Portrait en Lettres Capitales : Gaëlle Nohant

 

Qui êtes-vous, où êtes-vous née, où habitez-vous ?

Je m’appelle Gaëlle Nohant, je suis née à Paris et j’habite aujourd’hui à Lyon.

Vivez-vous du métier d’écrivaine ou, sinon, quel métier exercez-vous ?

J’ai exercé d’autres métiers mais depuis 2016, je vis de ma plume. Bien sûr c’est un statut fragile et précaire, et je n’ai aucune certitude que je pourrai continuer longtemps à en vivre. Mais mes romans me demandent énormément de recherches et de travail et pour l’instant, ça me permet de les écrire en deux ans au lieu de quatre ! Plus profondément, depuis le jour où j’ai décidé d’être écrivain, je n’ai jamais eu de plan B. Ce qui a longtemps été un problème… Mais qui fait aussi que chacun des livres que j’écris a pour moi un caractère vital, essentiel. Ne pas avoir de plan B est une angoisse quotidienne et existentielle, mais m’oblige à mettre toutes mes forces dans le roman que j’écris. Parce que je ne maîtrise pas son destin après la publication, je ne sais pas si les lecteurs seront au rendez-vous. Ce qui dépend de moi, c’est d’écrire le livre que je porte sans m’économiser. Je pense souvent à cette phrase de Jean-Louis Barrault, que je trouve magnifique : « Avant d’espérer un retour, il faut offrir l’aller. » Et je crois qu’il ne faut pas être mesquin ou désinvolte. Il faut y aller, montrer ce qu’on a dans le ventre.

Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?

Par la lecture. J’ai été très tôt une lectrice passionnée, insatiable. Quand j’étais petite, ma vraie vie me paraissait beaucoup moins intéressante que les vies parallèles que m’offraient la lecture des romans. À huit ans, j’ai lu Jane Eyre, de Charlotte Brontë, pour la première fois. Ce livre m’a transportée. En le terminant, je me suis dit que je voulais faire ça moi aussi : écrire des histoires qui transporteraient les gens. Pour moi, l’écriture est une vocation précoce, et c’est la promesse la plus importante que je me suis faite. Et même si la route a été longue et semée d’embûches, je l’ai tenue. Je me dis que si Jane Eyre n’avait pas été écrit par une femme, peut-être que je ne me serais pas sentie autorisée à croire que je pouvais devenir à mon tour une romancière.

Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?

Jane Eyre, et Charlotte Brontë, ont joué un rôle très important dans ma vie. Mais après, il y a eu d’autres livres marquants. Qui m’ont nourrie, interrogée, questionnée sur mon écriture. Parmi eux : « La vie est ailleurs » de Kundéra, « Fortunes » de Desnos, « Splendeur et misère des courtisanes » de Balzac, « La douleur » de Duras, « À l’Est d’Eden » de Steinbeck, « Confiteor »de Jaume Cabre…. Je ne peux les citer tous, il y en aurait trop ! Aujourd’hui que l’écriture n’est pas seulement une passion mais un métier, j’ai une fascination admirative pour Joyce Carol Oates. Sa production pléthorique, l’étendue de son talent. Pour moi, c’est une géante. Un modèle inaccessible, mais qui m’inspire et me donne du courage. Qui me montre que c’est possible d’aller aussi loin dans le romanesque, dans l’incarnation des personnages.

Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?

J’ai commencé par écrire des poèmes, puis je me suis essayée à l’art difficile de la nouvelle. Et en 2008, j’ai écrit un essai pour le centenaire du club de rugby de Toulon. Mais aujourd’hui, j’écris des romans. C’est pour l’instant la forme que je préfère, car elle me permet d’accompagner des personnages sur la durée, de développer une histoire. L’écriture de roman, c’est comme un marathon, il faut du souffle et garder une tension de bout en bout. Je ne me ferme aucune possibilité, je peux changer d’exercice demain, mais pour l’instant j’écris des romans. Je trouve ça passionnant, épuisant, cannibalisant. Pendant l’écriture, c’est comme s’il me poussait une deuxième colonne vertébrale. Le roman me tient plus que je ne le tiens. Quand j’ai terminé, je suis soulagée, mais très vite, l’avoir fini crée un vide immense et j’aspire à retrouver un sujet, à plonger dans un nouveau roman.

Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?

J’écris lentement et laborieusement, en général. Mais il m’arrive d’être dans une sorte de transe, et dans ces cas là je perds la conscience du temps qui s’écoule. Les passages que j’écris dans cet état sont en général ceux que je préfère et je n’ai pas besoin de les retoucher. Certains jours c’est l’inverse, je rame en surface de mon livre et les pages que j’écris finissent à la poubelle. Depuis que j’écris, j’essaie à chaque roman de travailler un peu différemment mon écriture. Mais ma boussole, ma ligne d’horizon est d’arriver à écrire le plus simplement possible. Ce qui est le plus difficile.

Au moment où je commence à écrire, je ressens une angoisse terrible. Comme si je me trouvais devant une paroi rocheuse que je devais escalader, mais que je ne distinguais aucune prise sur la roche et que j’avais le vertige. Quand j’écris un roman, c’est comme ça tous les jours pendant un an, un an et demi. Et puis ça passe, j’écris la première page, et puis la deuxième…

Première ou troisième personne, ce choix est dicté par le roman, et le point de vue que je choisis. Pour La Part des flammes, qui est un roman choral, j’ai privilégié le style indirect libre qui me permettait de me glisser dans la tête de chaque personnage. Pour Légende d’un dormeur éveillé, j’ai préféré la 3e personne parce que je ne me sentais pas légitime pour incarner Robert Desnos à la 1ere personne. Je préférais être en quelque sorte sur son épaule, assez près pour écouter son cœur battre. Pour la Femme révélée, j’ai essayé d’écrire à la 3e personne mais l’héroïne m’échappait, ce qui est logique puisque c’est une femme en fuite. Pour la rattraper, j’ai dû choisir la première personne.

Où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?

C’est toujours un peu mystérieux, comment viennent les sujets. Quand je termine un livre, je n’ai pas encore de sujet pour le suivant. Et j’ai toujours peur qu’il n’y ait plus d’autre livre, d’être arrivée au bout de ceux que je portais en moi. C’est une « période de jachère » qui peut durer des semaines, ou des mois, et plus elle dure, plus elle m’angoisse. Et puis au bout d’un moment, une idée arrive, ou une image, ou c’est juste un déclic en lisant, en écoutant ou en regardant quelque chose. Comme un frémissement, une ébauche fragile. Pour La Part des flammes, c’était en lisant Libération à l’été 2004 et en découvrant en quelques lignes l’histoire de l’incendie du Bazar de la Charité. Mon roman sur Desnos est venu quand j’ai réalisé que depuis l’adolescence, quand j’étais déprimée, j’allais lire des poèmes de Desnos. J’ai eu envie de lui rendre un tout petit peu de ce qu’il m’avait donné. La Femme révélée a mûri lentement et il est né de ma fascination pour ces gens qui quittent tout du jour au lendemain pour aller vivre une autre vie, sous un autre nom. Celui que j’écris en ce moment a commencé par un lieu dont j’ai découvert l’existence à l’hiver 2020, et je me suis demandée pourquoi je n’en avais jamais entendu parler avant.

Entre ce déclic et le début de l’écriture du roman, il se passe en général des mois où je commence à faire des recherches, pour m’assurer que le projet est viable et surtout qu’il m’intéresse assez pour occuper deux ou trois ans de ma vie et nourrir mon enthousiasme sur la durée. Et peu à peu, je resserre le spectre des recherches et je commence à penser aux personnages, à imaginer l’histoire. Mais en général, je ne sais pas comment il finira avant d’avoir écrit au moins la moitié, voire les deux tiers du livre.

Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?

Ça dépend. Pour le roman que j’écris, le titre m’est venu tout de suite, avant d’avoir écrit une ligne. Mais souvent, je ne le trouve qu’à la fin de l’écriture. Pour moi, c’est une accroche publicitaire qui doit donner envie de lire le livre et faire sens quand on l’a terminé. À ce jour, j’ai toujours trouvé les titres de mes romans mais je suis ouverte aux propositions de mon éditrice, et je considère que le titre doit aussi être une évidence pour elle.

Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?

J’ai un rapport très fort avec les personnages. Ça commence par le nom que je le leur donne, j’y réfléchis longuement, parce que le prénom et le nom commencent à faire exister le personnage et nous disent déjà quelque chose sur lui. Ensuite, je passe énormément de temps à penser à chacun d’eux, comme à de vraies personnes. Je marche en pensant à eux, et à mesure que je pense à eux, je vois des images, certains épisodes de leur vie, et j’apprends à les connaître mieux. Ce qui m’importe, c’est de les suivre et de les laisser le plus libres possible. Qu’ils s’incarnent et accomplissent leurs destins. J’aime qu’un personnage ne soit pas tout à fait le même entre le début et la fin du livre, qu’il ait évolué d’une manière ou d’une autre. Un personnage est toujours une rencontre entre un autre et moi. Pour le nourrir, je vais chercher en moi des choses que je n’exprime pas forcément dans la vie.

Avant d’être publiée, j’ai parfois douté au point de songer à renoncer à l’écriture. Ce qui m’y a ramenée à chaque fois, c’est le besoin de vivre d’autres vies à travers les personnages. La liberté de pouvoir me glisser à volonté dans la peau de gens dont la vie ne ressemble pas à la mienne, qui peuvent vivre à d’autre époques, dans d’autre pays. D’être tour à tour un enfant, un cocher, une vieille aristocrate, une photographe… 

Il y les personnages qui s’imposent à moi, et ceux que je crée parce que j’en ai besoin. Par exemple, dans le roman que j’écris, j’ai créé dès le premier chapitre un personnage que je n’avais pas prévu, parce que j’avais besoin que mon héroïne soit « initiée » à son nouveau travail par quelqu’un. Et ce personnage a pris beaucoup d’importance dans le roman. Il arrive souvent qu’un personnage secondaire gagne en importance, parce qu’il se révèle très intéressant. Un peu comme si j’avais embauché un figurant sur un plateau de cinéma et qu’il prenait si bien la lumière que je décidais d’étoffer son rôle. Mais je suis attachée à tous mes personnages, quels que soient leur rôle ou leur importance. À la fin du roman, c’est toujours une grande tristesse de m’en séparer, et je continue à penser à eux régulièrement, comme s’ils avaient vraiment existé et que je les avais rencontrés dans la vie.

Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.

La Femme révélée est l’histoire de l’émancipation d’une femme dans les années cinquante, entre Chicago et Paris. Ce personnage de femme qui s’en va et se cache sous un autre nom, abandonne une vie privilégiée, mais qui l’aliène, pour une existence précaire qui lui correspond, m’a obligée à écrire le roman à la première personne. Et donc à me glisser dans sa peau. Tous mes romans sont des voyages, mais celui-ci était une odyssée intime qui m’a interrogée sur ma liberté, ma maternité, mes choix de vie, mes engagements. J’ai pensé à toutes ces femmes qui avaient fait le choix de s’engager et de risquer leur vie alors qu’elles avaient des enfants. J’ai réalisé qu’on transmet d’abord à ses enfants ce qu’on est. Professer des valeurs et des idéaux n’a pas la même portée si on ne les incarne pas soi-même. Réaliser son rêve, c’est transmettre à ses enfants l’idée qu’à leur tour, ils pourront réaliser les leurs.

Actuellement, j’écris un roman qui se passe en 2016, mais qui raconte plusieurs enquêtes croisées sur fond d’histoire de la Deuxième guerre mondiale et de l’après-guerre. Ce livre est un Everest vertigineux, alors je me concentre sur le pas suivant, je ne regarde pas en bas, je respire, j’avance. Je n’ai jamais appris autant grâce à un roman. Il m’apparaît comme une grande photo de famille sur un perron. Tout le monde bouge, certains grimacent ou ne regardent pas l’objectif et j’ai du mal à les réunir pour la photo. Chacun d’eux me pose des problèmes, tous m’épuisent, m’obsèdent et me réveillent la nuit. Chacun d’eux est un personnage gigogne qui porte ses ascendants et ses descendants. Ils sont nombreux, ils ont des accents, des histoires émaillées de mystères, et je sais déjà que ça sera un déchirement de les quitter. Comme tous mes livres précédents, celui-ci est un voyage dont je ne connais pas encore la destination. Mais je sais que lorsque je toucherai terre, je ne serai plus tout à fait la même.

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