Interview. Vali Irina Ciobanu : «L’art est une leçon permanente»

Vali Irina Ciobanu est une artiste peintre née en 1976 à Călărași en Roumanie. En 1996, elle commence ses études comme élève auprès du professeur Dan Botezan, bénéficiant de l’enseignement donné par des professeurs comme Andrei Chintilă, Ion Panaitescu, Mircea Novac, Marcel Aciocoiței et Relu Bițulescu. En 2002, elle obtient un diplôme en Histoire de la culture et des religions à l’Université de Bucarest. Dans une interview accordée à la presse roumaine, elle fait cette déclaration d’amour à son métier d’artiste peintre : « J’ai dédié toute mon existence à la peinture, je peins dans ma tête quand je mange, quand je marche, quand je rêve… » (OZB, artiste du mois)

Cette affirmation constitue à elle seule le socle d’un crédo artistique qui nous a incité à interroger l’artiste roumaine.

Dans quelle mesure cette déclaration d’amour à la peinture vous définit à la fois personnellement et humainement ?

Au moment où je vous parle je suis dans mon atelier. Je passe ici entre 10 et 12 heures par jour à cause de la pandémie. Je me réveille le matin en pensant à mon dernier tableau, et dès mon arrivée ici, je me remets à peindre sans relâche, je dessine, j’ébauche. Lorsque je retourne à la maison, mes pensées restent attachées à la toile que je viens de quitter. Je ne sais pas comment réagissent les autres, mais en ce qui me concerne mon quotidien est celui que je viens de vous décrire. Parfois… je pense que nous sommes tous pareils (nous, les artistes peintres, je veux dire). C’est une des raisons pour laquelle j’aime beaucoup les résidences de création des artistes peintres. C’est une occasion de rencontrer des gens qui se ressemblent et cela est une chose très agréable.

Après des études d’art plastique débutés en 1996, vous avez continué à étudier la philosophie, en vous spécialisant dans l’histoire des cultures et religions. D’où vient ce besoin de complémentarité et comment l’intégrez-vous dans votre formation personnelle et artistique ?

Le professeur Dan Botezan est un spécialiste des monuments du patrimoine. Quand j’étais petite je rêvais de peindre une église. Plus tard, j’ai pu travailler comme apprentie sur des chantiers de peinture et de restauration des églises. Cela a été pour moi une expérience formidable quoiqu’un peu fatigante. Je me suis rendu compte que je n’étais pas faite pour le travail de chantier, mais j’ai continué à peindre des icônes, à étudier l’histoire des religions par passion, par besoin de comprendre plus des choses. Il m’arrive de temps en temps de peindre des icônes… je le fais avec la même émotion et la même intensité que je le faisais quand j’étais enfant.

Pourriez-vous nous parler de vos études d’art plastique, occasion de faire connaissance avec l’école roumaine. Qui sont les maîtres et les artistes peintres qui ont contribué à votre formation ?

J’ai fait mon apprentissage dans « Le Bocal », c’est le nom que l’on donnait à l’époque à une barre d’immeuble dans le centre de la capitale où se trouvaient des ateliers d’artistes peintres, d’artistes graphiques, de scénographes, etc. J’ai intégré ces cours à l’âge de 15 ans, grâce à une amie de ma famille, Oana Belu. Je me souviens avec nostalgie du moment où j’ai pénétré pour la première fois dans l’atelier peu éclairé du maître Botezan. Mon cœur battait à la chamade, j’avais les mains moites et j’avais du mal à m’habituer avec la pénombre des lieux. C’était le premier artiste peintre que je rencontrais dans ma vie. Je ne pouvais même pas imaginer que l’on pouvait vivre de ça. Mais, lorsque j’ai compris cette chose, j’ai décidé de faire de même quand je serai moi-même une grande artiste peintre. Vous pouvez vous imaginer mon bonheur d’être arrivée aujourd’hui à vivre de ma peinture!

Par chance, en face de l’atelier du maître il y avait celui de l’artiste graphique Ion Panaitescu. Avec patience et une extraordinaire générosité, il m’a appris le dessein. Relu Bitulescu, spécialiste dans le patrimoine, m’a donné des cours qui m’ont aidé à élargir mes connaissances dans ce domaine. Marcel Aciocoitei artiste graphique m’a appris comment observer les objets et comment garder les proportions, Mircea Novac et Andrei Chintila ont largement contribué à ma formation dans l’art de la peinture de chevalet. L’école roumaine d’art continue d’être un peu rigide, c’est la raison pour laquelle je m’estime chanceuse d’avoir eu l’occasion de me former comme apprentie dans un atelier de peinture aux côtés de vrais artistes. Cet héritage me permet aujourd’hui de croire que je suis une artiste pluridisciplinaire.  

Quels artistes peintres ont contribué de manière plus étroite à votre carrière ? Quelles écoles ?

L’artiste qui a eu le plus d’influence dans ma vie est le maître Botezan. Il a été mon mentor, il m’a aidé à prendre mon envol et m’a inculqué le plaisir d’étudier et d’expérimenter de nouvelles techniques. J’ai découvert petit à petit les musées. Dali a été ma première passion. Je me suis ensuite intéressée à la Renaissance (j’aime beaucoup la peinture de Léonard de Vinci que je continue à étudier), aux impressionnistes, après ma première visite au Louvre. Voir sur place les œuvres de Vincent van Gogh a été pour moi une expérience unique, me procurant une émotion réelle, physique bouleversante. J’aime beaucoup Luchian et Cheler. Inutile de les énumérer tous car ils sont très nombreux. Tous m’ont appris des choses et j’espère continuer à m’en inspirer. L’art est une leçon permanente. Il y a toujours quelque chose à découvrir.

Pouvez-vous nous décrire votre parcours à la fois du point de vue de la technique, de l’artefact et de sa substance qu’il contient, de sa qualité de miroir du monde ?

A 22 ans, je possédais déjà un atelier. Je voulais avoir la maîtrise de ma carrière. J’avais déjà commencé quelques années auparavant ma collaboration avec l’Union des artistes peintres, et j’avais participé à deux expositions personnelles où j’avais réussi à vendre quelques tableaux. Je me sentais prête. Je pense que je l’étais. Cela a exigé beaucoup d’effort, mais moi je ne l’ai pas ressenti comme tel. Je fonctionne beaucoup par enchantement. Je démarre ensuite comme un ouragan. Je m’accroche, une œuvre non aboutie me donne encore plus d’envie de la réussir, une technique pas assez maîtrisée aussi. Je reviens sur le sujet, je le perfectionne, j’accepte son emprise. Un sujet persiste dans ma mémoire, je le dessine de nombreuses fois dans ma tête, dans le tram en rentrant chez-moi, en dînant, même pendant le sommeil. Il m’arrive de me réveiller à 4 heures du matin avec une solution au problème qui paraissait insoluble. Je vais vite dans le salon et je fais une ébauche. J’ai en permanence sur moi une boîte d’aquarelles, on ne sait jamais quand elle peut servir. On doit être prêt à tout moment pour la coucher sur papier.

Pour résumer, je vous dirais que je me suis dévouée à cent pour cent à mon métier, à ma passion ou vocation, nommez-la comme vous voulez. Mais dire que je me suis dévouée à cent pour cent à l’Art me semble un peu trop pompeux (rire). La peinture est ce qui me représente, je m’y reconnais entièrement.

Penchez-vous pour un domaine particulier (nature morte, portrait, paysage, etc.), pour un support, comme le vélin, par exemple, que vous affectionnez ?

J’aime utiliser comme support le vélin. Il s’agit d’une technique dont je suis fière d’avoir découvert et perfectionné les secrets en suivant juste quelques lignes retrouvées dans un livre sur les techniques de Léonard de Vinci. Je l’utilise dans la réalisation de mes cartes thématiques. En ce moment, je suis en train de créer une carte que j’aime beaucoup contenant des objectifs touristiques de Roumanie. Les cartes sont les œuvres les plus complexes que je réalise.

Une autre passion est la restauration des tableaux, j’aime les sauver, leur redonner l’éclat original en les restaurant. C’est une sorte d’hommage adressé à mes prédécesseurs.

Décrivez-nous un jour habituel de travail ? Pourriez-vous nous faire visiter à l’aide des mots votre atelier ?

Pendant cette période de pandémie, je travaille deux fois plus, car je suis obligée de renoncer d’aller à la salle de gym, de courir dans le parc, de sortir avec de amis au restaurant, d’aller au théâtre ou au cinéma. J’ai également dû renoncer à mes cours que je donne à des enfants au Centre culturel Mihai Eminescu ou dans mon atelier. Moi qui travaille déjà beaucoup, je me dédie encore plus que d’habitude à cette occupation. Les résidences de création me manquent aussi. Je devais participer pendant cette période à deux d’entre elles, une en Cappadoce et l’autre en Italie. J’espère que tout ira bien et qu’elles seront reprogrammées.

Mon atelier ? C’est un désastre (rire). Sérieux ! Ces derniers temps je n’ai pas reçu de visites et j’ai donc laissé tomber le ménage et le souci du rangement (rire). J’ai des palettes tâchées de couleurs des tubes à huile, sur ma table des couleurs tempera à l’œuf, sur une autre palette des aquarelles, par terre en plein milieu du chemin vers la porte du balcon une boîte immense de peinture acrylique. Le désordre règne partout, je m’attaque à toutes les techniques et je laisse tous me tubes sans remettre les bouchons. L’apprentie qui me grondait et le faisait à ma place ne vient plus en stage. Cette pandémie a mis à mal mes couleurs ! Je travaille à plusieurs projets en même temps, c’est ma manière de laisser les choses se décanter. Je reviens au sujet d’avant, après avoir fait une ébauche pour un autre ou après avoir terminé un projet de paysage. Laisser une idée se décanter pendant quelques jours m’aide à y voir encore plus clair.

On dit que la réussite consiste d’abord en beaucoup de travail et d’efforts soutenus, et que le talent passe en deuxième position. Approuvez-vous cette affirmation ?

Je suis d’accord à cent pour cent avec cette définition. Elle exprime en effet l’idée de passion, de ténacité, de sacrifice. Dans ce cas, le travail s’enrichit de nuances nouvelles, il devient une recherche, une effervescence. Il nous poursuit, il devient une addiction. Je connais des gens talentueux, voire très talentueux qui disposent d’une facilité de reproduire les choses et ont une imagination débordante, mais qui manquent d’ardeur. Ils perdent leur concentration ou le sens des choses. Dans ce cas, il est impossible d’évoluer. On ne peut évoluer que si on se donne à cent pour cent à ce que l’on fait. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut trouver des solutions, bifurquer sur d’autres problématiques, vers d’autres idées. C’est une chaîne qui se crée au fur et à mesure que l’on travaille. Celle-ci devient encore plus longue, plus complexe, avec plus de ramifications, plus de nouveaux liens et de surprenantes connexions. Tous les grands artistes ont énormément travaillé et ont laissé derrière eux une grande œuvre. Il est impossible d’y arriver autrement.

Par quels moyens faites-vous connaître vos œuvres ? Quelles sont les expositions nationales et internationales auxquelles vous avez participé ou auxquelles vous allez participer lorsque tout deviendra normal ?

https://vicart.ro/wp-content/uploads/2020/05/Vali_Irina_Ciobanu_press2-1.jpgJe travaille en ce moment pour participer à une exposition qui aura lieu en Italie et qui réunira un nombre important d’artistes peintres. Mon projet porte le nom What do you see from your window. Il est en lien avec ce que nous vivons en ce moment. Il s’agit de 30 miniatures de 10/10 cm réunissant des vues à partir des fenêtres des gens de différents endroits. Ce sont des miniatures sur vélin avec de la tempera à l’œuf qui formeront une sorte de mosaïque de la situation actuelle. J’ai une autre série de tableaux dont le thème est mon regard à partir du toit de mon immeuble qui s’appelle « Tout ira bien ». Dans quelques-uns de ces tableaux, au-dessus de certains maisons, j’ai voulu peindre un cerf-volant multicolore ou des ballons de différentes couleurs. Il s’agit d’une série qui met en avant l’espoir.

Cette période nous touche indéniablement. Le projet dont je vous ai parlé n’est pas encore définitif. Pour l’exposition qui doit se tenir en Italie le délai de dépôt était fin mars, mais la date d’ouverture au public est encore incertaine. Ce n’est qu’un exemple. Nous verrons par la suite.

D’habitude, les vernissages de  ces expositions sont très fréquentés, avec des catalogues et la présence de critiques d’art. J’aime être entourée par des amis et des amateurs d’art, des collectionneurs, des galeristes et de collaborateurs. Maintenant… on verra comment les choses vont évoluer. Je suis persuadée que tout ira bien.

Enfin, comment voyez-vous l’avenir de l’école roumaine dans son ensemble européen et international ?

Pas trop mal, à mon avis. Nous avons un des artistes peintres les mieux vendus, Adrian Ghenie. Il y a semble-t-il tout ce qu’il faut dans l’école roumaine d’art.

Plus d’informations consultez :

Interview réalisée et traduite du roumain par Dan Burcea

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