Portrait en Lettres Capitales : Ermira Danaj

 

Qui êtes-vous, où êtes-vous née, où habitez-vous ?

Je suis Ermira Danaj, je suis née en Albanie, et j’habite à Paris.

Vivez-vous du métier d’écrivaine ou, sinon, quel métier exercez-vous ?

Je ne vis pas du métier d’écrivaine. Je suis sociologue de formation, et pendant des années, j’ai travaillé comme chercheuse et/ou maître-enseignante. Actuellement, je travaille chez Ramsay Éditions.

Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?

Quand j’étais enfant, mes parents avaient une règle : je devais aller dans ma chambre à 8h du soir, et par chance, la bibliothèque de la maison se trouvait dans ma chambre. Donc, je devais me coucher à 8h du soir, mais j’avais le droit de lire tout ce que je voulais, alors j’en ai profité. Enfant et adolescente, lire m’aidait à imaginer d’autres mondes, à trouver de vastes espaces en contraste avec ma réalité de l’époque. Plus tard, je pense que la sociologie m’a aidé à mieux utiliser la littérature pour analyser, comprendre, et parfois, supporter la société.

Ma passion pour l’écriture remonte également à mon enfance. Pendant l’adolescence cela m’a aidé à extérioriser mon univers assez sombre, un mélange de mon état d’esprit intérieur et de la situation très difficile (y compris le manque d’électricité) dans l’Albanie du début des années 90. Je me rappelle qu’à l’âge de 18 ans j’avais écrit des nouvelles que mon père avait fait lire par un ami écrivain. Et le retour était quelque chose comme, « elles sont très bien ces nouvelles, mais très noires pour quelqu’un de si jeune. » Je l’ai pris comme un compliment. Ensuite, j’ai commencé mes études de sociologie, et je me suis consacré à l’écriture académique ou à des articles dans des journaux.

C’est récemment, me trouvant dans ce lien très fusionnel (et passionnel en même temps) avec le monde littéraire, que je suis revenue à l’écriture littéraire.

Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?

Ahh, je me rappelle de deux livres qui m’ont beaucoup marquée :  Le Décaméron de Giovanni Boccaccio et Le Génie de Théodore Dreiser. Je les ai lus quand j’avais 10 ou 11 ans, à Tirana, lors d’une période où tous les livres n’étaient pas permis et traduits, mais il y en avait assez à lire. Ils m’ont marquée peut-être parce que j’étais assez jeune pour les comprendre, et j’ai dû faire de grands efforts pour me projeter dans les univers de ces deux livres depuis ma petite chambre de Tirana. Mais ce sont les deux livres que j’ai absolument voulu relire en grandissant, et que je relis de temps en temps, et aujourd’hui, après presque trente-cinq ans, je me rappelle exactement le moment où je les ai lus.

Les autres livres qui m’ont absolument marquée pendant mon adolescence sont La guerre et la paix de Léon Tolstoï, ou la Maison aux esprits de Isabelle Allende. Ensuite, j’ai commencé à lire dans d’autres langues que l’albanais, et les univers et les genres se sont élargis. Certains des écrivains qui me marquent et dont je ne peux pas me passer de les lire (pour me donner des bouffées d’inspiration et énergie) sont José Saramago, Clarice Lispector, Simone de Beauvoir, Margaret Atwood, Chimamanda Ngozi Addichie ou Jón Kalmann Stefánsson. 

Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?

L’essai reste encore un genre préféré, mais actuellement j’écris un roman. Je me sens assez libre en écrivant ce roman, c’est un bon moyen de faire de la réflexion sociologique en utilisant la liberté de la fiction. Il y a donc une imbrication des genres dans ce que j’écris. Quand j’écris un essai sociologique, on me dit souvent qu’il y a un fort côté littéraire dans mon style, le même pour les articles dans des journaux. J’espère donc que ce style littéraire a pu trouver sa voie d’expression dans le roman, il était peut-être temps de l’écrire.

Comment écrivez-vous — d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?

J’aurais bien voulu écrire d’un trait, mais pour être très franche, je n’ai ni le temps ni l’énergie de le faire. Donc, physiquement j’écris quand j’ai le temps. Mais, à l’intérieur de ma tête, je suis en train d’écrire constamment, j’écris et réécris des pages entières, et le roman est 24 heures sur 24 avec moi.

J’écris surtout à la troisième personne, mais il y a aussi des parties rédigées à la première personne (notes, extraits de journal intime, etc.). J’ai un style assez libre en ce qui concerne la ponctuation. J’adore le style libre et non conventionnel de Clarice Lispector et de José Saramago, et je suis satisfaite de mon style libre à moi. Comme vous le voyez, j’envisage le roman comme un espace assez libre, dans lequel je peux exprimer mes idées et sentiments et mes peurs et fantaisies, mais pour faire cela, j’ai besoin de ne pas suivre des conventions linguistiques très strictes.

Je fais assez souvent aussi des pauses dans l’écriture parce que j’ai besoin de faire lire ce que j’écris. Quand j’écrivais mon livre de recherche sur la migration des femmes, je faisais lire chaque chapitre à une amie, j’avais besoin qu’elle m’aide dans le processus de réflexion. Je ressens le même besoin actuellement avec le roman, je fais lire des chapitres à une amie qui est une lectrice merveilleuse avec un sens critique très fort qui m’aide à mieux regarder et analyser ce que j’écris. Ce n’est pas un processus très facile, car la critique peut parfois faire un peu mal, mais je la pense comme une condition sine qua non pour m’améliorer et avancer.

D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?

Pour mon premier roman, je me suis inspirée de la jeunesse de mon arrière-grand-mère, et j’ai créé une fiction en partant d’une expérience assez particulière de sa jeunesse. Pour être sincère, au début j’avais beaucoup d’idées de sujets en tête, mais dès que je me suis souvenue de cette histoire particulière de mon arrière-grand-mère tout est devenu clair, et j’ai commencé à écrire.

Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?

Pour mes essais ou mon livre de recherche sur la migration albanaise, j’ai eu besoin d’aide pour trouver un titre. L’idée était assez claire dans ma tête, mais la traduire en un titre n’était pas facile, et le fait d’écrire dans des langues différentes n’aide pas. J’ai donc écrit le texte et après, des collègues ou les éditeurs et éditrices m’ont aidé à trouver les titres les plus pertinents.

Avec le roman, l’approche était un peu différente, peut-être parce que dès le début j’ai ressenti beaucoup plus de liberté par rapport à ce que j’avais écrit auparavant. J’avais l’idée en tête, je savais ce que je voulais écrire, et le titre est venu très naturellement, et quand j’ai vécu ce titre tout a eu un sens. C’était comme si le chaos que j’avais à l’intérieur de moi s’était tout d’un coup éclairé et que j’arrivais à bien distinguer l’histoire du roman. Cela peut aussi s’expliquer par mon manque d’expérience en tant qu’écrivaine littéraire ou je ne sais pas. Et peut-être que le titre est clair pour moi, mais les autres vont le trouver médiocre, cela reste à voir.

Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?

Comme je disais un peu plus haut, l’histoire de mon roman se base sur un fait particulier dans la vie de mon arrière-grand- mère. À partir de là, j’ai construit une fiction qui a pris son libre cours et a trouvé son propre chemin, où l’on trouve surtout des personnages fictionnels. Il y a des personnages que j’avais prévus au début, et après ils se sont perdus dans le chemin de la fiction où ils ne trouvent plus leur place, et il y en a d’autres qui sont apparus un peu timidement, mais qui sont devenus finalement des compagnons de route. Il n’y a pas eu un processus rationnel en ce qui concerne la rencontre avec les personnages. Tout est parti de mon arrière-grand-mère, j’ai inventé un personnage inspiré d’elle, et après les autres ont suivi (ou pas)

Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.

Je viens de publier mon livre de recherche sur la migration des femmes, chez Springer, et j’en suis assez fière car c’est une recherche qui m’est très chère de par son sujet et aussi par le travail que j’y ai consacré.

Dans mes proches projets d’écriture, il y a une nouvelle qui fera partie de l’ouvrage collectif Le Désir au féminin, qui sort en printemps 2022 chez Ramsay Éditions. Et, il y a aussi la publication prochaine de mon roman, d’abord en Albanais et en Anglais, et j’espère bien en Français aussi, un jour pas très lointain.

 

 

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