Écrire/Être écrivain : Laurent Cachard

 

Je préfère ne pas savoir quelle est la nuance, si elle existe, entre écrire et être écrivain. Il semblerait qu’être écrivain relève davantage du regard des autres, de la société, voire, malheureusement, de la reconnaissance que l’on obtient. Un travailleur acharné comme il y en eut au XIXe siècle, par exemple, ne trouverait guère de place aujourd’hui, ni dans les librairies, ni dans le miroir sociétal. J’ai eu la chance d’être primé pour mon deuxième roman, sous l’égide de Dan Simmons et d’une sentence que je n’ai jamais oubliée : « Tout le monde peut écrire un premier roman, c’est le deuxième qui fait de vous un écrivain ». Dans cette mémoire qui se délite, je me souviens tout de même d’une forme de responsabilité, ressentie. Si tu sais écrire, me disais-je, si tu connais les affres que demande l’écriture chaque jour, y compris ceux pendant lesquels tu n’écris pas, tu le dois, pour toi, pour les choix qu’une vie d’écrivain entraîne, pour qu’on t’accepte comme tel, enfin. Familialement, socialement. Bernard Lahire est le seul sociologue qui se soit attaqué au statut de l’écrivain en France, dans le groupe qui lui correspond, le seul à avoir défini le métier, ce premier métier qui, souvent, en nécessite un deuxième.

On écrit parce qu’on le doit, c’est une charge mentale, une contrainte qu’il faut accepter parce qu’elle nous détermine plus que toute autre. Quand arrive l’édition, les petits succès, la pile qui grandit fait de nous l’écrivain qu’on voulait être, à condition qu’on ait écrit les livres qu’on devait écrire, qu’on n’ait pas trop cédé à la facilité, qu’on ne se soit pas regardé écrire. Pour moi, tout écrivain devrait s’imposer, au fur et à mesure qu’il avance, des contraintes de plus en plus grandes, revenir à un état antérieur de l’écriture, originel. Travailler le sujet, le cadre, l’histoire, les personnages en profondeur. Ne pas se fier au calendrier de l’édition, souvent dicté par la crainte d’être oublié.

On ne relit, dans une vie, que les grands livres, et pourtant il en sort de très dispensables, tout le temps. Ad nauseam pour qui aime la littérature autant que les écrivains qui la font. Il en reste, pas d’inquiétude. Antoine Desjardins, rejouant Alceste devant Oronte, écrivait récemment : « On fait parfois preuve de plus d’esprit en résistant à l’idée de faire un livre, qu’en y cédant. » Je lui donne absolument raison, peut-être parce qu’après avoir écrit tous les livres que je voulais écrire, il ne me reste, qui sait, que le plaisir absolu de l’écriture pour l’écriture. De chansons, de portraits, de romans, encore, mais sans la charge de la reconnaissance. Qui a tué les écrivains, à mon sens. Je ne me ferai pas des amis, écrivant cela, mais peu importe : je ne sais plus qui de Allais ou de Guitry a dit que les écrivains ne se lisaient pas, mais se surveillaient.

Laurent Cachard, 19 août 2020

Laurent Cachard est né à Lyon en 1968, il vit et travaille à Sète. Son premier roman édité, “Tébessa, 1956” fait partie des cinq romans français sélectionnés par Lettres Frontière en 2009. Son deuxième ouvrage, « La partie de cache-cache » obtient le prix du 2ème titre à Grignan, en 2012. Dramaturge, parolier, blogueur, il est depuis 2018 le Président du Festival du livre de Sète. Dernier ouvrage paru : « Aurélia Kreit », aux éditions le Réalgar. « Tébessa, 1956 », Ed. Raison & Passions, 2008 Sélection Lettres-Frontière 2009 « La partie de cache-cache », Ed. Raison & Passions, 2011 Prix du 2ème roman, Grignan 2012 « Le Poignet d’Alain Larrouquis », Ed. Raison & Passions, 2012 Prix du jury, Salon du livre d’Orthez « Paco », Ed. Le Réalgar, 2016 (Sélection Hors-Concours 2016) « Girafe lymphatique », Ed. Le Réalgar, 2018.

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