Daniel Kay et la dégustation poétique des gaufrettes de Baugin

 

 

Voici un très beau cadeau que Daniel Kay nous offre par son livre Baugin, Le Dessert de gaufrettes qui vient de paraître dans la collection Ekphrasis des Éditions Invenit.

Il s’agit, comme il tient à nous avertir dès l’incipit, de « quelques fragments d’inégale longueur et aux registres variés, souvent plus proches de la poésie ou de la fiction que de l’analyse iconographique savante ». En effet, ces pages on la beauté et le frisson exquis de la poésie, tout en se présentant comme un régal qui retient son souffle et en invitant l’œil à se (re)poser sur un des plus beaux tableaux du XVIIe siècle français. Le langage se fait ainsi l’écho d’une contemplation émerveillée, sublimée dans des mots qui finissent comme un collier de révérences devant le tableau tant admiré et qui ne cesserons de dévoiler leurs intimes secrets.

Ce qui impressionne surtout chez Daniel Kay c’est le caractère retenu de son écriture, plus proche de la pudeur que de la circonspection, une sorte d’anagogie contrastant avec l’emprise d’une quelconque divulgation du mystère contemplé. « Chez Baugin – écrit-il –, le monde est là, sans rhétorique, tout simplement dit. Non pas clamé, mais dit à voix basse, susurré loin de toute idée de profération. » La formule peut s’appliquer parfaitement à son langage, avec cette précision que nous avons ici affaire à un subtil et ineffable processus à la fois pictural et poétique, de sublimation du réel à travers l’harmonie, ce terme que les Grecs utilisaient pour dire le monde, le Cosmos.

Révélé lors de l’exposition de 1934, Les Peintres de la réalité en France au XIIe siècle, organisée par Paul Jamot et Charles Sterling au Musée du Louvre, Baugin, dont on connait peu de choses sur sa biographie, est présent avec 3 tableaux dont La nature morte aux gaufrettes.

L’écrivain Pascal Quignard traite de ce sujet dans son roman Tous les matins du monde. Alors que le grand romancier scrute le contexte historique de ce tableau, Daniel Kay, lui, se penche plutôt sur son côté esthétique, sur « la beauté rigoureuse et géométrique du dessin » et sur « le chromatisme distingué et retenu », évoquant son classicisme. Il s’agit, selon lui, plutôt d’une « réalité augmentée » où « les objets du monde (…) doivent faire corps avec autorité tout en laissant les éléments distincts s’affirmer à la marge ».

La proposition qui nous est donnée ici dépasse la simple tentative de transposition mimétique entre lisibilité et visibilité contenue dans la fameuse formule horatienne ut pictura poesis. Daniel Kay se positionne dans le domaine de l’enchantement, dans une perspective où le regard esthète réclame prestement d’exercer le droit à l’interprétation de l’agencement de cette nature morte, aux couleurs des objets qui la composent, à l’origine, aux goûts et à la texture de ces gaufrettes, pain travaillé au fer, objets craquelés se brisant « sous le rempart des incisives » et se mélangeant au vin reposant dans le verre posé à côté.

Tout devient spectacle, fête, musique, saveur, « souvenir des plaisir domestiques, si calmes, quelque part dans l’ineffable ».

Dès lors, la beauté de ces pages ne tardera pas à réclamer une lecture lente et répétée, sous forme des allers-retours, de vraies éphémérides à détacher au fil des jours pour faire revivre la promesse d’un enchantement répété. Les gaufrettes sont « aussi éblouissantes et tragiques qu’un alexandrin de monsieur Jean Racine », « des syllabes que l’on chuchote avec un verre de vin, en attendant la tombée de la nuit », et enfin cadeau ultime, des objets recevant une grâce et rêvant d’absolu.

Le tableau de Baugin est frappé par un triple sceau qui le soutient et l’anoblit : « la modestie en majesté », « la présence comme réponse au miracle » et, enfin, le triomphe des notions d’Idée et de Substance, dans l’alchimie secrète de la Durée.

En tant qu’objet, le livre de Daniel Kay obéit à ces mêmes critères voulant rejoindre cette même dimension et interférer avec l’angle de vue des objets peints et faisant ainsi don à travers l’hommage que lui adresse le poète enchanté quelques siècles plus tard.

En fermant les yeux, on pourrait même voir ce beau livre aux côtés de l’assiette portant les sept gaufrettes, soutenant par sa présence son équilibre précaire sur le coin inoccupé de la table. Il suffirait d’attendre, pour se faire, le réveil et le frémissement de la main endormie depuis quatre siècles du peintre français en l’Eglise Saint Sulpice à Paris.   

 Dan Burcea

 Daniel Kay, Baugin, Le Dessert de gaufrettes, Éditions Invenit, 2022, 86 pages.  

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