Les Grands Entretiens de la Rentrée littéraire 2022 : Juliette Nothomb, «Éloge du cheval»

 

 

Si ma personnalité n’a pas dépendu que de ma relation au cheval, celui-ci l’a certes forgée à maints égards

 

De son amour pour le cheval, Juliette Nothomb parle comme d’une « fascination » et d’une « ivresse ». Son livre, Éloge du cheval, paru aux Éditions Albin Michel, en est une illustration remarquable, un mélange de tous ces sentiments et d’une érudition admirative, émerveillée, allant jusqu’à l’extase d’une rencontre ineffaçable qui prendra vie, dans son cas, dans l’écriture de son magnifique livre.

– Chère Juliette Nothomb, avant même d’ouvrir votre livre pour en scruter son contenu, il suffit de s’arrêter sur la richesse sémantique du mot éloge qui donne son titre. Ce célèbre genre littéraire utilise la louange, l’apologie, la célébration, allant jusqu’à la glorification de son sujet. Dans quelle mesure illustre-t-il votre intention première qui vous a poussée à écrire votre ouvrage ?

À ce propos, je vais rester pour une fois très modeste, car il s’agit d’une commande! Suite à la chaude recommandation d’une amie, une éditrice m’a contactée et m’a proposé le travail. Pour un auteur, une telle demande correspond à un cadeau! Et refuse-t-on un cadeau, surtout s’il s’agit d’écrire au sujet de votre passion, que, en tant que telle, vous ne souhaitez que célébrer et partager autour de vous?

– Comme toute rencontre qui se veut unique et durable, celle avec le cheval a été pour vous un coup de foudre, « une onde électrique [qui] traversa mon petit corps », dites-vous. Est-ce que ce souvenir est encore aujourd’hui si présent ? Vous a-t-il accompagné pendant l’élaboration de votre récit ?

Plus encore qu’un souvenir, c’est une expérience sensuelle, voire charnelle, au sens littéral du terme: dans la chair. Le miracle de l’équitation est que, contrairement à une drogue que l’on reprend sans cesse dans la recherche sans espoir d’éprouver l’exacte sensation extatique de la première fois, l’ivresse de chevaucher est chaque fois pareille, je dirais même, plus grande encore que la précédente.

– Parler de ses passions implique nécessairement parler de soi-même, se dévoiler, se mettre à nu, pour utiliser une expression souvent utilisée pour nommer l’acte de l’écriture. Dans quelle mesure ce travail d’introspection vous a-t-il semblé facile ou difficile, en tout cas possible ? 

Je plaisante souvent à ce propos, me référant à l’album de Lucky Luke Calamity Jane, où la célèbre hors-la-loi, tout en chiquant du tabac, prévient notre héros ainsi: « Luke, je vais te raconter ma vie. C’est un passe-temps que j’affectionne ». M’identifiant volontiers à Jane (sans la chique, toutefois), j’affectionne, et plus encore, de narrer mon existence et mes souvenirs, au risque de bassiner mon auditoire voire le saouler en lui racontant une nième fois, à la manière d’une mamie qui se répète, tel ou tel épisode que j’ai vécu. Dès lors, il m’est inutile de préciser si cet exercice m’a été facile ou difficile…

– Votre expérience de vie pendant votre enfance et votre adolescence s’étend sur une longue période, au gré des pérégrinations et de changements de lieux de vie de votre famille. Est-ce que votre proximité avec le cheval qui vous fait dire qu’il est « ce comparse qui a jalonné ma vie d’apprentissage et de repères » a été l’un de vos maîtres qui vous ont aidée à façonner votre personnalité ? Dans quelle mesure vous a-t-il aidée, par exemple, de vaincre votre « frayeur instinctive » et le courage qui en découle ?

Je ne dirais pas que le cheval a été un maître, ce terme impliquant une relation éducateur/éduquée. Il a été un compagnon d’apprentissage, celui que, de pays en pays, je retrouvais sous des avatars tantôt connus et rassurants, tantôt nouveaux et enivrants. Si ma personnalité n’a pas dépendu que de ma relation au cheval, celui-ci l’a certes forgée à maints égards, que l’on rencontre fréquemment lorsque s’agit d’une relation à l’animal: empathie, sens des responsabilités, patience, ténacité, renoncement et j’en passe.

On ne vainc jamais sa peur. Une antilope cesse-t-elle d’être terrorisée par la lionne, si elle a pu un jour par miracle lui échapper? A chaque fois, c’est un défi recommencé, une épreuve à surmonter, prendre sur soi. Si par chance on oublie sa peur quelques temps, la vie se charge de vous faire une aimable piqûre de rappel. Tout cela ne veut pas dire qu’il ne sert à rien de lutter contre la peur, au contraire, on se rend compte que sans jamais l’oublier, il y a moyen de lui rire au nez l’espace d’un moment, et de se sentir grandi(e) par cet exploit. Je parle pour moi bien sûr, ne pouvant prétendre de connaître le sentiment d’autrui à ce sujet.

– « Rien ne doit se voir, et pourtant mille communications se font entre cavalier et monture, à l’instar d’un danseur ou d’un gymnaste qui ne doit laisser transparaître aucun effort alors qu’en réalité le travail musculaire est intense. » Tout est dit dans cette longue citations sur l’art de l’équitation. Faites-vous vôtres ces paroles ? Comment décrire votre propre expérience ?

C’est en effet ce que j’ai écrit; mais bien sûr concrètement, c’est très difficile à appliquer. N’étant qu’une simple cavalière, certes passionnée mais loin d’une écuyère ou centaure, monter à cheval avec une fluidité et une souplesse donnant à penser au spectateur que c’est aussi facile que, tel un Pierrot lunaire, jongler avec une bulle de savon, requiert un entraînement de sportif de haut niveau! À mon degré d’expérience, je me suis surtout efforcée de privilégier les pressions à l’aide des jambes contre les flancs, et les injonctions vocales, afin de minimiser l’action par les rênes, la bouche d’un cheval étant extrêmement sensible. Tirer sur les rênes, pire, s’y accrocher comme à une corde pour ne pas tomber dans un précipice, est une erreur de débutant et surtout extrêmement nocif et douloureux pour votre monture.

– En même temps que ce parcours fusionnel avec le cheval que vous tracez dans les pages de votre livre, vous apportez avec érudition de nombreuses informations liées à cet animal, à la manière dont l’homme réussit à l’apprivoiser et à la majesté qu’il inspire. Personnellement, j’ai beaucoup appris à ce sujet en lisant votre livre, et je pense qu’il sera de même avec vos lecteurs. Pourquoi avez-vous décidé d’inclure cette partie, cette mise en abyme, dont vous indiquez bien les sources à la fin de votre livre ?

C’est un peu pompeux de ma part, mais cet ouvrage appartient à la catégorie « essai ». En tant que tel, il convient d’étayer ses dires à l’aide de références scientifiques, historiques, culturelles etc. , en visant authenticité et rigueur, dans la mesure du possible.

– De l’Antiquité à nos jours, d’un méridien à l’autre, le cheval traverse l’Histoire comme un symbole de courage et de dépassement avec lesquels il accompagne son maître. Quelle époque choisiriez-vous pour illustrer ce propos?

Toutes les époques d’avant l’invention du train et de la bicyclette, à ma connaissance les premiers moyens de transport dans l’Histoire qui n’étaient plus hippotractés! Même les premiers trams de nos grandes villes ont commencé par être tirés par des chevaux. C’est dire la longévité de la dépendance de l’homme au cheval pour les transports, voyages mais aussi, hélas, le sport humain favori: faire la guerre…

– « Un amour si profond ne peut s’évanouir du jour au lendemain ». Quels souvenirs gardez-vous aujourd’hui de cette expérience ? De cette passion, devrais-je plutôt dire.

Imaginez une personne passionnée d’alpinisme en Himalaya: impossible de pratiquer son sport tous les jeudis soirs à 19h avant l’apéro! Pour autant, cette personne oublie-t-elle sa passion dans l’intervalle? À la différence de la marche, du jogging, du vélo, du yoga et j’en passe, et à  l’instar de toute activité sportive que l’on ne peut, matériellement, pratiquer quand on le désire, je dirais même que la passion s’intensifie quand il ne nous est pas fréquemment loisible de l’assouvir. C’est bien connu, le manque est le meilleur piment pour assaisonner cette dernière! Je ne pratique plus aujourd’hui l’équitation que très occasionnellement, cependant, le souvenir de la griserie, et l’envie, restent intacts.

– Un autre aspect sur lequel je souhaiterais vous interroger à la fin de notre discussion est celui de la présence à travers votre récit de votre sœur Amélie. Elle publie en même temps que vous « Le livre des sœurs », et, même si le lien entre vos deux récits n’est peut-être pas si évident, on peut se poser la question sur la liaison sororale qui existe entre vous. Je réitère la question d’Augustin Trapenard dans La Grande Librairie : est-ce que vous ne pensez pas avoir écrits deux livres sœurs ?

Parlant de moi dans mon récit, cette simple démarche implique automatiquement que je pense à, et parle, d’Amélie. Ma vie ne va pas sans elle, depuis le jour de sa naissance et à jamais. Alors oui, sous cette acception et cette évidence, Éloge du cheval peut être considéré – c’est mon avis et je le partage! – comme un « livre-sœur ». Amélie dira, quant à elle, si elle considère le sien comme tel. Comme l’on dit caricaturalement: « Qui suis-je pour juger »!

Propos recueillis par Dan Burcea

Crédits photo : © France Dubois

Juliette Nothomb, Éloge du cheval, Éditions Albin Michel, 2022, 200 pages.

 

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