous peine

de nous condamner à la dissolution

dans le néant d’une existence

où nous ne reconnaissons

pas notre place

 

Alors

on redresse sa colonne

– une tige pensante –

où s’empilent les vertèbres

qu’un fil de détresse

penche plus qu’il ne la stabilise

 

Petit à petit

on tend vers l’équilibre

et les pensées s’alignent

sur une vibration joyeuse

 

L’énergie passe  du rouge

au vert et s’illumine dans le bleu

comme un soleil qui émane de nous-

-mêmes et rayonne sur notre jardin

— acclimaté —

 

La couleur – comme un champ –

ouvre l’espace

à une mélodie

inédite

 

La clef trouve la serrure

dans la verticalité de l’instant

quand un point fixe de l’horizon

transperce la brume des apparences

et vient heurter la conscience

 

alors

l’éclair de la pensée

se met à l’œuvre

percute les mots d’amour

dans la cambrure invisible

du vent où explose le tempo

des pas de flamenco

d’une Carmen Amaya

 

l’Amour savait

que par elle il dansait.

(S’Agaró, le 18 septembre 2020)

 

Nous sommes du même bateau 

— Nous sommes du même bateau 

m’a soufflé en rêve l’amie

partie vers d’autres cieux

 

Tu es la vie augmentée

de quelques pôles « aime »

que tu décryptes

lorsque passe

ton âme devant

le miroir

 

Tu es ce peu

qu’une once d’amour

transporte en houle

poétique. Ce tout

qu’aucune intention

ne fige et qu’un rien

tourmente

 

En apparence, le calme

en profondeur, la tempête

et aucune pensée ne trouve

l’écueil d’une roche quand

d’un zeste d’humeur

elle désire se soustraire

à l’énergie créatrice

 

— Si tu savais, mon amie

combien l’énergie dévaste

tout

sous son passage !

 

Elle retourne chaque pensée

quand elle n’intervertit pas

deux certitudes

face au poète impassible

attentif au seul spectacle

des oiseaux qui ne mangent

pas son pain et dont la nature

restitue à merveille

le chant de la Vie

sans qu’il leur soit

nécessaire de composer

un nouvel opéra

 

Le risque est grand

de se laisser saisir par les flots

d’une passion qui nous submerge

 

« L’amour est un oiseau rebelle…  »*

et quand les mots sauront se passer

de l’escarcelle de mon esprit

« j’irai danser la séguédille et boire du Manzani,

j’irai chez mon ami… » *

(Laillé, le 25 septembre 2020)

* extrait de l’opéra de Bizet, Carmen

 

Les vrais plaisirs vont à deux

« Les vrais plaisirs vont à deux ;

donc pour me tenir compagnie,

j’amènerai mon amoureux ! »*

 

Que peuvent-ils confier, les amoureux

de ces morceaux – étonnamment beaux –

que la vie leur donne, à savourer ?

 

Nous ne sommes que les témoins

de leurs sourires mis sous le signe

d’un soleil intérieur, partagé.

 

Que peuvent-ils nous révéler

de cette alliance sans cesse renouvelée

que leur peau garde en mémoire ?

Sur le parchemin de leur vie l’amour

jamais ne fugue.

 

La tendresse se passe de boussole

l’épanouissement des sens affolerait

l’aiguille. Leurs cœurs, si fragiles, battent

à l’unisson, ils sont leurs seuls repères.

 

Elle a l’âme poète et rêve souvent, à l’Ouest.

Il a l’œil photographe et ne perd jamais le Nord.

Chaque jour ils placent la clef d’UT

sur une nouvelle ligne de Joie

puis ils observent la tonalité

des instants qui se suivent

inconstants.

 

Ils se tiennent souples face au vent des épreuves

comme deux arbres complices – deux flammes pareilles.

Leurs racines plongent dans le même terreau

et se mêlent aux émotions qui viennent

et les imprègnent.

 

Ensemble ils embrassent les temps heureux.

Séparément ils respectent les moments où

l’autre pactise avec son Art puisqu’ils savent

que l’Un naît de la fusion avec sa passion.

 

Et la maison demeure la propriété

des chats, les humains n’en sont que les hôtes.

Ainsi les hirondelles peuvent danser

– de long en large – sur le pont qui survole

l’écume du quotidien. Sous le battement

de leurs ailes naît l’éternité et se crée

tout un monde.

(Laillé, le 25 septembre 2020)

* extrait de l’opéra de Bizet, Carmen

 

La toile m’a prise au piège du minuscule

La toile m’a prise au piège du minuscule

de ses fourrés où l’ombre capte le regard

malgré la souveraineté des verts peuplés

de lézards vifs comme l’air sur terre propice.

 

Je suis le chemin jusqu’à la clairière

où tu ramasses  ton petit bois

je lève les yeux vers la canopée

et je me perds en vol émeraude.

 

C’est dans le ciel que je me perds.

Sur Terre tout me ramène sur les traces

de ma nature que je soutiens à livre ouvert

dussé-je  y croiser une horde de sangliers

 

car ce peuple de la forêt je compte sur toi

pour l’effacer d’une touche de peinture.

Je ne crains pas la laie, elle suit sa voie

nous ignore, pour peu qu’on ne la contrarie pas.

 

À chacun son sillon dans la terre glaise ou

la tourbe, que le fauve n’abandonne jamais.

 

L’ogre est de l’autre côté de la forêt

où l’humus de la vie qu’on projette

sur l’enfance s’appauvrit en humanité.

(le pommeau du poème tombe de ma main)

 

Je ne veux plier ni devant la crainte du loup

caché dans le tableau, ni devant la monstruosité

d’un système où le raisonnable atteint les plus

vulnérables ou malheureux de la vie.

 

L’artiste – en son âme – anticipe l’avenir.

Par ses prémonitions colorées il ouvre

aux possibles un Univers de Paix

Les arbres ont des racines où gronde la colère.

 

Nos propres racines courent sur nos échines

et suivent nos neurones. Elles ne peuvent qu’entendre

le chant de la nature qui les rejoint. Le chant

qui invite tous les êtres à vivre en harmonie.

 

Je ne redoute pas le loup, il me prête sa peau

le temps d’un hurlement qui ravive les consciences

pour qu’elles défendent les territoires du cœur

– non pas contre l’autre mais dans l’ombre de soi.

(Laillé, le 26 septembre 2020)

 

Carmen Pennarun aime la couleur, la matière, elle peint pour son plaisir et travaille parfois la terre.

Nouvelliste, auteur de littérature jeunesse et poète, Carmen aime aussi les mots et publie  régulièrement sur son blog, sur des sites littéraires, en revues, dans quelques recueils collectifs (dernièrement dans le livre dédié à la mémoire de Cécile Delalandre et publié par Le bateau ivre). Elle fait partie de l’Association des Écrivains Bretons.

Voici ses  recueils publiés :

  • Le chapeau à histoires, jeunesse, L’amuse Loutre, 2020
  • Dans l’arc d’un regard de caryatide, Poésie, L’amuse Loutre, 2019
  • L’Escale inévitable, Poésie, L’amuse Loutre, 2018
  • Si l’âme oiselle la mère, veilleuse, poétise, Poésie, L’amuse Loutre, 2016
  • Nuit celte, land mer, Poésie, Stellamaris, 2016
  • Rose Garden, Nouvelles, L’amuse Loutre, 2014
  • Tisane de thym au jardin d’hiver, Poésie, Les penchants du roseau, 2013
  • L’oiseau ivre de vent, Poésie, Filosphere, 2012
  • Rayon de Lune, Jeunesse, Planète Rêvée, 2010
  • Murmures à la fontaine, Poésie, La-Librairie.org, 2009

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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