Le haïku à 5 voix – une déclinaison de la saisonnalité poétique

 

Les amateurs de haïkus, de tercets et de senryus seront ravis de parcourir le recueil Le haïku à 5 voix qui vient de paraître aux Éditions Unicité. Il s’agit d’une anthologie publiée sous la direction de Iocasta Huppen – une haïjin bruxelloise de langue française et d’origine roumaine. Le volume réunit des contributions de cinq poètes Jean Antonini, Marie Derley, Damien Gabriels, Iocasta Huppen et Serge Tomé sur le thème des saisons, accompagné d’un bonus sur un thème libre.

Comme un quintet en concert, les partitions de chaque poème s’enchainent en toute liberté, laissant à chaque écriture la liberté de suivre sa ligne, pour servir l’harmonie de la thématique donnée, mais sans se plier aux règles de la renga, ce « poème en chaîne », comme dans une série de waka écrite à plusieurs mains. Le thème libre autorisé à la fin à chaque contributeur s’inscrit dans le même accord, telle une fantaisie musicale.

Ceux qui sont familiers à la beauté fulgurante de ce genre de poésie courte seront enchantés tout aussi que ceux qui la découvrent, portés par un fil poétique qui suit les frissons qui surgissent à chaque changement imposé à leurs plumes par une saisonnalité régissant les changements de la nature, les mouvements des astres et l’évolution du baromètre de leur sensibilité.

Ainsi, pour prendre un seul exemple, on apprendra l’arrivée du printemps soit à travers la « blancheur du papier » dans laquelle plonge Jean Antonini, soit à l’aide « les mots que nous n’osons dire/des fleurs sou la neige » (Marie Derley, soit sur « les chaussures fleuries/de pétales de pâquerettes » (Damien Gabriels), soit à l’aide de « milliers de fleurs » qui prennent la forme d’une « pensée pour toi » (Iocasta Huppen), soit, enfin, dans la solitude qui condamne les familles confinées à « une réunion/digitale » (Serge Tomé).

Suivre cette déclinaison de la saisonnalité poétique demandera au lecteur de s’abriter sous le réverbère de chaque série de poèmes, afin d’en deviner la durée de chacun, d’en saisir ensuite leur entrée et leur sortie de la scène qui se cache souvent au détour d’une page qui se tourne et oublie d’en annoncer le changement. Printemps, été, automne et hiver deviennent des personnifications de l’état d’âme de chaque poète qui s’accroche aux mots pour en saisir leur passage et la révérence qui doit l’accompagner.

Les poèmes demandent une lecture attentive, souvent une relecture pour en saisir la saveur délicate et l’élégance de la forme. Imprégnée dans la mémoire active par leur éloquence particulière, cette beauté est capable d’accompagner longtemps le lecteur charmé par la capacité esthétique du discours poétique.

Enfin, les thèmes libres en disent encore plus long sur l’univers poétique de chacun des cinq participants qui choisissent de voler comme des papillons qui se voient pousser des ailes, dans un paysage vaste où « le soleil ne se couche jamais », qui s’amusent à « jouer au chat et à la souris avec les nuages noirs » ou, enfin, la révolte sociale qui rassemble les gens autour du feu des palettes.

Nous avons gardé pour la fin le haïku qu’Iocasta Huppen a eu la gentillesse de dédier aux lecteurs de la revue Lettres Capitales. Nous la remercions grandement.

« sous le ciel bleu

une étendue d’herbe verte –

pensées en liberté »

Signalons enfin que Iocasta Huppen vient de recevoir le 2e Prix ex-aequo avec Hervé Le Gall au 25e Concours International de Haïku organisé par le journal tokyoïte Mainichi shinbun, l’un des journaux japonais à plus haut tirage.

 « Écrire des haïkus, ou toute autre forme de poésie brève, relève d’une certaine introspection », nous signale la quatrième de couverture de ce recueil.

Qu’il nous soit permis de rajouter à cette intériorisation l’idée que cet exercice est aussi un délice pour le cœur attentif à la beauté des mots et à leur inlassable travail de réveil sensible comme suprême expression de la beauté du monde.

Dan Burcea

Les haïkus à 5 voix, Haïkus, Tercets, Sentyus, sous la direction de Iocasta Huppen, Editions Unicité, 2022, 86 pages.

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