Interview. IRINA TEODORESCU – «Il y a tellement de moi, il y en a autant que de points sur une ligne tracée entre Bucarest et Paris»

Photo: © G. Aresteanu Irina Teodorescu

 

Entre Irina Teodorescu et ses lecteurs il y a d’abord la fabuleuse histoire de “La malédiction du bandit moustachu” (Gaïa, 2014), roman traduit en roumain chez Polirom (2016, Prix André Dubreuil – SGDL du premier roman ; Prix Europe 2014 de l’Association des Écrivains de Langue Française (ADELF) et ensuite celle un brin autobiographique décrite dans “Les étrangères” (Gaïa, 2015, prix littéraire Récits de l’Ailleurs, attribué par un jury de lycéens de Saint-Pierre et Miquelon). La critique n’est pas en reste, la carrière de la jeune franco-roumaine s’ouvre généreusement devant elle, à la mesure de son talent. Deux raisons pour demander à l’intéressée comment vit-elle cette belle aventure littéraire et quel sens donne-t-elle au titre d’écrivain roumain de langue française.

Cette personne, l’écrivaine roumaine d’expression française, n’est pas moi. Moi je suis cette fille dans ce train, assise n’importe comment, que les gens regardent de travers parce qu’elle occupe quatre places tout en faisant semblant de dormir. Je suis la même que j’étais en CP, en CM2, en troisième, en terminale etc. Je prends des cours de couture. Je rêve de pouvoir me fabriquer toute seule une robe dans laquelle ma silhouette soit parfaite. Je rêve que je danse très bien. Je vais courir une ou deux fois par semaine. J’ai des amis. J’ai un amoureux, des enfants, un chat. J’ai des cahiers dans lesquels j’écris. Je n’ai pas de pensée politique particulièrement construite. Je n’ai pas assez d’ambition. Puis mes livres sont là, des personnages, des histoires, des phrases, des mots, oui, ils sont là. Et moi, je marche dans une rue, je traverse un pont, une plage, une ville étrangère, une gare, je croise un regard et je me dis ce n’est rien, tout ceci n’est rien, c’est ma vie et puis la vie des autres, voilà tout. Peut-être que je refuse de prendre une responsabilité qui m’incombe. J’ai des lecteurs. J’écris un livre ou un article, on me lit. Je raconte une histoire, on m’écoute. On m’invite, on m’accueille, on me donne une place, puis une autre, on m’offre à manger, à boire, et puis on me demande. Pourquoi j’écris en français ? Pourquoi je suis roumaine ? Pourquoi je suis française ? Mais je me sens comment ? Et je suis chez moi où ? Et j’ai fait comment ? J’ai fait comme tout le monde. J’ai écrit un texte, j’ai envoyé un manuscrit par la poste. En lettre suivie, j’avais peur que ça se perde, j’ai encore le reçu, sept euros quelque chose. J’ai écrit un deuxième texte, je l’ai envoyé par e-mail cette fois-ci, puisque je connaissais maintenant mon éditrice. C’est difficile de répondre à cette question : que représente pour moi d’être moi ? Mais il y a tellement de moi, il y en a autant que de points sur une ligne tracée entre Bucarest et Paris. Une multitude de représentations de l’écrivaine roumaine d’expression française. Et chacune d’entre elles peut se diviser en plusieurs, une infinité d’Irina Teodorescu, celle qui a écrit, celle qui n’a pas encore écrit, celle qui y pense, celle qui n’y pense pas, celle qui est née, celle qui parle roumain, celle qui ne parle pas encore français, celle qui ne connait pas Barbara, celle qui se regarde dans un miroir déformant au jardin de l’Acclimatation alors qu’elle préférerait se balader parmi les cerisiers en fleur et manger une glace au chocolat.

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