Emmanuelle de Boysson : L’écrivain, ce magicien

 

La littérature est là pour nous enchanter, nous sauver. Tout commence par les contes de notre enfance, ces contes cruels qui nous faisaient si peur, nous qui aimions tant avoir peur. Nabokov, ce magicien pour qui tout écrivain est un joueur de pipeau disait dans Littératures : « La littérature est née le jour où un jeune garçon a crié « au loup, au loup ! alors qu’il n’y avait aucun loup derrière lui. Que ce pauvre petit, victime de ses mensonges répétés, ait fini par se faire dévorer par un loup en chair et en os est ici relativement accessoire. Voici ce qui est important : c’est qu’entre le loup au coin du bois et le loup au coin d’une page, il y a comme un chatoyant maillon. Ce maillon, ce prisme, c’est l’art littéraire. La littérature est invention. Appeler une histoire « histoire vraie », c’est faire injure à la fois à l’art et à la vérité. Tout grand écrivain est un grand illusionniste. » L’écrivain peut s’engager, défendre des causes. Il peut vouloir raconter l’Histoire, un fait divers, nous faire voyager, décrire la réalité qui l’entoure, transmettre ses idées, se faire pédagogue, moraliste. Mais c’est l’enchanteur qui prédomine, lui que le lecteur lira avec « sa moëlle épinière. » Parmi les grands magiciens : Lewis Caroll avec Alice au pays des merveilles. D’une liberté absolue, il se joue de la langue avec des mots-valises qui influencèrent James Joyce et les surréalistes. Joyce reste un maître d’inventivité, lui qui raconte dans Ulysse une journée ordinaire à Dublin, le 16 juin 1904, odyssée d’un homme qui se sait trompé, avant de nous embarquer dans Finnegans Wake, cette nuit d’insomnie et de folies. Edgar Poe fait du roman policier un art à part entière mêlant science-fiction et fantastique. Dans son genre, Chateaubriand reste l’inventeur parfait du génie de l’illusion.

Pour ma part, je reviens toujours à mon cher Marcel Proust. Sans doute vous souvenez-vous de cette réflexion d’Odette de Crécy à Swann dans Un amour de Swann ? « Comme cela doit être amusant de bouquiner, de fourrer son nez dans de vieux papiers, avait-elle ajouté avec l’air de contentement de soi-même que prend une femme élégante pour affirmer que sa joie est de se livrer sans crainte de se salir à une besogne malpropre, comme de faire la cuisine en « mettant elle-même les mains à la pâte » » ? En se rappelant ces entretiens, Swann, dans ses rêveries romanesques, se mit à penser à elle. Mais, c’est en voyant en elle une ressemblance avec la figure de Zéphora, la fille de Jéthro d’une fresque de la chapelle Sixtine qu’il tombe amoureux. De même, c’est en nous souvenant des scènes romanesques qui nous ont fait vibrer que nos vies prennent une dimension romanesque. Que ce soit l’amour, la jalousie, l’ambition, le désir de vengeance ou la peur, l’écrivain sonde les âmes et nous tend ce fameux miroir de Stendhal qui se promène tout au long de notre route. Par une étrange alchimie, il nous aide à surmonter les drames que nous traversons, à nous préparer à la mort. Cocteau disait : « La mort ? Mais j’y suis habitué ! J’étais mort si longtemps avant de naître. »

La littérature ne transcende pas la condition humaine, elle la reflète, l’embrasse, la sublime par l’imagination et la poésie. Elle nous aide à vivre. En ces jours de détresse, d’angoisse et de solitude, elle est notre meilleure compagne, celle qui nous comprend, nous ouvre des mondes, nous élève et nous rend plus humain.

 

Romancière, elle a publié une vingtaine de livres à succès. Critique littéraire et journaliste, elle est cofondatrice du Prix la Closerie des Lilas et membre de plusieurs jurys littéraires. Son œuvre sonde les facettes de la psychologie féminine, comme dans Les grandes bourgeoises et Les nouvelles provinciales (J-C Lattès), puis sa trilogie, Le temps des femmes, (Flammarion. Prix Simone Veil 2017). A travers Les années solex (prix Jacques Chabannes) et Que tout soit à la joie, (Ed Héloïse d’Ormesson), elle cherche à retrouver le temps perdu grâce à la mémoire sensorielle. Le premier est un hymne à la fureur de vivre, inspiré par son adolescence en Alsace. Dans le second, l’héroïne, Juliette, s’affranchit des conventions et révèle un secret de famille, celui de son grand-oncle, homme de Dieu et de chair. A la rentrée littéraire, elle publiera chez Calmann-Lévy, Je ne vis que pour vous, un roman sur les amazones de la Belle Epoque, de Colette et Liane de Pougy à Natalie Clifford-Barney.

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