Le Journal intime de Mărgărita (Marguerite) Miller-Verghy

 

 

Introduction 

Le XIXe siècle représente un immense réservoir, affirme Michelle Perrot dans son livre, Les Femmes ou les silences de l’histoire[2]. Les traces des femmes, longtemps occultées par l’histoire, apparaissent : correspondances, journaux intimes, autobiographies sont exhumés et analysés comme mode de communication et d’expression. Ces documents du privé cachent souvent un riche matériel qui peut faire réévaluer l’œuvre et la personnalité d’une créatrice. Le journal intime de Mărgărita Miller-Verghy, un texte inédit que nous avons eu le privilège de découvrir, et qui heureusement n’a pas été détruit, car, à la Bibliothèque Nationale, le lieu où nous l’avons découvert, il porte la mention « manuscrit incomplet, avec auteur non-identifié[3] » a aussi son histoire, tout comme le manuscrit du roman Une âme s’ouvre à la vie. Blandine[4].  Il a fait partie des archives de Mărgărita et Elena Miller Verghy, archives qui ont fait l’objet d’une donation vers le fond Saint Georges qui, à son tour, a été confié à la Bibliothèque Nationale. Il s’est probablement égaré. Ainsi se fait-il que le document ne figure sous aucun nom.

En quête de documents sur l’existence créatrice de cette femme-écrivain, nous avons eu la curiosité de le demander, même si, apparemment, il ne faisait pas partie des archives qui constituaient l’objet de notre recherche. Essayant de le déchiffrer, car il est écrit d’une écriture presque illisible, nous avons été premièrement frappée par la présence du nom de Marguerite, puis par d’autres noms que nous connaissions déjà du roman Une ȃme s’ouvre à la vie. Blandine et de la correspondance: Marya, Henriette (les deux cousines de Mărgărita, les filles de Lucreția, qui était la soeur d’Elena, mariée à Alexandru Lupașcu), puis de Viorica, Zoé (des copines du pensionnat qui sont devenues ultérieurement très bonnes amies et le sont restées même après leurs mariages), Aussi avons-nous eu la certitude qu’il s’agissait du journal intime de Mărgărita Miller-Verghy, écrit à l’âge de 14 ans, entre 5 mars 1879 et 15 août 1879.

Le journal est définitoire pour la condition de femme-écrivain au XIXe siècle, comme preuve d’écriture de soi, considérée par la plupart des analystes comme un trait spécifique de la littérature féminine de cette période.[5] On y découvre aussi certains thèmes que Béatrice Didier[6], et non seulement elle, considère comme spécifiques pour la littérature féminine du XIXe siècle, comme : l’absence d’une chambre à soi, l’écriture cachée, la découverte de la vocation littéraire comme affirmation de l’identité. D’autres thèmes qui particularisent l’existence de la petite pensionnaire apparaissent aussi : la relation avec la mère et avec les autres personnes qui étaient autour d’elle, la venue à l’écriture, la mort.

Six ans avant qu’elle commence à écrire ce journal, en 1873, la mère et la fille étaient revenues en Roumanie après trois ans passées à l’étranger, à Paris, puis à Genève, où la mère avait fréquenté des cours à l’université. Aidée financièrement par son beau-frère Alexandru Lupașcu, Elena créa Institutul Nou de Domnișoare (L’Institution Nouvelle de Demoiselle), située au 26, rue de Primăverii, une école moderne, où les trois filles de Lucreția et Alexandru Lupașcu : Henrietta Marya Lucreția-Kiki deviennent aussi des pensionnaires. Elles sont mentionnées dans le journal, ainsi que leurs deux frères : Alexandru (Assandică) et Ștefan.

Nous ne savons pas à quel âge Mărgărita a écrit son premier journal. Bien que celui-ci semble le premier, d’autres témoignages montrent qu’elle en avait un depuis la plus tendre enfance. L’intention déclarée du journal est de servir de document pour plus tard : « Je veux avoir mon journal pour voir, quand je serais grande, ce que je pensais quand j’étais petite[7] ». Le journal intime de Mărgărita Miller-Verghy a aussi une dimension documentaire, de prise sur le vif des événements journaliers, il éclaire davantage la relation avec la mère qui, en dépit de son amour, agissait souvent poussée par une sévérité excessive.

Témoin souvent indiscret, le journal est souvent déchiré ou brûlé. L’écrivaine a ressenti pourtant le besoin de conserver ses souvenirs. Ainsi, les figures de sa mère, de ses cousines et de ses amies de pension, la relation spéciale qu’elle a avec la professeure d’anglais, Miss, y apparaissent, ou des événements importants comme celui de la lettre à Victor Hugo qu’on retrouve aussi dans le roman Une âme s’ouvre à la vie. Blandine. Pourtant, il y a des épisodes qui n’apparaissent que dans le journal : celui de la première poésie ou la rédaction de son testament, au moment où elle se sent menacée par la mort, car dans la ville il y avait des cas de choléra.

La future écrivaine est consciente, même à cet âge, de la chance qu’elle a de recevoir une bonne éducation et elle est consciente déjà de son destin d’écrivaine : « Je suis bien ambitieuse, écrit la jeune Mărgărita. Je devrais être contente de mon sort, car j’ai une mère, ma chère petite maman qui m’aime de tout son cœur et qui ne vit que pour moi. Je reçois une très bonne instruction et j’ai une position dans le monde, mais ce n’est pas assez. Je sens dans mon cœur que ce n’est pas assez. […] Je voudrais écrire des livres. Je ne puis pas vivre comme tout le monde, sans rien faire de grand[8] ». Ce qui semble frappant c’est la maturité avec laquelle elle voit l’existence à 14 ans et le fait qu’elle a senti naître en elle déjà la vocation d’écrivain à cet âge-là.

Le journal est pour la petite diariste son jardin secret. En cachette, n’ayant pas de chambre personnelle, elle ne fait que confirmer les idées de Virginia Woolf à propos de la condition d’écrivaine au XIXe siècle[9]. En plus, comme d’autres femmes qui osent écrire à une époque de début pour la littérature féminine, elle se sent souvent menacée par la dérision des autres. Elle craint qu’elle soit vue, elle craint que le journal soit découvert par ses collègues de chambre, par sa mère. Elle craint le ridicule. « L’écriture cachée » devient une conséquence du manque de chambre « à soi », la seule solution pour pouvoir manifester sa vocation. C’est une attitude spécifique pour la littérature féminine, dont parle Béatrice Didier dans son livre. Déjà le journal implique l’intention du caché, de l’occulté : « Je n’ai pas de maison. Je ne peux pas faire ce que je veux. Toutes les enfants que je connais ont une maison et un tiroir et une chambre où elles font ce qu’elles et leurs mères veulent, sans être vues de tout le monde. Moi, j’ai constamment ces cinquante paires d’yeux braqués sur moi. On vient derrière moi, on regarde ce que j’écris, on ne devine pas et on me demande d’une voix très curieuse : „Qu’est-ce que tu fais ?” et alors je réponds :  „Je fais… à…à…eh…. Ma composition anglaise.”[10] »

La plus importante raison pour laquelle elle ne s’est pas encore décidée à écrire c’est donc le manque d’un espace personnel. Comme elle se confie dans le roman autobiographique, elle n’aime pas du tout le pensionnat, la chambre commune, les leçons encombrantes et cela parce qu’elle veut écrire. « L’enfant griffonnait en cachette ces pages frémissantes de tendresse et les rangeait ensuite dans un tiroir de bureau de sa mère en qui elle avait une si entière confiance et à qui elle disait : „Maman, je te prie de ne pas lire ce cahier”. Et le plus étrange de l’histoire, c’est que la maman en effet ne touchait pas au cahier[11] ».

Pourtant, le journal témoigne d’une toute autre réalité. À la différence du roman, écrit à un âge où les révoltes d’adolescente se sont apaisées, il décrit les peines que la jeune écrivaine en herbe endurait, car sa mère, incapable de soupçonner la douleur qu’elle produisait à l’âme fragile de l’enfant, ne gardait pas toujours le secret, comme il arrive pour la poésie de Byron que Mărgărita avait traduite et que la mère montre en classe. La fille se trouve tout à coup confrontée à l’opinion des autres et elle éprouve un sentiment profond de honte, d’autant plus que pour elle c’était seulement un essai. Même si sa mère l’encourage finalement à écrire, à cette époque-là, elle n’était pas capable de comprendre ses peurs et ses soucis qui, mêlés au désir de perfection, marqueront probablement le destin d’écrivaine de Mărgărita qui n’osera plus tard signer de son propre nom.[12]

Cette époque de la vie où elle vit dans le pensionnat de sa mère et est obligée d’habiter dans la maison qui abrite l’école à côté d’une foule de pensionnaires et de dormir dans une chambre immense lui a laissé un mauvais souvenir qu’elle gardera toute sa vie. C’est pourquoi le journal devient le seul confesseur auquel elle fait une confiance totale et auquel elle s’adresse souvent comme à une personne, avec tu. C’est un journal de jeune fille qui se confronte avec la vie, qui traverse une multitude de sensations et de sentiments. Elle n’est plus seule avec sa mère, comme elle l’a été à l’étranger, elle doit la partager avec les autres filles, et la mère ne lui montre pas la même affection parce qu’elle a la responsabilité de l’école et doit faire preuve de sévérité pour garder la discipline dans son école. C’est pourquoi la vie de Mărgărita n’est pas facile du tout. 

Elle se sent souvent triste, abandonnée, prête à mourir. Les moments de joies sont donnés soit par les lectures, soit par les amies. Le journal décrit l’amour qu’elle éprouve pour Zoé. Marya et Viorica Dimancea : « Si je vis pour une chose, c’est pour aimer. J’aime beaucoup Zoé, Marie et Viorica. Et lorsque je suis malheureuse, je pense à elles et ma tristesse diminue ou s’en va[13] ».  Les filles partagent tout : les tristesses et les joies, les bêtises, les pleurs, les rires, elles s’embrassent, se caressent, s’imaginent à qui elles se marieront.[14] Le départ de Viorica, la première qui quitte le pensionnat fait la première brèche dans le groupe de jeunes filles, dont la dissolution ultérieure plongera la petite Marguerite dans une profonde mélancolie. La vie est pour la jeune fille une succession de malheurs et de sacrifices. « Tout ce que j’aime s’en va. Elle s’en va aussi. Oh ! Que je voudrais mourir ! Je n’aime pas la vie, je la déteste[15] ».

Une autre personne à qui elle fait confiance et à qui elle a le courage d’avouer ses aspirations est « Miss », la professeure d’anglais du pensionnat, une Anglaise, de son vrai nom, Adria Moore : « Entraînée par le sujet même de la conversation, j’ai dit à Miss toutes mes aspirations et je lui dis aussi comment je me promets de commencer à écrire dès que je serai grande. Que je serai grande ! Miss me regardait avec un sourire particulier que je ne comprenais pas bien, un sourire presque amer, comme si elle avait une expérience amère. Ah ! Mon Dieu, dit-elle, ne pense plus comme cela, si tu veux jamais écrire, commence maintenant, bientôt il sera trop tard. Et de telles choses, et moi je lui fis comprendre qu’on me verrait et que cette idée me répugnait[16] ».  

Le conflit éternel entre le désir des enfants et celui des adultes concernant la future carrière est présent aussi dans la vie de Mărgărita: « Nous causions lundi matin Maman, Fräulein Reich, Henriette et moi. Nous parlions de ce que je ferai quand je serai grande. J’ai dit que je voudrais écrire des livres. Maman me fait voir que cela ne me ferait rien gagner et qu’il faudra devenir médecin. Encore un sacrifice[17]. » La relation avec sa mère est vécue douloureusement par la fille. Directrice d’école, Elena n’a plus le temps et la patience de s’occuper de sa propre fille, en plus elle tient à sa prestance, à sa sévérité affichée. Elle prend souvent des allures de directrice d’école qui aurait voulu que sa fille soit un exemple pour ses pensionnaires. Mărgărita doit respecter les contraintes, toutes les règles non-écrites de la vie au pensionnat : « Il faut être sage, ne pas rire, marcher doucement, enfin toute espèce de soucis[18]». Or, elle a un caractère enjoué, vif, elle est pleine d’énergie. L’obliger à vivre selon des règles très strictes, c’est l’obliger à renoncer à sa façon d’être, à sa personnalité encore naissante. Un épisode qui est raconté aussi dans son roman autobiographique, est celui de la lettre qu’elle écrit à Victor Hugo.  Le courage et le manque total de pudeur semblent étrange à la fille, une explication pourrait être celle que, nourrie de lectures diverses depuis son enfance, elle se sentait auprès de ces grands auteurs comme en compagnie d’amis envers qui elle n’avait pas de complexes.

Pour la mère sa fille semble avoir « un caractère incorrigible[19] ». Mărgărita, souffre pour tous les gestes et les paroles de sa mère qui la blessent profondément. « Elle a dit que j’ai tant, tant de défauts qu’elle espère que je ne me marierai jamais, pour qu’on ne me connaisse pas. C’était bien amer de sa bouche. J’ai très mal à la tête, mais je ne le dis pas[20] ». Elle pleure souvent et se sent incomprise par sa mère. Elle désire même mourir. « Mon Dieu, pourquoi est-ce que je vis ? Je me le demandais jeudi pleurant dans mon lit[21] ». Ainsi la vie lui semble faite des sacrifices. Chaque événement de la vie la fait souffrir intensément : « Maman est malade et au lieu de m’appeler pour rester avec elle, elle appelle Viorica. Je dois être bien mauvaise pour qu’elle me préfère une étrangère. J’entre et elle me gronde[22] ».

Il y avait dans sa mère une tendance à corriger les petits défauts de Marguerite, le journal parle des livres « sérieux » que la mère faisait lire à l’enfant. Le roman Une âme s’ouvre à la vie. Blandine apporte plus de détails : il s’agissait des livres tels Cours d’Economie Domestique par Madame Hippeau, qui, selon la mère, auraient corrigé l’esprit trop imaginatif et plein de fantaisie de la fille et aurait été un contrepoids pour les œuvres de poésie et romantiques qu’elle lisait.

Malgré la sévérité de la mère, Mărgărita ne semble jamais l’accuser ou se révolter contre son autorité. En revanche, elle lui trouve toujours des excuses et l’admire. Elle livre un portrait idéalisé de sa mère : « Peut-être si elle était parfaite, je ne pourrais l’aimer tant et l’admirer. Je n’ai jamais vu quelqu’un de ferme et de fort dans ses résolutions et dans la volonté de vaincre ces défauts. Je n’ai jamais vu quelqu’un qui puisse souffrir autant qu’elle sans se plaindre, qui fût si bon sans s’en vanter, si généreux en le cachant et qui eût un cœur si doux qu’elle cherche en vain à endurcir, qui eût un esprit si grand et profond sans le faire voir, de sorte que je suis quelquefois étonnée de certaines pensées à elle ; moi, sa fille je ne la connais pas, car elle est modeste[23] ». Elle voit dans sa mère un modèle et s’il lui arrive de voir quelque défaut, elle s’en sent coupable : « Je ne sais pas trop ce que c’est qu’une femme forte, mais je suis sûre que maman en est une si c’est pris dans le bon sens d’être cela. Voilà ce qui est maman et à cause de Mademoiselle Gafe je suis parvenue à lui trouver des défauts insignifiants, mais que je ne devrais pas considérer auprès de toutes ses qualités. Aussi je me donne toutes les peines du monde pour les oublier[24] ». C’est absolument étonnant qu’elle sache déjà qu’elle ne se séparera jamais de sa mère quand elle sera grande, ce qu’elle a fait d’ailleurs : « Je voudrais ne pas me séparer d’elle quand je serais grande[25] ».

Des mots comme : séparation, malheur, malheureuse apparaissent souvent ainsi que la pensée à la mort. Pourtant, celle-ci ne lui fait pas peur et elle semble la désirer quelquefois. Par exemple au moment où la mère lui achète un chapeau qu’elle jette dans un tiroir ; quand on le retrouve froissé, sa mère se fâche : « Il m’arrive toujours des accidents à moi. Je voudrais mourir. Quelqu’un qui m’entendrait dire trouverait bien bête de vouloir mourir pour un chapeau, mais on ne sait pas ce que c’est de n’avoir pas un moment de tranquillité[26] ».

Le journal conserve des traces des premiers écrits de Mărgărita Miller-Verghy. Elle y parle d’un cahier contenant ses premiers essais littéraires, La Girouette du château d’A.               La première poésie, intitulée Auprès de toi, y apparaît aussi et témoigne déjà de son esprit critique ; le texte est plein de ratures et de jugements comme : « mal, très mal », « terriblement mal[27] ». Elle s’est déjà proposé d’écrire un livre et comme elle n’a pas de sujet, sa mère lui conseille d’écrire sa vie : « Elle me dit de l’écrire sous le titre de : Histoire d’une petite fille et d’inventer tout ce que je voudrais. Je vais essayer […]. Je ne dors pas toute la nuit à force de penser à un sujet. Peut-être avec le temps vais-je me décider, mais alors ce sera peut-être trop tard[28] ». Elle explique dans son journal pourquoi elle veut écrire : « Ce n’est pas pour montrer ma science, c’est pour épancher le trop plein de mon cœur. Si jamais j’écris, j’écrirai une vie comme j’aurais voulu que la mienne fût, pleine de salut et de lumière[29] ». Et, effectivement, sa vie, même si elle a perdu la lumière physique, a été pleine de lumière : cette « autre lumière » dont elle parle dans un autre roman, toujours autobiographique.[30] 

Le jour de 5 août elle a mal à l’estomac et sachant qu’il y a une épidémie de choléra  en ville elle se prépare à mourir et fait son testament. Comme elle n’a pas grand-chose, elle est décidée de laisser tout ce qu’elle possède aux autres et l’ordre dans lequel elle met ces personnes nous donne une idée sur les sentiments qu’elle a : la première place est détenue bien sûr par sa mère à laquelle elle laisse tous les cahiers et le livres de classe, puis vient sa tante à qui elle laisse sa bague avec deux perles blanches,  Henriette, Marie et Zoé à qui elle laisse les livres de son armoire, Viorica, à qui elle laisse le journal, à Miss le gros cahier relié, aux autres cousins et cousines d’autres petits bijoux et une mèche de ses cheveux. Ces « dons » nous font sourire maintenant, mais ils sont révélateurs pour le sérieux avec lequel elle voit la vie et la mort à un âge si tendre.

Elle a d’ailleurs une théorie propre sur la mort. « Il me semble que mon âme sera malheureuse après ma mort si l’on m’oublie ; j’ai cette superstition que c’est un bonheur pour les morts qu’on pense à eux. Aussi parfois je pense aux grands morts. Je n’en pense que du bien et ils me sourient et je leur souris. Il me semble que l’oubli doit être pour eux un manteau de plomb qui les oppresse et que le moindre souvenir les allège, aussi souvent quand je suis seule, j’évoque devant mes yeux ces grands souvenirs et il me semble qu’ils sont heureux[31] ». Devenue journaliste, beaucoup plus tard, elle a essayé de ramener à l’actualité des figures oubliées, de les faire ressortir de sous le voile de l’oubli dans une tentative, louable d’ailleurs, d’arrêter l’écoulement implacable du temps.

À propos de sa mort, elle écrit dans son journal : « Je veux qu’on m’enterre avec ma petite chaînette d’or et qu’on ne mette ni date, ni rien sur ma tombe, excepté mon nom Marguerite et rien d’autre[32] ». Ce qui s’est effectivement produit : sa tombe du cimetière Bellu de Bucarest n’a au-dessus qu’une croix en pierre et une petite plaque en marbre avec l’inscription Mărgărita Miller-Verghy, scriitoare (écrivaine) : 1865-1953.

Des courants secrets circulent entre le roman Une ȃme s’ouvre à la vie. Blandine et le journal. Celui-ci offrira à la future écrivaine, comme elle l’a voulu d’ailleurs dès le début, la matière brute, l’histoire, même si l’âge et la touche de l’écrivaine déjà mûre ont conféré aux faits évoqués d’autres nuances ou d’autres couleurs.

Mihaela Bacali 

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[1] L’écrivaine a signé différemment tout au long de sa vie : soit avec Mărgărita, soit avec Margărita, soit avec Marg. Miller-Verghy. Pour les ouvrages en français elle signait d’habitude avec Marguerite. Dans le journal apparaît ce dernier appellatif.

[2] Michelle Perrot, Les Femmes ou les silences de l’histoire, Paris, Flammarion, 1998, p. 9.

[3] BNR, P CDII/23,  « Jurnal  – manuscris incomplet, cu autor neidentificat ». Il s’agit d’un petit cahier écrit à la main, d’une écriture souvent illisible. En plus, l’état du manuscrit est très mauvais.

[4] Dont nous avons découvert la version originale, en français, à la Bibliothèque de l’Académie. Il avait été publié en version roumaine par sa traductrice, Emilia Șt. Milicescu en 1980. En 2020 nous avons édité pour la première fois la version en français : Marguerite Miller-Verghy, Une ȃme s’ouvre à la vie. Blandine, édition établie, préface, repères chronologiques de la vie de l’écrivaine, index et bibliographie par Mihaela Bacali, Editura  Universității din București, 2020.

[5] Voir à ce propos Michelle Perrot qui affirme que tenir un journal était au XIXe siècle était une pratique très répandue et qu’au début ce devoir était imposé aux jeunes filles par leurs confesseurs comme moyen de contrôle de soi. Seulement au XXe siècle cette forme d’expression personnelle s’affirme comme littérature. Deux catégories sociales sont les plus concernés : les adolescents et les femmes. Cf. Michelle Perrot, op. cit., p. 13.

[6] Béatrice Didier, L’écriture-femme, Paris, PUF, 1981.

[7] BNR, Mss. CD II/ 23, f. 1,1879, Dimanche 1879, 5 mars.

[8] Idem.

[9] Voir à ce propos Virginia Woolf, A Room of One’s Own, traduit en français sous le titre Une chambre à soi, Éditions Denoël, 1977, 1992. C’est Virginia Woolf qui observe la première les deux raisons qui empêchent l’indépendance de la femme au XIXe siècle : d‘abord, gagner sa vie, et ensuite disposer d’une « chambre à soi ». La difficulté pour la femme du siècle passé d’avoir une chambre à elle seule traduisait en fait l’impossibilité d’avoir un espace matériel, mais aussi l’un, intérieur, à elle.

[10] BNR, Mss. CD II/ 23, 5 mars., f. 1 verso.

[11] Une ȃme s’ouvre à la vie. Blandine, Seconde partie, chapitre 5 « Romancière ».

[12] Idem. « C’est alors que naquit en elle le goût raffiné et délicat de l’anonymat, goût qu’elle garda toute sa vie et dont elle sut tirer plus tard des joies précieuses. »

[13] BNR, Mss. CD II/ 23, 2 juillet., f. 6 verso.

[14] Idem.

[15] Ibid, f. 6, 2 juillet.

[16] Ibid, f. 7.

[17] Ibid, f. 6, 2 juillet.

[18] Ibid, f. 4 verso, mercredi 15 mars.

[19] Ibid, f. 3 verso, vendredi 9 mars.

[20] Ibid, f. 5, mardi 20.

[21] Ibid, f. 3 verso, vendredi 9 mars.

[22] Ibid, f. 4 verso, lundi 19 avril.

[23] Ibid, f. 14,13 août.

[24] Idem.

[25] Ibid, f. 1, dimanche 1879, 5 mars.

[26] Ibid, f. 4 verso, lundi 19 avril.

[27] Ibid., mercredi 1er août.

[28] Idem.

[29] Ibid, f. 4 verso, lundi 19 avril.

[30] Mărgărita Miller-Verghy, Cealaltă lumină. Roman, Editura O. Bianchi, Bucureşti, 1944, premiul Academiei 1946, reeditată în 2020: Cealaltă lumină, ediție, prefață și note de Mihaela Bacali, Editura Muzeul Literaturii Române, București, 2020.

[31] Ibid, f. 6, 2 juillet.

Le journal intime de Mărgărita (Marguerite) Miller-Verghy à 14 ans (corrigé et annoté par Mihaela Bacali) 

     Dimanche 1879, 5 mars[1]

F1 Il y a bien longtemps depuis que je pense à écrire mon journal, mais je n’ai jamais osé. Je ne sais pas trop pourquoi. D’abord, c’est la crainte d’être vue, non que ce soit une honte d’écrire son journal, mais je pense toujours que l’on ne se moque de moi parce que presque personne ne le fait. Il y a des personnes qui se moquent quand on ne fait pas comme elles. Je veux avoir mon journal pour voir, quand je serais grande, ce que je pensais quand j’étais petite. Alors tout le monde pourra le voir, sans que cela m’ennuie. Ceux qui trouveront que c’est bête diront que c’est ma folie d’enfant, le reste dira que j’ai bien fait. C’est bien ennuyeux que de ne rien pouvoir faire sans penser à ce que les autres diront. Mais je dois bien penser à cela car je ne peux rien faire pour moi, tant ce que je fais est public. Vous direz : « Tu n’as qu’à ne pas t’inquiéter de l’opinion des autres », mais je suis trop petite et indépendante et puis si l’on me donnait des conseils, quand je ne ferais pas, ça passerait encore. Mais on ne dit pas cela,  on abaisse le coin des lèvres d’un air de mépris et puis on dit en haussant les épaules : « Ah ! Cette Marguerite ! Quelles idées elle a ! » Et c’est si humiliant.

            Je suis très heureuse aujourd’hui. C’est drôle, le dimanche je suis toujours malheureuse parce que j’ai le temps de penser. Je suis malheureuse quand je pense, car je pense à mon avenir et je n’y vois rien de plaisant. Il me semble que c’est tout noir. Je suis bien ambitieuse. Je devrais être contente

F1 verso de mon sort, car j’ai une mère, ma chère petite maman qui m’aime de tout son cœur et qui ne vit que pour moi. Je reçois une très bonne instruction et j’ai une position dans le monde, mais ce n’est pas assez. Je sens dans mon cœur que ce n’est pas assez. Je voudrais avant tout qu’il y ait quelqu’une qui m’aimât beaucoup, qu’elle m’aime beaucoup, encore plus que maintenant. Je voudrais ne pas me séparer d’elle quand je serai grande. Je voudrais écrire des livres. Je ne puis pas vivre comme tout le monde, sans rien faire de grand.

            Je dis toujours « quand je serai grande j’écrirai » et on m’a dit : « ne dis pas quand je serai grande, commence maintenant, bientôt ce sera trop tard. » Mais je n’ai pas osé. La même cause qui m’empêchait de faire mon journal, m’empêche de commencer. J’ai écrit une fois une petite histoire que je n’ai pas finie parce que je n’ai pas eu le temps. Je n’ai jamais le temps. Je n’ai pas de maison. Je ne peux pas faire ce que je veux. Toutes les enfants  que je connais ont une maison et un tiroir et une chambre où elles font ce qu’elles et leurs mères veulent, sans être vues de tout le monde. Moi, j’ai constamment ces cinquante paires d’yeux braqués sur moi. On vient derrière moi, on regarde ce que j’écris, on ne devine pas et on me demande d’une voix très curieuse « Qu’est-ce que tu fais ? » et alors je réponds : « Je fais… à…à…eh…. Ma composition anglaise ». Ça c’est celles que je n’aime pas et qui ne m’aiment pas. On vient à côté de moi et sans jeter un regard sur mon papier on dit : « Oh ! Oh ! Marguerite ! Des secrets ! » Ça c’est les indifférentes! On vient à côté de moi, on me prend le papier des mains. On veut voir. Je ne me fâche pas. Je rougis et je dis : « Je t’en supplie. Rends-moi cela. » Si tu m’aimes, dis-moi ce que c’est ». Et moi je m’enfuis. Ça c’est celles que j’aime et qui m’aiment. Que dois-je faire ? Maintenant, sans le vouloir, j’ai pris la plume et j’ai commencé sans réflexion et je ne puis plus m’arrêter. J’ai bien fait de ne pas réfléchir,

            F2 autrement je n’aurai pas osé ! Je n’ose rien ! Maman m’a permis de lire Les Misérables. Que je suis contente ! Pauvre Mir[2] est malade. Elle n’a même pas pu arriver à la porte.

            Ah ! Comme j’aime Zoé[3] ! Comme elle est bonne ! Comme je serai malheureuse sans elle ! Il n’y a qu’elle de ma classe qui veuille m’aimer. Pas que je le mérite ! C’est son bon cœur ! Un jour nous rêvions avec qui nous voudrions nous marier de toute l’école. Moi, j’ai dit : « Avec Marie, Zoé ou Viorica[4]. » J’osais à peine, quand son tour est venu et elle nous dit : « Je ne me marierai pas à celle-ci pour telle raison, à l’autre pour telle raison, à Marguerite parce qu’elle est trop molle et capricieuse. Je me marierai à Corinne. » Je crois que c’est depuis lors que je n’aime presque plus Corinne.

Un mois ou deux après, elle me dit : « Tu sais, Marghereta ! À table nous disions qui nous voudrions épouser et moi j’ai dit que c’est toi ! Alors tout le monde s’est récrié : „Comment, c’est Marguerite qui est si capricieuse et est si comme ça et comme ça ?” Et moi j’ai dit : „C’est justement pour cela !” » Et Zoé m’embrassa. Elle ne m’embrassait jamais sans que j’aille d’abord. Comme j’étais heureuse ! Jusqu’alors je m’étais imposé la contrainte de ne pas lui montrer que je l’aime. Je ne crois pas avoir réussi. Pourtant je faisais tout mon possible. Je ne l’embrassais que le soir et le matin et lorsque je ne pouvais me retenir. Et moutardée chaque fois que nous nous rencontrions, puisque chaque fois nous nous embrassions. C’est si bien comme cela, ça se fait tout seul, je ne lui ai pas dit que je l’aimais, elle l’a vu toute seule. Quand elle me caresse il me semble que tout est soleil dans mon cœur. Je voudrais danser ou sauter de joie. Quand on se moque de moi ou on me blâme, elle prend toujours mon parti. Elle réussit toujours. Tout le monde l’aime. Tout le monde ressent son influence.

F2 verso Je crois que personne n’oserait faire quelque chose dans sa présence. Excepté Bibi. Bibi ne l’aime pas, elle fait ce qu’elle veut, elle ne se gêne pas pour Zoé. Tant mieux. Moi je n’aurais pas osé. Je voudrais écrire jusqu’à demain. Je suis bien contente d’avoir un confident. Je n’en ai pas eu, jamais. On est malheureux quand on n’a personne à qui dire ce qu’on pense. Je ne peux rien dire à maman, car elle le dirait à tout le monde. À Marie je peux dire certaines choses mais je ne peux pas lui parler des choses qu’elle ne connaît pas. À Zoé, rien encore. Elle m’est trop, comment dire, supérieure, elle ne m’a rien confié et je n’ose pas commencer. À Viorica je peux dire mes chagrins et pleurer. À Miss[5] mon ambition. À Fräulein Reich[6] mes sentiments sur certaines choses. Au papier tout, tout ! Je ne finirais jamais. Je m’arrête. Je ne veux pas être malheureuse aujourd’hui. Je suis sûre que je jouerai bien mal. Dimanche prochain, maman ne le verra pas, mais Marie qui se donne tant de peine pour moi[7] ! Comme j’aime Henriette[8]. Je n’aime pas Henriette dans sa vie de tous les jours, j’aime Henriette dans ses élans, dans ses plans et ses confidences. Maman m’appelle. Je vais bientôt chez ma tante.

Vendredi 9 mars

Hier a été un jour de malheur. Je suis malheureuse de [mot raturé]. On nous a séparées ; on m’a défendu de lui parler, d’être avec elle. Que vais-je devenir ? Hier, pendant la nuit, je me suis levée et je suis allée chez Nicula. Elle m’a consolée et m’a fait des reproches – elle avait bien raison. Comme je suis étourdie ! Je ne pense pas que cela puisse me faire du mal de rester dehors à regarder les étoiles, mais maman n’aime pas que je néglige mes leçons et j’ai oublié de regarder à ma montre.

F3 Je suis arrivée trop tard […], elle m’a grondée et m’a pris ma montre. Madame Gerd m’a chassée et je n’ai plus pu rester auprès de Nicula. Je suis retournée dans mon lit mais je me suis relevée bientôt. [mot raturé] est venue se coucher à côté de moi, mais moi je restais assise et je pensais pendant qu’elle sommeillait. J’avais beaucoup de chagrin. J’ai dit à Nicula : « Je suis venue chez toi parce que j’ai du chagrin, je viens toujours chez toi quand j’en ai » et j’ai pleuré. Elle me serrait sur son cœur et m’embrassait tout doucement. Elle est trop bonne pour vivre. Après, elle est allée se coucher et elle fut bientôt endormie. Moi je me suis levée doucement et je suis allée à la porte de maman pour voir si Miss y était encore, elle y était. Je suis retournée, puis je suis allée de nouveau la troisième fois aussi ; alors je ne suis pas allée au lit, je me suis assise sur le pied d’une petite poêle et j’attendais en pleurant. J’entendis Miss qui s’en allait, mais tout mon courage est parti et je n’ai pas bougé. Mère est entrée. Elle m’a dit d’un air sévère : « Qu’est-ce que tu fais là ? Dieu ? Si, mais si, qu’est-ce que tu fais ? » « Rien, j’attends. » « Qu’est-ce que tu attendais ? » « J’attendais que Miss s’en aille pour… aller dans ta chambre. » Et je me suis jetée à son cou. Elle ne m’a pas embrassée, elle m’a grondée, m’a dit que si je recommence, elle va chasser Zoé et je me suis recouchée et je me suis mise à sangloter. Je croyais qu’elle était partie. Mais elle revint et me gronda encore parce que je pleurais. Le lendemain elle fut très bonne. Mais j’avais encore pleuré dans mon lit, mais je faisais semblant d’être endormie. Pauvre Zoé. Toujours elle.

F3 verso J’ai dit à maman que c’était ma faute et elle répondit que c’était encore tout aussi mal car je donnais le mauvais exemple aux enfants et elle dit que tout le monde devrait avoir mon bon exemple et que je devrais empêcher les autres de faire mal. C’est presque impossible, c’est tout à fait impossible. Je ne suis pas assez bonne et c’est trop tard, tout le monde se moquerait de moi et quand je fais une observation on se moque et rit et m’appelle Père Bourdaloue.[9] Alors je n’ose pas. Je suis une lâche. Vendredi auprès M. Damé, j’avais su très bien mes vers. […].   Ciel, à qui voulez-vous désormais que je prie ? 

Nous sommes allées toutes trois demander pardon et maman nous a embrassées. Je suis allée dans sa chambre et elle m’a longtemps parlé de mon caractère incorrigible et elle disait qu’il faudrait tout de même un de ces jours m’envoyer à Sinaya. Mon Dieu, pourquoi est-ce que je vis ? Je me le demandais jeudi en pleurant dans mon lit. Je ne veux plus rien dire. Vendredi nous avons été toute la journée dehors chez M. Urechia[10] et nous avons cueilli des violettes.

Aujourd’hui c’est lundi 13 mars. Je n’ai pas pu écrire depuis jeudi.

            Mercredi 15 mars. J’ai dû m’interrompre car j’ai entendu Bibi venir. Ce matin je prenais mon café et Zoé est venue apprendre l’histoire avec moi. Mais pendant que je mangeais nous causions et maman nous a entendues et elle nous a grondées, elle a renvoyé Zoé de ma chambre et lui a défendu de revenir !!! Viorica est malade, on ne sait pas ce qu’elle a. Elle ne veut pas dire. Je suis restée près d’elle en pleurant, elle me serrait les mains, puis enfin elle m’a dit d’aller apprendre mes leçons et je suis partie. Maman est très fâchée contre Zoé. Elle lui trouve des manières horribles et puis elle la trouve très […][11], car elle ne devrait pas être si gaie dans les circonstances où elle se trouve. Elle la compare à Viorica.

            F4 Hier, mardi, pendant que […] je causais avec Mme Guest, elle était d’humeur triste, elle disait : « Pourquoi est-ce que je vis ? Je ferais mieux de mourir, car je ne sers à rien au monde. » Cela m’a rendue toute triste. J’ai pensé aussi à la même chose. J’avais toujours l’idée que j’écrirais des livres. Mais j’ai lu dimanche la biographie de Victor Hugo qui écrivait des livres comme Bug-Jargal[12] à 15 ans et cela m’a ôté toute espérance. Je m’étonne comment je le prends si tranquillement. Mais c’est fini. Voilà encore un beau rêve que je devrais sacrifier. Nous causions lundi matin Maman, Fräulein Reich, Henriette et moi. Nous parlions de ce que je ferais quand je serai grande. J’ai dit que je voudrais écrire des livres. Maman me fait voir que cela ne me ferait rien gagner et qu’il faudra devenir médecin. Encore un sacrifice. Nous parlions de Gertrude Prescott[13] avec ses drôles d’idées à 13 ans. Cette composition sur la rose du lac qu’elle avait écrite à 13 ans et cette question si Silvia Dollico[14] ne regrettait pas ses parents et toutes autres choses que je pense aussi et que maman n’aime pas. Elle n’aime pas les enfants si sérieux. Moi, je suis comme ça. Il faudra ne plus le faire. Encore un sacrifice. Je ne peux dire mes pansées à personne. Gertrude se plaignait que personne ne la comprenait et qu’elle écrivait des volumes  de lettres à son père pour soulager son cœur quoi qu’elle n’eût pas sûre qu’on la comprenne.

Moi aussi. J’ai dit que je veux écrire comme […] et maman a dit que pour cela il faut avoir un très grand talent. Elle parle toujours des livres scientifiques comme  […] et madame Carpentier et d’autres. Elle ne me comprend….

            J’ai dû m’interrompre. C’est dimanche 20 mars. Je continue. Je dis que maman ne comprend pas pourquoi je veux écrire. Ce n’est pas pour montrer ma science, c’est pour épancher

F4 verso le trop plein de mon cœur. Si jamais j’écris, j’écrirai une vie comme j’aurais voulu que la mienne fût, pleine de salut et de lumière. Maman m’a acheté un chapeau et moi je l’ai enfermé dans un tiroir de manière à ce que je l’ai retiré tout épaté [aplati]. Elle m’a dit que je vais le porter comme ça tout l’été. Je suis très fâchée d’avoir fait de la peine à maman. Elle va être triste toute la journée. Mais c’est un accident. Je ne peux rien faire. Il m’arrive toujours des accidents à moi. Je voudrais mourir. Quelqu’un qui m’entendrait dire trouverait bien bête de vouloir mourir pour un chapeau, mais on ne sait pas ce que c’est de n’avoir pas un moment de tranquillité. Ça abat, à la fin. Pour ne pas pleurer il faut que je m’enivre. Je m’enivre en lisant. La semaine, ce sont mes leçons à apprendre et à réciter, il faut être sage, ne pas rire, marcher doucement, enfin, toute espèce de soucis. Le dimanche, voilà un accident. Que je suis malheureuse ! Mon Dieu ! Reprenez-moi. Je ne sers à rien. Je n’ai pas de bel avenir, toute ma vie j’aurais chaque minute  un rêve, un désir à sacrifier. J’arriverais peut-être à perdre maman. Avant-hier soir au lit j’ai fait une longue poésie : Les Mages et l’enfant Jésus que j’ai oubliée le lendemain matin. Je ne peux écrire aujourd’hui, car je suis trop triste. J’aime mieux oublier.

Lundi 19 avril

Maman est malade et au lieu de m’appeler pour rester avec elle, elle appelle  Viorica. Je dois être bien mauvaise pour qu’elle me préfère une étrangère Comme si elle n’avait pas de fille. J’entre et elle me gronde. Je n’oublierai pas ceci.

Mardi 20

Maman est mieux. Hier soir je suis restée plus tard à causer avec elle. Elle m’a fait la morale et j’ai promis

F5 d’avoir de belles manières et de ne plus taper les portes. Seulement elle a dit que j’ai tant, tant de défauts qu’elle espère que je ne me marierai jamais, pour qu’on ne me connaisse pas. C’était bien amer de sa bouche. J’ai très mal à la tête, mais je ne le dis pas.

Dimanche 10 juin 1879

Deux mois et demi sont passés depuis que je n’ai plus touché à mon journal. Les vacances sont passées sans aucun événement remarquable. Oh ! Si ! J’ai lu Notre-Dame de Paris, Bug-Jargal, Claude Gueux, Le dernier jour d’un condamné et tout le reste de Victor Hugo. C’était magnifique. Je me suis mis en tête de lui écrire pour lui demander de me faire une poésie à moi toute seule. Je vais le faire pendant les grandes vacances. L’examen est tout près, nous n’avons plus qu’une semaine. J’ai extrêmement peur. Maman qui croit que je réussirai brillamment et moi je sais bien que je ne saurai rien. Je suis désolée surtout pour l’examen de piano. Ma pauvre petite Marie qui croit que je jouerai bien et qui se donne tant de peine pour moi. C’est un supplice pour moi que de jouer à l’examen. J’ai terriblement mal à la tête. J’ai employé tous les remèdes possibles et cela ne cesse pas. La douleur me prend tous les jours à 3 heures juste et les demoiselles disent que j’ai la fièvre cérébrale. Maman n’en sait rien, je suis sûre que je serai malade pendant les grandes vacances parce que je me laisse souffrir maintenant, mais cela vaut mieux que ne pas passer l’examen. Quand je pense aux grandes vacances, je deviens tellement triste que je n’en peux plus. C’est à cause de ma pauvre Viorica ! Je ne la reverrai peut-être plus. Voyez comme tout ce que j’aime s’en va. Je lui ai promis de lui envoyer mon journal et elle m’enverra aussi le sien. Les grandes passent leurs examens généraux au Lycée, pauvres enfants !

            F5 verso Je ne sais pas pourquoi j’aime tant Viorica : quand elle passe, mon cœur s’élance vers elle. Nos lits sont très près l’un de l’autre et le soir nous les rapprochons et nous nous couchons la main dans la main. Elle m’a raconté avant-hier cette grande chose et maintenant je sais qu’elle ne reviendra plus après les vacances !!! Elle m’a raconté aussi ces histoires de Mme Persée Sansénil[15] et de cette pauvre veuve. Elle aime tant son grand-frère : elle en parle avec tant d’enthousiasme. Moi aussi je l’aime d’après ce qu’elle me dit.

            Nous allons aujourd’hui à une représentation chez M. Urechea. J’y vais avec Viorica. Je déteste M. Dimancea parce qu’il la rend malheureuse. Je lis la vie de Charlotte Brontë et je lui ressemble en certaines choses. En beaucoup même.

Pendant les vacances je vais beaucoup lire. Ah ! J’ai appris que je suis la parente de M. Sihleanu[16], comme c’est drôle. Mais cela ne fait rien. Je n’en suis pas fâchée car je l’aime beaucoup. Je ne puis plus écrire. Je crois que je ne recommencerai que le premier juillet car il m’est impossible d’écrire pendant les examens. Pauvre Hermine ! Elle est partie de chez nous. Elle n’a pas répondu à nos lettres : il paraît qu’on le lui a défendu. Adieu, mon cher petit ami.

            2 juillet

Enfin ! J’ai fini ! Les examens sont finis. J’ai « très bien », je crois, car je n’ai eu que des dix. J’ai eu la médaille, je suis la troisième. Comme je suis contente ! J’allais jouer, mais maman m’en a dispensée. J’en suis bien heureuse. M. Sihleanu m’a donné un grand et beau livre, tout illustré : Les œuvres de Corneille et il m’a écrit dessus : « À mon élève très distinguée, en signe d’amitié ». J’ai été très, très heureuse ; j’ai déjà commencé à le lire et il me fait un plaisir inouï. Quand je pense comme j’avais peur pour l’examen, et comme j’ai réussi. Maman m’a donné 12 francs comme récompense et j’en ai acheté des livres anglais. Les grandes ont passé leurs examens de lycée. Marie a su mieux que toutes. Si tu savais comme je suis contente ! Ah ! Comme elles sont heureuses ! Maintenant nous sommes pendant les vacances.

F6 Elles ont commencé hier. Mes cousines demeurent ici, car mon oncle Néron[17] et Amélie sont chez elles. Elles se sont fait un programme de leurs études car elles passent leur baccalauréat au mois de septembre et puis elles vont à la maison pour toujours. Mon Dieu, pourvu que… Je suis si impatiente et si inquiète de savoir cette chose-là. Viorica, ma Viorica est partie à la maison et Zoé est partie aussi. Que j’ai des choses à dire ! Il faut que j’écrive à Zamfira, pauvre enfant, et à Viorica aussi et à je sais bien qui.

            Maman m’a fait ma chambre dans la grande classe. Et je m’y suis arrangée une magnifique bibliothèque avec de beaux livres reliés qui m’appartiennent tous. Je suis très contente car j’ai mille raisons pour être autrement, mais je ne veux pas me plaindre, pas même à toi. Vendredi on a fait une fête en l’honneur de l’examen de nos grandes, tout le monde s’amusait et dansait et moi, personne ne voyait. Je n’ai pas dansé, je n’ai pas joué. J’étais triste, je voulais ne pas être jalouse, je ne l’étais pas, mais j’étais chagrinée ; quelle sottise, n’est-ce pas ? Qu’est-ce que cela devrait me faire ? Je ne veux pas envoyer mon journal à Viorica car je suis trop méchante et elle pourrait désespérer de moi. Mon Dieu ! Si elle ne revenait pas ! Si j’étais un poète, je ferais pour elle une belle poésie. Je voudrais être sa sœur. Je crains beaucoup. J’ai appris un grand malheur. Elle est poitrinaire. Viorica est poitrinaire. Vois. Tout ce que j’aime s’en va. Elle s’en va aussi. Oh ! Que je voudrais mourir ! Je n’aime pas la vie, je la déteste.

            Je ne sais pas ce qui me retient, mais il me semble parfois que cela me fera de la peine de mourir. Pourquoi ? Il me semble parfois que tout est rien. Je vis, je m’en vais et puis rien, rien ne reste de moi, de mes douleurs et de mes joies. Le souvenir est si peu, si on me le demande. Parfois je dis : « Va, dis, écris, sois célèbre, la postérité gardera ton nom ». Dérision. On gardera mon nom ? On gardera le souvenir

F6 verso de mes défauts. On analyserait chaque mot où j’aurais mis mon cœur et mon âme ; on y trouvera dans dix ans d’ici un archaïsme ou une faute contre la grammaire  du temps et voilà pour moi. Si je vis pour une chose, c’est pour aimer. J’aime beaucoup Zoé, Marie et Viorica. Et lorsque je suis malheureuse, je pense à elles et ma tristesse diminue ou s’en va. Ce que j’ai au monde c’est cela, et si elles s’en allaient ? Parfois je me contente de cela et parfois il me faut plus. Je regarde le ciel et je voudrais m’envoler et il me semble que mon âme sera malheureuse après ma mort si l’on m’oublie ; j’ai cette superstition que c’est un bonheur pour les morts  qu’on pense à eux. Aussi parfois je pense aux grands morts. Je n’en pense que du bien et ils me sourient et je leur souris. Il me semble que l’oubli doit être pour eux un manteau de plomb qui les oppresse et que le moindre souvenir les allège, aussi souvent quand je suis seule, j’évoque devant mes yeux ces grands souvenirs et il me semble qu’ils sont heureux.

5 juillet Voilà deux jours que je n’écris plus. Et, en effet pourquoi écrire ? Toujours la même chose, la même chose toujours. J’ai reçu une lettre de Viorica. Ah ! Combien j’ai été contente hier. Mademoiselle…

11 juillet Je continue. Mademoiselle Chantemps est venue nous voir. Comme elle est gentille. Et comme je l’aime. Elle m’a prêté un livre magnifique : My own child[18], par Florence Marryat.  Je n’ai rien lu d’aussi joli ! Je ne faisais que le raconter à Marie et nous sanglotions toutes deux. J’ai reçu un de ses jours une lettre de Viorica. Zoé est venue deux fois nous voir. Mes cousines s’en vont à la maison ce soir. Je m’ennuie beaucoup sans elles. J’ai acheté de mes douze francs un livre anglais Dombey and Son[19]  par Dickens et les poésies de V. Hugo mon chéri.               

23 ou 24

Voilà deux jours que je couche chez ma tante et j’ai manqué par n’avoir pas maman tout ce temps. J’ai eu ces derniers jours une conversation très sérieuse [avec Miss]. Nous parlions de mon caractère. Je lui disais comme j’étais faible que je ne soutenais jamais mon opinion devant ces grandes, que je me laisse toujours réduite au silence même quand je sens que j’ai raison,

F 7 ce qui m’arrive assez rarement car j’ai l’habitude de commencer à parler sans réfléchir et le premier son peut me prouver que j’ai tort. Miss m’a fait comprendre combien c’était mal et je me suis promis de ne plus le faire. Si je ne puis, comme ma chère Zoé et ma chère Marie, soutenir mon opinion sans crier, comme Marica quand elle a raison, et s’abstenir comme elle quand elle a tort, je devrais comme Florica ne pas me mêler dans les discussions. Florica, sous ce point de vue, a mon caractère : elle n’a pas l’élégance voulue pour parler contre les autres, mais elle a, en revanche, la raison et la force de faire comme elle sent que c’est bien et puis, enfin, elle est des grandes et elle a la patience de ne pas se fâcher quand on se moque d’elle. Mais pour moi c’est plus mal. Je ne puis pas, comme elle, laisser les autres émettre les opinions tout en gardant le silence, je commence d’une manière irréfléchie, généralement tout le monde est contre moi, excepté Zoé (qui ne l’ai que rarement, et cela pas devant tout le monde) et au moment le plus poignant de la discussion je me tais, je me laisse pour ainsi dire réduite au silence et je hausse les épaules d’une manière irrésolue. Ce n’est pas que je sois tout à fait résolue, mais la prochaine fois que l’occasion arrive de faire la chose ainsi discuté, j’hésite et souvent, trop souvent même je m’arrête court. N’est-ce pas cela une impardonnable lâcheté ? Et puis j’ai l’habitude de me fâcher quand on se moque de mes actions et on le fait assez souvent. Dieu merci ! Florica, dans ce cas, sourit et confirme tranquillement le chemin qu’elle s’est tracé. Henriette est à peu près la même chose que moi, mais elle n’en souffre pas tant, car elle est des grandes, elle a sur moi l’avantage de la grandeur. Et Florica sur elle, celui de la patience. Donc les trois du même genre.

            F7 verso J’ai le pire. Marie et Zoé sont les meilleures en cela. D’abord, elles ont généralement raison et quand elles ont tort, elles l’avouent tout de suite très bien ; leurs opinions sont toujours très respectées. Peut-être celle de Zoé un peu plus, car elle s’échauffe moins que Marie et elle est plus sérieuse. Mes chéries ! Catherine et Marie Zaharescu ne valent rien en cela, Marie Z., n’ayant jamais idée propre et Catherine ayant généralement une mauvaise qu’elle soutient avec une obstination invincible.

            L’autre partie de notre conversation me regardait personnellement. Voici. Mais je dois aller lire l’anglais chez Miss, maman vient de me le faire dire. Au revoir, mon ami. Dans une heure ou deux.

28 samedi Je reviens pas dans une heure ou deux, dans deux ou trois jours. Je continue mon entrevue avec Miss. Mais il faut d’abord dire que quelque temps avant Pâques, du temps de mon exil, je me promenais avec Miss dans la cour de devant et je ne sais trop comment nous nous sommes mises à causer sur « écrire des livres ». Entraînée par le sujet même de la conversation, j’ai dit à Miss toutes mes aspirations et je lui dis aussi comment je me promets de commencer à écrire dès que je serai grande. Que je serai grande ! Miss me regardait avec un sourire particulier que je ne comprenais pas bien, un sourire presque amer, comme si elle avait une expérience amère. « Ah ! Mon Dieu, dit-elle, ne pense plus comme cela, si tu veux jamais écrire, commence maintenant, bientôt il sera trop tard. » Et de telles choses, et moi je lui fis comprendre qu’on me verrait et que cette idée me répugnait.

F8 Elle me dit que je n’avais qu’à lui donner les papiers car dans sa chambre on ne pourrait les trouver. Je lui promis de commencer, mais les examens approchent. Je ne sais ce qui me retenait et je n’ai rien fait, et bien, ce jour mémorable du 24, après la conversation que j’ai racontée, Miss me demande à brûle-pourpoint : « Marguerite as-tu écrit quelque chose ? » Je restai ébahie. « Non, Miss. » Et puis je me suis mise à lui dire mes craintes et le découragement que pourrait me saisir, si je ne réussissais pas. Et Miss me rassurait et me disait que je pourrais toujours commencer, si cela n’allait pas et puis qu’elle pourrait envoyer mes choses écrites en Angleterre, pour être publiées ou critiquées et moi, j’étais toute heureuse. Je lui disais comme je serais heureuse d’écrire, puis je lui racontai l’histoire malheureuse de mon Injury[20] que voilà : un jour je me mis à écrire chez ma tante une histoire que j’appelle La Girouette du château d’A., car j’ai vu ce nom entre les noms synonymes du J. de la jeunesse et cela m’a frappée et je me mis à écrire une histoire sur ce mot. Je ne l’ai pas terminée puis, poussée par je ne sais pas quoi, je me mis à traduire la belle poésie de Byron The Injury. Ce furent naturellement d’affreux vers, dont tout le monde aurait ri et dont Byron se serait horriblement mis en colère, mais enfin ils étaient à moi, mon premier essai, et je les aimais comme on aime son enfant tout mauvais qu’il soit. Je n’avais jamais appris la métrique ou la versification (que je ne savais pas et je ne sais même pas ce que c’est qu’une rime masculine et féminine), donc vous comprenez ce que c’était. Mais un jour je ne sais comment je fis, peut-être par l’habitude de ne rien cacher à maman, je les lui montrais. Elle me promit de ne les faire voir à personne et j’étais

F8 verso presque rassurée lorsqu’un jour, en allant à table avec les grandes je les entends causer avec mystère. La conversation avait commencé en classe car elles disaient : « Je te dis que j’ai raison ». « Non, c’est moi ». Maria soutenait que c’était une personne qui avait la chose et Marița disait que c’était l’autre. Je ne savais pas de quoi l’on parlait ; mais, après dîner, Marie me prit à part et me dit que maman était entrée en classe et avait fermé la porte et puis leur avait montré des vers en disant qu’elle les avait trouvé dans la 4ième classe, la mienne, et leur avait demandé si ses vers étaient bons. Marie me dit qu’on voyait très bien que la personne qui les avait faits ne faisait qu’essayer et elle me fit avouer que c’étaient les miens. Moi, je me précipitai chez maman et je me mis à pleurer et à lui faire des reproches mais maman se moquait de moi et voulait me consoler, en disant qu’on ne saurait pas de qui c’est.

Moi, je retournai dans ma classe désolée et je les entendais rire. De l’autre côté, en lisant mes premiers vers, Maman, non contente de ce qu’elle avait déjà fait, envoya ces malheureux vers à M. Damé pour les corriger. Mr. Damé avoua qu’il y avait tant de fautes qu’il ne pourrait y parvenir et les donna à corriger à la grande classe comme un devoir. Moi, j’ai eu beaucoup de peine et j’en ai même maintenant.

Quand Miss entendit cette histoire elle fut indignée ; elle sentait bien combien j’ai dû souffrir. Elle me dit qu’elle se chargeait de garder mes écrits et peut-être

F9 les lire pas avec l’indulgence d’une amie, en considérant mon âge, mais comme un critique. Nous causâmes encore mais je ne me rappelle plus. Je sais que je lui ai promis de commencer. Mais je ne sais vraiment pas. Je suis désespérée. Il paraît qu’il faut d’abord chercher un plan. Moi, je ne sais quel sujet choisir. Je vais essayer. Toute la nuit avant de m’endormir, je pense et je ne sais pas choisir. Si quelqu’un pouvait me donner le sujet ! Mais comme cela je ne m’en tirerais jamais d’affaire. J’ai raconté aussi à Miss comment maman parle de me voir écrire des choses ennuyeuses comme Grosebal ou Mme Hippea ou Page Carpentier[21] et que cela me désespère. Je ne le ferais jamais. Mais si, pour elle, je le ferais bien. Hier, je ne sais pas de quoi nous causions et elle me dit entre autres : « Peut-être écriras-tu un jour à Villequier[22] qui m’enchanterait le cœur ». Moi, j’étais au ciel de bonheur. Il paraît qu’il faut que j’écrive. Miss me dit : « Oh ! Marguerite ! You must write something[23] ! » Maman est déjà sûre de cela et elle me fera apprendre les lettres. Marie me dit la même chose, Catherine aussi et surtout moi aussi je le sais, je le sens !!

1 août mercredi J’ai commencé mes leçons avec…

 Je crois que c’est le 5 août. C’est dimanche. Je suis dans une de mes humeurs de dimanche. Je m’entends. J’ai commencé le 1 du courant mes leçons avec Ilie. Boéma de Beaumarchais. J’entre au Conservatoire en troisième avec Zoé. Ilie me dit que je serai la première dans ma classe. J’en suis toute fière. Il paraît que je joue mieux qu’avant. Elie me promet qu’à l’âge de Zoé je jouerai comme elle. Dois-je le croire ? Henriette qui me supplie de m’efforcer d’avoir le premier prix : En necaz lu Zoé ! Urbleine[24]

F9 verso nu de altceva [25]! Cela m’a fait rire, mais pas en dedans. J’ai écrit une lettre aux Sions. [26] Zamfira m’a écrit hier. Il paraît qu’elle est mieux. Pauvre enfant. Avant-hier Ștefan a eu 7 ans. J’ai passé la journée chez eux. Marie était désespérée. Il paraît qu’elle n’a encore rien fait. Et déjà un mois de passé. Ma chérie May ! Quant à Henriette, hein ! Je ne la vois pas apprendre autant que je voudrais. Le soir nous causions Assăndică[27], Marie et moi. Elle se plaignait de ne pouvoir jouer son piano. Cela la rend toute malheureuse ! Et alors je me mis à lui raconter comment je ne puis pas lire pendant toute cette longue vacance. Comment je ne puis même pas apprendre et faire ma gymnastique avec le loisir voulu. Ils me plaignaient tous les deux. D’abord Assăndică disait que je lis pendant l’année. Ce qui n’est pas vrai. Depuis Noël jusqu’à Pâques, Dieu sait si j’ai pu lire. De Pâques, avec examens, encore moins. Et maintenant !!! Je ne sais comment je me mis à causer de ma punition. Plus je parlais, plus les larmes me montaient à la gorge. À la fin j’éclatai. Les sanglots se faisaient jour, sans ma volonté. Je pleurais. Je crois que je criais. La main de Marie caressant mes cheveux m’arrêta. Je fis un effort. Je me tus. Marie me consolait. Mais je pleurais toujours d’autant plus péniblement que je pleurais en silence. Et ma pauvre petite Marie qui tient tant maintenant à ne perdre encore une minute me prit doucement et me fit promener au jardin. Je ne voulais pas la retenir, je tremblais, peut-être pas de froid. Enfin elle consentit à me faire rentrer.

F 10. Je me mis à lire. Nous allâmes au salon manger la tarte et rire et fêter notre petit Assăndică, digne émule de Démosthène et Ciceron et qui nous tint fort magnifiques discours, nous rions, applaudissons, il y avait M. Nei, la famille Lascăr. J’étais gaie. Marie me croyait gaie. Mais dans mon cœur ! Oh ! Je le sais, je ne serais jamais consolée.

Comment me rappeler sans émotions ces affreux moments ? Quand maman écrivait et moi, couchée, non, pas couchée, écrasée sur mon lit, je pleurais me tordant de douleur, […] les prières non pas exprimées, mais pleurées, que maman ne voulait pas comprendre. Cette soirée quand maman causait presque gaîment et moi j’écoutais. Oh ! Les larmes qu’il fallait refouler ! Oh ! La douleur qu’il fallait oublier. Si cela avait duré plus longtemps, je serais devenue folle. Cette nuit quand Madame Gerd pleurait et soupirait et suppliait maman ! Le regard de maman, sa voix folle de malheur. Et cet abattement qui était sur moi qui m’empêchait de sentir, de comprendre, de pleurer. Oh ! Me laisser baiser de maman ou de Viorica m’aurait fait alors plus de bien que ce long malheur de 3 mois. Et ces journées entières où je restai agenouillée devant maman en pleurant. Chaque larme que je versais retombait en pleine poison  sur mon cœur. Comment est-ce que je fais donc pour être encore gaie ? Pour parler encore de bonheur ? Oh ! C’est trop tard maintenant. Le cri de douleur que je poussais peut-il être compris ? Et puis les longs, longs jours de souvenir quand cette ombre et cette tristesse lingered still over me[28]. Peut-on le comprendre, puis-je

F 10 verso l’oublier ? Et Marie veut que je me console. Elle me disait : « Ne pleure plus ! » C’est qu’elle n’a jamais senti cela. Je suis folle de dire toutes ces choses. Pourquoi pas ? Il me semble pourtant que cela me soulage assez.

Hier soir en pensant à Zoé j’ai réalisé un ancien projet de lui écrire une poésie. Je me la fis toute entière étant au lit. Il faisait sombre. Fräulein Emilie dormait et j’avais besoin à tout prix d’un crayon. Je me promenais restlessly[29] dans la chambre. Enfin je trouvai deux allumettes. Je les laissais à moitié brûler et j’essayai d’écrire, mais ce fut impossible. J’étais désespérée. La petite Maria, la bonne, come to the rescue[30] je l’envoyai chercher un crayon dans la chambre de Miss. Elle me l’apporta. N’ayant de papier, j’écrivis sur une feuille de livre, Rose of the world[31] et King Cophetua[32]  que Miss m’avait justement donné ce jour-là et je déchirai la feuille. Mon poème est assez bête et plein de fautes, je le sens bien. Mais c’est difficile pour moi qui ne sais aucune règle et qui a la plus grande difficulté du monde à trouver une rime. Si je puis, je vais corriger cette poésie. Peut-être qu’en y pensant toujours, j’y arriverai un de ces jours. Je l’ai faite parce qu’un jour j’étais malade et je sortis avec (tache d’encre) le sentiment d’une amitié extrême Zoé passer devant ma porte. Mon cœur s’élançait vers elle. Mais elle passa vite et n’entra pas et je m’en écriai : « Oh ! Si j’étais près de toi ! » La petite poésie s’appelle :     

 Auprès de toi

Si j’étais un oiseau, je quitterais la branche

Et le vieux chêne auprès duquel croît la pervenche (à corriger)

Et le petit ruisseau qui se joue dans le bois

               Pour être auprès de toi.

 

F11 Quand tu viens près de moi avec ton doux sourire

Mon cœur bondit de joie, je ne sais quoi m’attire (très mal)

Et j’oublierais les jours et j’oublierais les mois

                Étant auprès de toi.           

M’aimes-tu ? Dis, chérie, m’aimes-tu comme je t’aime ?

Ton âme m’est-elle liée par cet amour suprême

Qui rend mon cœur joyeux ? Et le sens-tu comme moi ? (mal) 

                Oh ! Être auprès de toi.

Il me suffit de peu : d’un baiser de ta bouche

Du toucher de ta main qui doucement me touche (un peu moins mal que le reste)

Il me suffit pour être fière  comme le roi

                D’être près de toi.

Je t’ai dit : ce me semble, de toutes les manières

Que tu es mon bonheur, que tu es la lumière

De mes yeux et que rien n’existe plus pour moi (mal, très mal)

               Quand je suis près de toi.

Mais ce que je ne sais, je ne puis t’exprimer

Et que j’essayerai en vain de t’expliquer

[deux lignes barrées et effacées]

C’est l’ineffable joie et la seule pour moi

               D’être auprès de toi (terriblement mal)

5  août dimanche J’ai écrit à Victor Hugo !!! À demain.

5  août dimanche Je recommence parce que je veux faire mon testament.

Mon testament. Je laisse :

À maman : tous mes cahiers et livres de classe.

À ma tante : ma bague avec deux perles blanches.

À Henriette et Marie : tous les livres de mon armoire, à partager tout juste avec Zoé ainsi que les effets de mon armoire.

F 11 verso À Viorica : ce cahier de journal.

À Miss : ce gros cahier relié où j’ai écrit certaines choses.

À Chichi : mon bracelet et mes autres bagues

À Assăndică : le cahier de souvenirs en cuir de Russie de Caica

À Mlle Marie : mes cheveux, une mèche

Et je veux qu’on m’enterre avec ma petite chainette d’or et qu’on ne mette ni date ni rien sur ma tombe, excepté mon nom Marguerite et rien d’autre. Je crois que j’ai bien raison de faire mon testament car j’ai mal à l’estomac et le choléra est en ville. Quelle bêtise je dis. Si maman m’entendait ! Ma lettre à V. H. [Victor Hugo] est à la poste ! Je suis d’une impatience !

Mardi 7 août  Hier, je causais avec maman au jardin. Elle savait que je lui ai écrit. Voici comment. Je restai avec ma tante et Maman dans la chambre. J’ai fait lire à ma tante À Villequier[33] ; elle dit que ça ne lui plaît pas ; c’est beau, mais ça ne lui plaît pas. Elle ne veut pas, ou ne peut pas comprendre cette résignation, non pas cette résignation, car V. H. [Victor Hugo] dit : « Car mon cœur est soumis, mais non pas résigné », cette soumission, cette tranquillité, elle veut des blasphèmes, du désespoir violent : comme le désespoir de Lamartine. Je lui ai donné à lire : Trois ans après[34]. Cela lui a plu mieux que l’autre. Nous causions de V. H . Voilà maman qui me dit tout à coup : « Vois-tu, Marguerite, tu n’écris pas à Victor Hugo. » Mais tout tranquillement. « Je te demande pardon, je lui ai écrit. » Maman a tourné vers moi toute rouge les yeux brillants : « Tu as écrit à Victor Hugo, Marguerite ! » « Mais oui. » Et je lui ai raconté tout. Maman a été très contente, mais elle m’a reproché de ne pas lui avoir montré ma lettre. Mais je n’ai pas voulu la garder de peur de me

F 12 repentir de ce que j’ai dit. Ma tante soutenait que je dois avoir un brouillon, alors maman dit : « Mais pas du tout, Lucrèce. C’est tout naturel qu’on n’ait pas de brouillons pour une chose spontanée qui vient du cœur. Le soir, au jardin, je causais avec maman, naturellement, de Victor Hugo. Elle m’a fait réciter tout ce que je me souvenais de ma lettre : elle m’a reproché de ne pas la lui avoir montrée et elle a dit qu’elle veut me la faire écrire dans mon gros cahier de la Girouette du château d’A. Je me suis bien promis que non. Elle me dit : « Si tu rencontrais Victor Hugo quand tu iras à Paris, l’aborderais-tu comme un étranger ? »  « Oh ! Non ! m’en écrirai-je, je l’aborderais comme un vieux père, je lui baiserais les mains mille fois. » Maman m’a promis de m’emmener le voir. Que je suis contente ! Et puis elle a dit : « Peut-être sera-t-il mort jusqu’alors » Mon Dieu. C’est pourtant vrai. Il est si âgé. C’est terrible que d’y penser. Je voudrais mourir avant lui ! Je ne veux pas entendre la nouvelle de sa mort pour tout au monde. Maman était de ce que j’appelle humeur littéraire. Je lui dis. « Oh ! Mon Dieu ! Je voudrais écrire un livre et je n’ai pas de sujet. » Elle m’a donné l’idée d’écrire ma vie. Je n’ai pas voulu. Elle me pressait. Elle me dit de l’écrire sous le titre de « Histoire d’une petite fille » et d’inventer tout ce que je voudrais. Je vais essayer. Je ne sais pas ce que je vais faire, les vacances ont passé et je n’ai encore rien fait. Je ne dors pas toute la nuit à force de penser à un sujet. Peut-être avec le temps vais-je me décider, mais alors ce sera peut-être trop tard.

Comme je suis heureuse le soir ! Je m’amuse si bien à causer avec Maman au jardin et avec Miss. C’est fini avec Domnișoara[35], elle s’en va. Je reconnais moi-même avec maman qu’elle ne doit pas rester. Enfin, c’est comme cela et voilà. Le choléra n’est pas en ville. Tant mieux. Nous le voyons. Et comme j’ai eu mal à l’estomac, je dis moitié

F12 verso sérieusement, moitié plaisanterie : « Si je mourais ? Cela ne me ferait rien. » Et Miss me dit : « Oh ! Non ! Marguerite, tu sais que tu dois écrire un livre. Un seul au moins et puis tu peux t’en aller. » Elle a raison.

J’écris maintenant une pièce de théâtre nommée Pardon. Cela m’agace que ce soit si facile et que cela ne servira à rien. Mais enfin, c’est presque un commencement. Cela pourrait peut-être me mener à quelque chose de bon. Au revoir, mon petit. À demain soir.

10 août Passage barré. 

F 13 12 août Maman a fait aujourd’hui un catalogue immense de tous les livres qu’elle veut faire venir. Il y en a plus de mille. Bonne chance ! Pour avoir le temps de les lire.

Aujourd’hui elle m’a grondé pour avoir donné à Marie mes Dombey and son. Que veut-elle que je fasse ? Elle n’a pas de livres et moi j’ai presque 700. N’est pas juste.

Aujourd’hui 12 août 1879, grand événement de ma vie. J’ai commencé mon livre qui doit être fini en 4 semaines en écrivant dix minutes par jour. Si je ne puis le finir pour le départ de Miss, je l’enverrai à P-Y Stahl ou à J. Marcel ? ou à El Legrouve, lequel des 3 qui vit.

13 août Dimanche je viens de commencer le premier chapitre de mon livre. J’y ai mis quelqu’une comme Zoé et quelqu’une comme moi, mais avec des changements. Et je vais y mettre quelques-uns de mes idéaux. Je ne vais dire à personne. Pas même à Miss. Mais je suis sûre qu’elle va deviner, mais si elle ne devine pas, quand j’aurai fini, j’irai lui dire. « Miss, j’ai écrit une histoire. Comme nous allons être contentes ! »

Zoé a été ici juste maintenant avec sa [illisible à cause du cachet] et Jonny et Dița. En venant ici, elle a trouvé mon grand cahier de la Giruette du château d’A. Elle l’a ouvert. Je l’ai supplié de ne pas y toucher, mais elle n’a pas voulu. Elle a dit : « Est-ce que maintenant tu ne veux plus me laisser toucher à tes cahiers ? » Quand elle a vu le titre, elle m’a demandé si c’était une composition. Je lui dis que oui et comme je la priai de ne pas lire, elle posa le cahier sur la table, mais d’un air qui m’a attristé, car il m’a semblé qu’elle était fâchée. Quand l’on publiera mon premier livre et qu’elle le lira. Mon Dieu ! Quelle joie !

F13 verso Hier, Maman m’a dit : « Marguerite, n’écris pas trop mal ton journal pour que je puisse le lire. » Je n’ai rien dit mais j’ai pensé que tant que je vivrai ou qu’il vivra, personne n’y touchera. Aujourd’hui, à table, maman m’a dit que papa avait cette maxime : « Croyez tout le monde honnête et bon jusqu’à la preuve du contraire ». Et un autre monsieur a dit : « Croyez tout le monde voleur et mauvais jusqu’à la preuve du contraire », et moi, j’ai pris le principe de mon papa. Je l’aime encore plus pour cette idée car j’ai entendu dire et j’ai lu que « tant que quelqu’un a encore foi dans la bonté, on l’aime encore, il n’est pas à désespérer de le ramener au bien, il en a toujours une graine de bon en lui. » Mon papa avait dû en avoir beaucoup de ces excellentes graines puisqu’il a toujours soutenu de pareilles idées. Et moi aussi. J’aime les gens refoulés[36] ou vraiment méchants. Parce qu’ils sont malheureux et parce que personne ne les aime et surtout parce qu’ils sont méchants. Les méchants ont besoin d’amour, de foi, de confiance, de patience, les bons ne peuvent s’en passer sans tourner plus ou moins vers le mal. C’est mon idée, j’ai déjà commencé à la mettre en pratique. J’espère continuer avec plus de succès encore que maintenant. Pourquoi j’aime Mlle Gafe ? Pour le souvenir de ses malheureux défauts et de ses quelques qualités. Elle ne m’a, en réalité causé que du malheur. Le plus grand des malheurs a été

F 14 me montrer dans ma mère des fautes que je n’avais jamais vues et que je n’aurais, j’espère, jamais vues. Je ne dis pas, cela me fait aimer ma mère encore plus qu’avant. Peut-être si elle était parfaite, je ne pourrais l’aimer tant et l’admirer. Je n’ai jamais vu quelqu’un de ferme et de fort dans ses résolutions et dans la volonté de vaincre ses défauts. Je n’ai jamais vu quelqu’un qui puisse souffrir autant qu’elle sans se plaindre, qui fût si bon sans s’en vanter, si généreux en le cachant et qui eût un cœur si doux qu’elle cherche en vain à endurcir, qui eût un esprit si grand et profond sans le faire voir, de sorte que je suis quelquefois étonnée de certaines pensées à elle ; moi, sa fille je ne la connais pas, car elle est modeste. Je ne sais pas trop ce que c’est qu’une femme forte, mais je suis sûre que maman en est une si c’est pris dans le bon sens d’être cela. Voilà ce qui est maman et à cause de Mademoiselle Gafe je suis parvenue à lui trouver des défauts insignifiants, mais que je ne devrais pas considérer auprès de toutes ses qualités. Aussi je me donne toutes les peines du monde pour les oublier. Oh ! J’y parviendrai. Maman est si dévouée à son devoir, à ses principes et à moi, si peu égoïste, si oublieuse de soi-même. Elle a une vue presque gaie de la vie, elle pourrait, j’en suis sûre, faire le bonheur de quelqu’un. Comme j’ai mal à la main, je n’en peux plus !

F14 verso 14 août Lundi Je ne sais plus où diable aller pour écrire. Je voudrais aller dans une île déserte ou dans une caverne ou sur le Mont Blanc ou en face de la mer ou je ne sais où, car comme cela, cela ne va pas. C’est surtout maman que je crains. Je ne veux pas qu’elle le sache. Elle le dirait à tout le monde, la petite indiscrète (la la la vilaine). Ne l’a-t-il pas qu’elle a été dire à Tătuca[37] que j’ai écrit à Victor Hugo. Je ne sais plus que me faire. Aujourd’hui j’ai beaucoup causé avec Miss et je me suis fort bien amusée.

Maman qui insiste que je lui refasse la lettre a Victor Hugo. Cela m’ennuie terriblement, je ne pourrai jamais le faire jamais comme il faut. Je lui ai déjà explique tout ce que j’ai dit, mais elle veut la lettre, comme si je me la rappelais mot à mot !

Je suis en troisième chapitre de ma bible. Je ne suis pas encore découragée, mais quand je serai au dénouement, c’est alors que ce sera difficile. Je n’ai pas du tout envie d’écrire. Je vais me mettre à ma Bible. Si maman ne venait pas tout de même, juste maintenant ! J’aime beaucoup Madeleine. J’en suis jalouse et il me semble qu’elle va surpasser Petite.

J’ai fait faire hier une dictée à mon père. Il ne sait rien, mais rien, absolument rien, il copie le mot gants vingt mille fois et puis elle l’écrit gans. C’est désespérant.

15 août mardi Je crois qu’Elie ne vient pas. Hier il m’a dit que j’ai joue très bien, admirablement bien !!!!

Fin du 1er cahier

————

[1] BNR, Mss. CD II/ 23, f. 1,1879.

[2] Marya Lupascu, la cousine de Margarita, mariée plus tard à Barbu Delavrancea. Marya et Barbu ont eu quatre filles : Cella, Riri, Bebe et Pica.

[3] Zoe Perez, mariée plus tard à Virgil Arion, l’une des amies les plus proches de Mărgărita.

[4] Viorica (Vica) Dimancea, dans la famille de laquelle Mărgărita passait ses vacances, à Campulung. Elle était pensionnaire à l’école.

[5] Jeune maîtresse d’anglais, qu’Elena Miller-Verghy avait fait venir, envoyée par le bureau de Berlin qui lui fournissait les institutrices dont l’école avait besoin.

[6] Olga Reich, professeur d’allemand au pensionnat, avec qui Mărgăreta entreprend un grand voyage en 1884. Elles s’arrêtent à Lucerne, Interlaken, Munich, Baden, Murren, Vienne pour voir des galeries d’art, pour aller au théâtre, aux concerts.

[7] Marya Lupaşcu (Delavrancea) aidait Margareta à se perfectionner à jouer du piano. Sa passion pour cet instrument, elle l’a transmise à sa fille, Cella Delavrancea, devenue pianiste célèbre.

[8] Henriette Lupaşcu, la sœur de Marya et de Kiki, cousine de Margarita. En effet la sœur d’Elena Miller-Verghy, Lucretia, mariéé à Alexandru Lupascu, a eu trois filles (Henrietta, Marya et Kiki) et deux fils (Ștefan et Alexandru).

[9]Louis Bourdaloue (16321704) est un jésuite français. Brillant prédicateur, connu pour la qualité de ses sermons qu’il récitait presque théâtralement, il prêchait, dit-on, les yeux clos. Son talent et sa réputation lui valurent de prêcher à la cour, où il fut surnommé « roi des prédicateurs, prédicateur des rois ».

[10] V. A. Urechea-historien, homme politique, écrivain.

[11] […] Les crochets avec des points marquent les mots incompréhensibles.

[12] Bug-Jargal est le premier roman de Victor Hugo. Écrit par l’auteur en quinze jours à la suite d’un pari, à l’âge de seize ans, Bug-Jargal  paraît dans la revue Le Conservateur littéraire en 1820.

[13] Nom dont la transcription est incertaine.

[14] Nom dont la transcription est incertaine.

[15] Nom dont la transcription est incertaine.

[16] Ștefan Sihleanu, appelé Patan, un des professeurs de l’école. Il épousera Henriette Lupașcu.

[17] Neron est (ainsi que Ruxandra, Lascăr, Gheorghe) l’un des frères de « tătuca », Alexandru Lupașcu, appelé aussi l’oncle  Alecu.

[18] My own child, roman de Florence Marryat.

[19] Dombey and Son, roman de Charles Dickens.

[20] The Injury, poème de George Gordon Byron.

[21] Noms dont la transcription est incertaine.

[22] Nom dont la transcription est incertaine.

[23] Il faut que tu écrives quelque chose. (engl.)

[24] Mot difficile à comprendre.

[25] nu de altceva, pas pour quelque chose d’autre (en roumain dans le texte) ;

[26] Probablement les deux soeurs Sion (Marice et …)

[27] Assăndică (Alexandru), le frère de Marya.

[28] lingered still over me (angl.) persistait en moi.

[29] restlessly (angl.) inquiète.

[30] come to the rescue(angl.) m’est venue en aide.

[31] Rose of the world, poème de William Butler Yats.

[32] King Cophetua and the Beggar-Maid, légende anglaise.

[33] À Villequier, poème de Victor Hugo, paru dans le volume Les Contemplations (Livre quatrième). 

[34] Trois ans après, poème de Victor Hugo, paru dans le volume Les Contemplations (Livre quatrième). 

[35] Domnișoara (roum.) Miss.

[36] Mot dont la transcription est incertaine.

[37] « Tătuca, », Alexandru Lupascu, l’oncle de Mărgărita..

[32] Ibid, f. 6 verso, 2 juillet.

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