Rentrée littéraire 2022 – Xavier Le Clerc «Un homme sans titre» aux Éditions Gallimard

 

Après Cent vingt francs (Gallimard, 2021), Xavier Le Clerc publie toujours aux Editions Gallimard Un homme sans titre, un nouveau roman qui remonte dans la lignée générationnelle de sa famille à celle de son père Mohand-Saïd. Cette plongée dans le passé convoque sans conteste une écriture de soi dont l’ambition est de « raconter enfin la provenance du sang qui coule dans mes veines », selon l’aveu dès le début du récit de l’auteur-narrateur. Pour réussir ce portrait paternel, l’attitude et la parole du fils s’inscrivent dans la retenue, refusant « toute mièvrerie », jetant sur la matière mémorielle « un regard sec, un cœur sec » et utilisant un langage tranchant comme l’acier tellement semblable à la « dure existence » de ce père ouvrier.

Pas besoin pour Xavier Le Clerc de fréquenter les archives historiques concernant la Kabylie de l’enfance de Mohand-Saïd. Il prend comme témoins les onze articles signés par Albert Camus en 1939 et qui décrivent les drame des enfant kabyles demandant à manger avec « leur mains décharnées tendues à travers les haillons ». L’écrivain qu’il est devenu à son tour se sent investi de la même compassion et met, comme « dans un album de fantômes », l’être fragile du petit Mohand-Saïd Aït-Taleb, son père, « qui redouterait toute sa vie la morsure des chiens », dans la même descendance que les enfants affamés que décrivait Albert Camus.

L’évocation des écrits camusiens a dans l’économie narrative du roman de Xavier Le Clerc une autre capacité tout aussi importante – celle d’une authentification testimoniale. La convergence de ces récits avec la réalité vécue par son père donne à lire une histoire d’une vérité flagrante, douloureuse et qui prend des accents universels comme, par exemple, celui du « pays de la soif » donné par Camus à la région où Mohand-Saïd, lui-même poursuivi par cette douloureuse réalité qui l’oblige à la besogne de l’approvisionnement en eau.

L’enfant grandit ainsi sous le poids d’un quotidien de survie, menacé par les maladies et l’incertitude du lendemain. Pour évoquer cette incertitude, l’auteur ne se contente pas d’insister sur cette apprêté de la vie du petit Mohand-Saïd, mais il redonne vie au souvenir du grand père Moussa décrit dans son précédent roman. Au manque vital de l’enfant se rajoute ainsi l’absence de ce que l’auteur appelle « des bras réconfortants ».

Dès lors, comment douter de la perspective qui s’insinue dès son enfance dans l’imaginaire du père, celle d’une inévitable et nécessaire émigration ? Cet épisode occupe la partie essentielle du roman, permettant à Xavier Le Clerc d’écrire des pages mémorable, d’une rare sensibilité concernant la figure tutélaire de son père devenu ouvrier dans la sidérurgie dans le Nord de la France. Le titre de son roman renvoie donc à son illettrisme, à son manque de titre, et donc d’identité, obligé de subvenir aux besoins quotidiens de sa famille nombreuse et surtout conjurer ses peurs et ses blessures d’enfance. À ses côtés le narrateur se tient comme « un môme désemparé » ne sachant pas admettre les colères paternelles, mais qui finira par les comprendre et finalement essayer de les apaiser.

Ce père souffrant de ce que le fils essaye de nommer « la maladie du hérisson », qui s’enferme devant les dangers provoqués par sa fragilité née de son passé et de sa peur de se retrouver dans le besoin, ce père dont les colères sont à l’image de son désespoir, avait appris comme valeurs essentielles dans sa vie la fierté et l’humilité.

Et puis, il y a les livres. C’est à travers l’école, la lecture, la littérature et les rêves cueillis dans ces lectures que Xavier Le Clerc trouvera son moyen d’émancipation. « Grâce à l’école, les livres et les mots m’ont construit » – écrit-il avec le recul de ces quarante ans et une carrière bien remplie à son actif.

Et pourtant, la figure du père, reste – au-delà de tout – une présence dont le souvenir oblige l’auteur à canaliser ses émotions souvent débordantes dans un mélange de joies et de tristesses. Sinon, comment aurait-il pu écrire ce mémorable portrait que nous notons ici en guise conclusion ?

« Mon père avait les yeux incandescents d’un artiste, comme une forêt de feu. Un regard qui autrefois nous fixait longuement comme s’il voulait percer notre réalité, notre vulnérabilité, notre essence. Un regard si tenace qu’il en exaspérait ma mère, qui interrompait ce qu’elle prenait pour des rêveries. »  

Dan Burcea

Xavier Le Clerc, Un homme sans titre, Editions Gallimard, 2022, 126 pages.

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