Interview. Coralie Akiyama : Écrire était un moment de « parler vrai »

 

Féérie pour de vrai (Les Éditions Moires) est le premier roman de Coralie Akiyama qui vit à Tokyo où elle travaille comme consultante et écrit des articles pour le quotidien spécialisé dans la mode Senken Shinbun. Le titre ouvertement oxymorique qu’elle nous propose annonce l’ouverture vers le genre fantastique et intrigue par son attachement avoué au réel. Mais que veut dire le réel lorsqu’il s’agit du roman et de l’écriture en général ? Penchez vers un univers narratif ou un autre, ce serait porter préjudice à la liberté revendiquée par ce livre dont on peut louer déjà la volonté de sonder de manière originale le monde contemporain tiraillé entre préjugés, solitude, aliénation et, surtout, un douloureux manque d’amour. Notons également la force symbolique que tisse l’intrigue de ce roman prometteur sur lequel nous avons souhaité interroger son auteure.

Je me risque à vous poser une question assez commune pour tout écrivain et implicitement pour l’auteure que vous êtes. Comment êtes-vous arrivée à l’écriture ?

Elle est venue de non-dits. Je n’aurais pas commencé à écrire si tout avait pu simplement se dire. S’il n’y avait pas eu de secrets ou de sujets tabous. A l’oral je devais manier le langage avec mille précautions, tandis que sur le papier l’expression était libre : les mots ne dérangeaient personne. Ils ne faisaient pas de bruit, ils étaient discrets. Avant d’écrire le non-dit, il faut déjà le formuler intérieurement, reconnaître que quelque chose existe. Ecrire était un moment de « parler vrai ». Il y a des choses que l’on ne peut avouer ou s’avouer que dans ce face à face avec le papier.

Dans quelle mesure les études de politique, mais surtout votre métier de consultante pour la mode ont influencé votre devenir d’écrivaine ?

Mon écriture est très éloignée de mon rôle social. Je vois mon métier comme une source d’inspiration parmi d’autres, ni plus ni moins. C’est au cours de l’année d’hypokhâgne que j’ai porté un autre regard sur la littérature. On m’a appris à déconstruire tout ce qui m’avait été enseigné jusqu’alors, pour une lecture plus critique. J’ai également appris ce qu’était une hypallage ou une antanaclase. Ce ne sont pas que des mots pompeux : chaque figure de style a du sens, et le comprendre permet d’apprécier pleinement la beauté d’un texte. Un style bien maîtrisé ne rend pas un texte plus complexe, au contraire : il permet de revenir à la simplicité de l’expérience sensible, au plus proche du ressenti. Ces enseignements ont influencé ma façon d’écrire.

Le lieu de l’action de votre roman se trouve en France dans les années 2000. Plusieurs éléments que j’ai pu recueillir, comme les séismes ou les cataclysmes qui perturbent ce que vous nommez « le tourbillon du quotidien » de vos personnages me font penser à une trace japonisante de cet univers narratif. Suis-je trop loin de cette influence supposée ? Ou peut-être avez-vous l’occasion d’y penser à la lumière de cette affirmation ?

Je me suis en effet inspirée du tremblement de terre de 2011 (j’étais alors à Tokyo, dans les hauteurs d’un vieux bâtiment). D’une manière générale, je trouve l’écriture plus forte lorsqu’elle s’inspire de scènes vécues ou rêvées. Chaque mot doit être palpable. Je cherche toujours à ressentir presque physiquement ce que j’écris pour donner plus d’intensité et d’intimité au texte. Symboliquement, le séisme dans ce roman représente le vacillement des certitudes.

Comme je disais dans l’introduction, le titre de votre roman a un caractère oxymorique affirmé. Rien d’étonnant si l’on prend en compte la main tendue de cette figure de style pour ouvrir la porte secrète de votre récit. Mais que veut finalement dire « une féérie pour de vrai » ?

« Il est difficile de dire si le monde dans lequel on vit est un rêve ou une réalité » : c’est la dernière phrase du film Locataires de Kim Ki-duk, une idée très simple présente dans de nombreux films ou livres. Mon roman peut faire penser à une version sombre du Voyage de Chihiro ou d’Alice au pays des merveilles par certains aspects, à la différence que l’histoire ne se termine pas par un  réveil ou un retour à la maison.  

À regarder de plus près l’action de votre roman, et sans trahir son intrigue, rentrons discrètement dans l’intimité des Ladieux, « cette grande famille, médecins de génération en génération ». Qu’ont-ils de spécial ces gens et pourquoi ont-ils droit à prétendre au titre de personnages littéraire et mériter donc votre attention d’écrivaine ?

La France est une société de classes. Cela apparaît plus clairement encore lorsque l’on compare la France avec le Japon, pays relativement égalitaire avec une grande classe moyenne. J’ai voulu que ce roman raconte en arrière-plan une partie de la société française, en mettant en scène des personnages sur trois générations issus d’un même groupe social et partageant ses codes. Mon intention n’était pas d’expliquer, ni de dénoncer, mais très simplement de raconter sans jugement des traits de caractère et des attitudes assez emblématiques pour composer des personnages littéraires. J’ai cherché en écrivant à garder un équilibre entre les dimensions sociales et psychologiques du récit. Il en résulte ces extraits de vie bruts – parfois caricaturaux – mêlant intime et politique. A propos des personnages, on m’a dit qu’ils évoquaient ceux du film de Scola Affreux, sales et méchants. Les milieux sociaux sont distincts mais il se pourrait qu’ils aient quelques points communs. Peut-être partagent-ils pour certains la même poésie de l’affreux.

Intéressons-nous à Célia, la cadette de la famille Ladieux, cette jeune fille étrange à plusieurs titres, déjà par son occupation inhabituelle de thanasiste.

Par son occupation, Célia se trouve à la croisée des deux mondes présents dans le roman. Elle est en première ligne pour tenter d’atténuer les effets destructeurs d’entreprises dont elle découvre peu à peu la nature et l’ampleur. Très vite, elle se retrouve complètement dépassée par la situation.

Ensuite, parce que c’est autour d’elle que vous construisez ce que l’on pourrait appeler le complot mafieux de l’Empire Grenat. Pourriez-vous nous en dire quelques mots ?

Ses membres sont cyniques et très organisés. Pas de transcendance ni valeurs morales : ils ne sont animés que par une forte solidarité de clan, une grande soif de pouvoir et une bonne dose de narcissisme. Ils maîtrisent parfaitement l’art bien connu du « diviser pour mieux régner » qu’ils s’emploient à mettre au goût du jour.

Tout au long du roman, l’on est saisi par deux choses sur lesquelles je voudrais vous interroger en guise de conclusion.  La première est l’humanité fragile que dégagent vos personnages, surtout les personnages féminins comme Célia, Aurore ou sa maman Sylvie, une fragilité souvent provoquée ou entretenue par leur entourage de médecins-sorciers.

Oui, la force des uns contraste avec la faiblesse des autres. Les personnages féminins de ce roman sont très fragiles, leur existence ne tient qu’à un fil.

La seconde tient plutôt de l’atmosphère je dirais kafkaïenne qui règne tout au long de votre narration, atmosphère à la fois d’enfermement et de métamorphose qui contribue à la création de cette féérie où le vrai prend du coup l’habit menaçant de la dystopie. Suis-je loin de votre intention romanesque ?

 Tout à fait, il s’agit d’une dystopie. L’atmosphère kafkaïenne n’était pas mon intention première, elle s’est imposée au fil de l’écriture. Je confirme que les personnages sont pris au piège comme des rats. Heureusement, il y a une certaine dose de dérision pour conjurer l’oppression. C’est la seule échappatoire dans ce roman. Pour le lecteur, mais aussi (un peu égoïstement) pour moi. J’ai voulu m’amuser en écrivant, apporter au récit assez d’énergie et de légèreté pour le reprendre où je l’avais laissé avec la même envie. L’écriture est avant tout un plaisir.

Interview réalisée par Dan Burcea

Coralie Akiyama, Féérie pour de vrai,  Les Éditions Moires, 2019, 266 pages.

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